2012. Charlesbourg, Québec. J’ai quitté le cégep. J’ai abandonné le cours de cinéma pour lequel j’avais été sélectionnée. J’ai 22 ans, j’habite en colocation avec l’homme le plus merveilleux du monde. Je travaille au comptoir des cosmétiques d’une pharmacie. Bien que je n’aie pas encore amorcé officiellement ma transition, les clients au travail m’appellent «Madame». L’ennui, c’est qu’aux yeux de la loi, je ne suis pas une Madame; je n’ai pas encore reçu mes nouveaux papiers. Mes collègues me questionnent du regard, étant donné que je ne corrige personne. C’est qu’il n’y a rien à corriger. Je ne suis pas une erreur. Je suis une femme trans.

Je reviens du travail, chargée d’une angoisse qui serpente dans mon cœur. Mon amoureux m’accueille avec un sourire qui me rend triste. Être un homme le jour et une femme la nuit m’est insupportable. J’ai sombré dans l’alcool depuis quelque temps. Comme Frida Kahlo, j’ai essayé de noyer mes démons, mais ils ont appris à nager.

C’est de plus en plus lourd. J’écris en lettres fluo, qui retentissent comme un cri strident dans mon journal: «Ces regards assassins m’assassinent, à coup de couteaux qui me dessinent.»

Je prends le bus pour un rendez-vous chez la psy. Des regards de béton sur moi. Et si on remarquait une repousse de barbe, si on voyait que mes épaules sont un peu plus larges que la moyenne des filles, si on percevait la mort dans mes yeux? Heureusement, pour ça, j’ai des lunettes de soleil.

Dans le bus, c’en est trop. La décharge électrique dans mon ventre est insoutenable. L’anxiété sociale me fait descendre 12 arrêts de bus plus tôt que prévu. J’arrive finalement dans le bureau de ma psychologue. Nous discutons des plaies qui suintent depuis mon enfance, du vertige qui persiste à l’intérieur de moi. Nous plongeons en apnée dans les méandres de la dysphorie de genre*.

Je ressors avec un diagnostic d’anxiété généralisée. Une bombe. Je quitte mon emploi. Je décroche de tout. Cela durera trois ans. Je suis une moins que rien.

Pendant trois ans, j’apprendrai énormément de choses, dont l’humilité. L’humilité de ne pas pouvoir avoir de travail, de dépendre des autres, de ma mère, de mon amoureux de l’époque. Je suis un boulet, je suis une sentence.

Pendant trois ans, je pleurerai mes silences devant ma psy, mais je finirai, par miracle, par retrouver ma confiance et mon estime, ma dignité en tant que femme trans.

Mon couple ne résistera pas aux tumultes identitaires. Huit années partagées qui ne se partageront plus. Mais arrivera le long métrage Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau. On me choisit pour vivre ma réalité au grand écran. Je ne suis plus transparente. J’apprends à devenir opaque. Ce sera ma revanche sur le passé. Au fil du tournage, j’émergerai des sous-sols de l’angoisse.

La fille qui décrochait de tout se sera accrochée à son rêve d’être actrice. Et ça lui sauvera la vie. Elle vaincra l’anxiété. Et son ancien amoureux assistera à la première du film de son ex-amoureux, devenu sa nouvelle amie.

Les larmes aux yeux, ils se reconnaîtront, et ce sera le début d’une des plus belles histoires d’amitié.

* La dysphorie de genre est un terme utilisé pour décrire la détresse d’une personne trans face à un sentiment d’inadéquation entre le sexe qui lui a été assigné à la naissance et son identité de genre.

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