La médecin canadienne, qui vit maintenant à San Francisco, s’est fait un nom en essayant de rectifier la situation sur son site web éponyme, où elle décortique les mythes et les allégations touchant la santé et le bien-être des femmes… et les produits vendus pour contrer ces pseudoproblèmes. Son important message, qu’elle transmettait jusqu’ici sur le web, se retrouve maintenant physiquement entre nos mains, dans le livre The Vagina Bible, qu’elle présente comme un guide sur la santé vaginale des femmes. «Je crois vraiment qu’une grande partie de la médecine n’est pas si complexe; elle n’est seulement pas assez accessible aux gens, affirme-t-elle. L’information, c’est le pouvoir. Informez-vous.»

Pourquoi pensez-vous qu’il y a autant de désinformation en ligne au sujet de la santé des femmes?

À cause du patriarcat. Cibler le corps des femmes est rentable, politiquement et commercialement. On l’utilise pour vendre des produits, attirer des clics… Historiquement, le corps des femmes a toujours été mis à profit de la sorte.

Au cours de vos 24 années de pratique, qu’avez-vous remarqué de nouveau dans la façon dont les femmes parlent de leur vagin?

Elles sont plus à l’aise de poser des questions précises, ce qui est super! Mais elles semblent aussi vraiment plus préoccupées par la taille de leurs lèvres. Toute ma carrière, je me suis penchée sur les troubles de la vulve et, durant mes cinq premières années de pratique, j’ai peut-être vu deux femmes qui s’inquiétaient de la taille de leurs lèvres après des accouchements traumatisants. Le désir très présent d’avoir de petites lèvres, ou de corriger les petites lèvres qui dépassent les grandes lèvres, même si c’est le cas de 50 % des femmes, est certainement une nouveauté.

Quels sont certains des mythes les plus persistants à propos des vagins?

Qu’on ne devrait pas avoir de pertes vaginales. C’est probablement l’un des mythes les plus tenaces. Sinon, que porter un maillot de bain mouillé ou manger du sucre peut causer des infections à levures, que porter des sous-vêtements en coton blanc fait éviter les infections, que manger des ananas modifie l’odeur ou le goût du vagin… Ce mythe-là, je veux le déboulonner et, sur ma tombe, je veux qu’on inscrive que j’y suis arrivée!

Les coupes menstruelles sont de plus en plus populaires. Que devrait-on savoir à leur sujet?

Beaucoup de femmes aiment les coupes menstruelles en raison de leur faible empreinte environnementale ou de leur confort, mais il faut savoir qu’elles n’en constituent pas moins un risque de syndrome du choc toxique. Si les toxines associées au choc toxique sont présentes sur la coupe, le fait de la rincer après chaque utilisation ne suffit pas à les éliminer. Voilà pourquoi il est primordial de la faire bouillir à la fin du cycle menstruel. On n’a malheureusement peu de données à propos de la corrélation entre la coupe menstruelle et le choc toxique, et, comme celui-ci est rare, on n’en aura probablement jamais. On ne peut donc pas affirmer, du moins pas encore, que les coupes sont meilleures que les tampons sur le plan médical, mais elles restent un choix valable pour bien des femmes.

Dans votre livre, il y a un chapitre intitulé «Internet Hygiene» [L’hygiène sur Internet], qui porte sur la façon de faire des recherches en ligne à propos de notre santé. Pourquoi était-ce important de l’inclure?

Quand mes enfants étaient très malades, je suis tombée dans le trou noir de la désinformation et des données contradictoires sur le web. À un moment donné, j’ai même envisagé d’emmener mon fils, qui a une paralysie cérébrale, à une clinique de cellules souches, ce qui est complètement inutile dans son cas. C’est là que ma réflexion sur la façon dont les gens accèdent aux informations en ligne s’est amorcée. Il est difficile de dire aux gens où ils peuvent obtenir des renseignements valables, parce qu’on ne sait jamais si un article est bien documenté ou non. Par contre, il existe des trucs pour démêler le vrai du faux. Voici quelques notions de base: demandez-vous à qui profitera l’information véhiculée ou si quelqu’un essaie de vous vendre quelque chose; si c’est le cas, méfiez-vous. Ne vous fiez pas seulement au titre: lisez l’article jusqu’à la toute fin, puis vérifiez le contenu auprès de sources fiables, comme Santé Canada, avant de les partager avec votre entourage. Gardez en tête que les avancées en médecine sont lentes; s’il existait des remèdes miracles, les médecins le sauraient. Et il y en a, des miracles! Le vaccin contre le VPH, par exemple. Une avancée spectaculaire, qu’on essaie de rendre accessible à tous.

Vous avez qualifié la médecine de «désespérément patriarcale». Les femmes qui se tournent vers certaines des thérapies alternatives que vous décrivez dans votre livre peuvent se sentir rejetées ou incomprises par leurs médecins. Que devraient-elles faire pour s’occuper de leur santé dans ces cas-là?

Le médecin britannique Ben Goldacre a dit, en bref: “S’il y a un problème avec l’industrie du transport aérien, la solution n’est pas d’investir dans des tapis volants.” J’admets que la médecine moderne comporte d’énormes lacunes, surtout en ce qui a trait à la santé des femmes, et c’est pourquoi je fais le travail que je fais. Parfois, j’ai l’impression d’être l’attachée de presse de la médecine. J’essaie de l’améliorer.

The Vagina Bible, Dre Jen Gunter, Random House of Canada, en librairie.

NDLR: Le terme «femme» est utilisé pour alléger le texte, bien que ce ne soit pas seulement des femmes qui possèdent des vagins.