On s’est entretenues avec Martine Delvaux pour mieux comprendre comment elle arrive à naviguer dans ces eaux troubles, à garder le cap sur ses objectifs et à continuer d’avancer vers un monde meilleur.

Qu’est-ce qui t’a motivée à prendre la parole dans les médias?

C’est le printemps érable qui m’a donné envie de m’engager dans l’espace public. En tant qu’écrivaine et universitaire, c’est notamment grâce à des lettres d’opinion que je tiens mon discours, à la jonction de la réflexion politique, de la réflexion critique et du travail littéraire. Je n’improvise pas: mes textes sont pensés, réfléchis. Je m’adresse au public en faisant confiance à son intelligence: je porte la parole politique dans la sphère publique sans prendre les gens pour des imbéciles.

Que se passe-t-il, généralement, après l’une de tes prises de position?

Lorsque je publie une lettre d’opinion, je reçois beaucoup de messages haineux. Les gens m’appuient en public, mais ceux qui ne sont pas d’accord vont plutôt m’écrire, déverser leur fiel sur moi, en privé. Quand des chroniqueurs et des polémistes me cri- tiquent sur Facebook ou dans certains médias, j’évite la plupart de leurs commentaires désobligeants. Je les survole.

Quel impact ton militantisme a-t-il eu dans ta vie?

J’ai une visibilité accrue, et peut-être qu’elle jouera contre moi dans l’avenir. Serai-je une personne qu’on considère comme «dangereuse», qu’on n’ose plus inviter? C’est possible. Je pense que lorsqu’on est féministe et qu’on prend position sur la place publique, ça nous nuit, mais on ne peut pas arrêter, se taire, pour autant. C’est toutefois fatigant de gérer un flot incessant de haine; ça demande un grand contrôle dans l’expression de sa colère, et énormément de temps. Et on ne parle pas du coût financier, dans le cas où je décide d’entreprendre des procédures judiciaires contre des harceleurs ou des gens qui me menacent. La prise de parole ne se fait pas sans peur non plus. On ne sait jamais à qui on a affaire sur le web. Est-ce que la menace est réelle? C’est une zone trouble.

Je crains, aussi, de ne plus être lue pour de vrai. Qu’on me colle l’étiquette de «féministe militante» et qu’on refuse de voir plus loin que ça. On me pense toujours plus radicale que je ne le suis: mes livres sont pourtant nuancés, et les gens en sont souvent surpris.

Quelles pistes de solution pourrait-on explorer, à ton avis?

La modération des commentaires sur les plateformes numériques des journaux et sur les réseaux sociaux serait une excellente façon de commencer. Il faut cibler la haine. Il y a une différence entre prendre position contre une idée et prendre position contre un individu. Quand un chroniqueur écrit que je suis «une maudite folle», c’est de la haine, de la misogynie, et ça ne devrait pas être toléré. Il y a, au moins, une sensibilisation dans les médias, qui me demandent de parler de ces façons de faire méprisables, de ce qu’elles engendrent. Je sens qu’on nous voit, qu’on nous entend. Je me sens moins seule, et c’est déjà beaucoup.

Lire aussi:

Activisme: entretien avec Safia Nolin
Activisme: entretien avec Jessica Prudencio
Le militantisme aux temps des médias sociaux