Souper de filles. Une amie décrit le comportement de collègues machos. Une autre rage sur le fait qu’elle n’a pas obtenu la promotion convoitée. La troisième songe à retourner sur les bancs d’école afin d’obtenir un MBA. Et moi? Je trouve que je travaille trop. À preuve, ce soir-là, je dois justement rentrer plus tôt que je l’aurais souhaité, car j’ai ce texte à remettre le lendemain.

Rentrée chez moi, devant la page blanche, je repense à nos échanges… Si j’écrivais cet éditorial en direct de Kaboul, vous ne verriez pas mon visage. Le contenu de la discussion rapportée serait totalement différent. Peut-être même que vous ne pourriez tout simplement plus lire ce magazine, conçu essentiellement par des femmes. Depuis la reprise du pouvoir par les talibans, les Afghanes craignent de ne plus pouvoir gagner leur vie ni d’avoir accès à l’éducation. Les droits qu’elles ont durement acquis depuis 2001 sont en train de leur être retirés.

Depuis la mi-août, les sympathisants des talibans s’emploient à effacer l’image des femmes partout où ils passent, en arrachant les affiches où elles apparaissent, et en peignant en noir la devanture des vitrines de magasins et de salons de beauté arborant des photos de visages féminins. Et ils ne se cachent pas pour le faire.

Il y a quelques jours, une présentatrice de télé populaire du nom de Shabnam Dawran s’est vu interdire l’accès à la station pour laquelle elle travaillait depuis six ans.

On efface les femmes de l’espace public. On «invisibilise» les filles.

Je me sens terriblement impuissante devant leur sort. Et je ressens viscéralement les 10 000 kilomètres qui nous séparent. Je songe à elles, emprisonnées dans une culture qui bafoue leurs droits les plus fondamentaux, et je me dis qu’on ne peut rester indifférents.

Notre conversation de filles survenue plus tôt me revient en tête et prend une tout autre résonance.

Certes, toute femme, même occidentale, essuie des revers et doit conjuguer avec toutes sortes d’injustices au long de sa carrière. Mais n’oublions pas, au demeurant, notre bonne fortune de pouvoir nous réaliser, de gagner un revenu, d’exercer notre voix et d’investir les lieux publics. Malgré tout, apprécions ce que nous avons acquis au fil du temps et préservons-le avec ardeur.

Et surtout, échangeons avec nos élus. Songeons urgemment avec eux à des moyens concrets de soutenir celles qui n’ont pas les mêmes chances que nous pour la simple raison qu’elles ne sont pas nées ici…

Le numéro d’octobre d’ELLE Québec est offert en kiosque, en version numérique et en abonnement.

ELLE QUÉBEC - OCTOBRE 2021

ELLE QUÉBEC - OCTOBRE 2021Xavier Tera

Photographie Xavier Tera. Stylisme Samuel Fournier. Direction de création Annie Horth. Mise en beauté Leslie-Ann Thomson. Production Estelle Gervais. Coordination Laura Malisan. Assistants à la photographie Neal Hardie. Assistante au stylisme Ana Lontos. Hubert porte une chemise et des gants Balenciaga, et des boucles d’oreilles personnelles.