En 2002, Sheila Bridges écrit son premier livre, Furnishing forward: a practical guide to furnishing for a lifetime, avec une idée toute simple en tête: si on achète seulement les pièces de mobilier qu’on aime vraiment, on les conservera toute notre vie. Sa maison de la vallée de l’Hudson, dans l’État de New York, est remplie de ses pièces préférées, qui forment une ode à tous les objets qui lui inspirent de la joie. Il suffit de penser aux chaises Fornasetti, décorées de deux Africains en djellaba marocaine traditionnelle. «J’ai posé l’œil sur elles au début des années 1990, raconte Sheila. Ce sont des classiques du mobilier, et elles m’accompagnent partout où je m’installe.»

Sa résidence, une beauté noir goudron dont les plafonds sont à plus de neuf mètres de hauteur, sise sur un chemin par- semé de maisons de ferme traditionnelles, attire invariablement le regard. C’est la première maison que Sheila a entièrement construite, elle qui a passé son enfance dans une vieille maison en pierre à Philadelphie. Ses autres demeures actuelles, situées dans Harlem et à Reykjavik (Islande), ont toutes deux un cachet patrimonial. «J’ai toujours voulu construire une maison, dit-elle, afin de pouvoir exprimer chacun des éléments à ma façon.» Sheila a commencé la construction de la propriété en 2018 et y a emménagé l’année suivante.

Sheila Bridges a grandi à l’ère du R&B et du hip-hop, marquée par l’échantillonnage de vieilles pièces soul sans cesse ressuscitées et réimaginées. Dans le même esprit, sa maison de la vallée de l’Hudson puise des éléments à une source qui est chère à la designer et qui témoigne de ses séjours en Islande: son extérieur sombre rappelle Búðakirkja, une église située sur une péninsule que Sheila aime particulièrement. La créatrice admire depuis longtemps l’effet de la façade noire de cette église qui se découpe sur un panorama enveloppé d’un manteau de neige blanche.

Un écrin recelant mille couleurs

Même si la maison est érigée sur une propriété de près d’un demi-hectare, Sheila a choisi de restreindre son empreinte. Plutôt qu’une construction surdimensionnée, elle a conçu un chez-soi – et un pavillon de piscine – juste assez grand pour elle. «La maison ne fait que 148 mètres carrés, et j’ai décidé de me limiter à cette superficie. J’ai été tentée de bâtir une plus vaste demeure, mais, finalement, je n’ai pas besoin de plus d’espace pour vivre.»

La maison compte deux chambres à coucher, une chambre d’invités avec salle de bain attenante, et au deuxième étage, derrière son studio, Sheila a aménagé une sorte d’atelier: une chambre principale aux murs recouverts de toiles classiques de la Hudson River School, une vaste salle de bain principale et une salle de séjour qui reproduit agréablement celle qui est dépeinte dans un tirage de Mickalene Thomas suspendu au mur. Elle a peint cette dernière pièce dans une nuance de lavande sereine de Farrow & Ball.

Dans cette maison qui exsude l’art, l’abondance de toiles et d’impressions accrochées aux murs qui s’élèvent sur deux étages crée un effet percutant. Sur un des murs, un tirage d’une œuvre de Jean-Michel Basquiat. Ailleurs, une image de style Renaissance par l’artiste haïtienne Fabiola Jean-Louis. Dans la salle de bain principale, une murale couvre un côté de la pièce, de même que l’intérieur de l’armoire à pharmacie.

Esthétique politique

À l’instar de rayons de bibliothèque remplis d’éditions originales, les murs de la maison de Sheila vibrent grâce aux œuvres qui racontent l’histoire de son héritage, de ses voyages et des amis qu’elle a rencontrés en chemin. Devant la demeure, un drapeau américain rouge, vert et noir flotte dans le vent: c’est une réplique d’une œuvre de l’artiste David Hammons de 1990 en hommage à l’élection de David Dinkins, premier maire noir de l’histoire de la ville de New York. «J’aime hisser mon drapeau pour nous rappeler l’histoire profondément troublante des États-Unis et la nécessité de voir se concrétiser des changements significatifs», dit Sheila.

Çà et là dans la maison, on retrouve la célèbre toile de Jouy Harlem de la designer. Sa création emblématique reprend les codes du motif sur toile, qui dépeint traditionnellement des scènes pastorales françaises, et qu’elle réinvente en mettant en scène des tableaux vibrants de la vie afro-américaine. Souvent déclinée en version papier peint (qui sert fréquemment de fond aux télédiffusions Zoom de la journaliste et animatrice Gayle King sur CBS!), sa création textile orne aussi des parapluies, des verres et des vêtements. L’automne dernier, Sheila lançait même des baskets Converse sur lesquels était imprimée sa célèbre toile. Mais les pièces les plus attrayantes de la maison sont sans contredit les deux immenses mobiles suspendus dans le salon et la salle à manger, là où Sheila aime réunir des amis autour de la table et passer de longues soirées devant un feu de foyer. «Quand j’étais enfant, il y avait des mobiles dans ma chambre, puis dans ma chambre en résidence universitaire, dit-elle. J’ai toujours craqué pour eux.» La vraie magie opère à l’heure où le soleil se couche, quand les mobiles projettent des ombres qui forment des arcs dans toute la demeure.

Il est difficile de ne pas remarquer le sourire qu’arbore Sheila lorsqu’elle fait faire le tour des lieux. C’est peut-être parce qu’elle est à la fois designer et cliente satisfaite. «Je travaille tout le temps sur des projets de vastes demeures pour mes clients. Des maisons de 1000 mètres carrés, partout au pays.» Mais la conception s’est révélée bien différente pour elle-même. «Ici, c’est petit, simple et ouvert. Un amalgame de musique, d’art et de culture. J’ai rempli l’espace uniquement de choses que j’aime.»