Tapis dans nos chambres d’écho, écouteurs greffés aux oreilles, avons-nous oublié de nous parler? Est-ce naïf, voire utopique, de croire que c’est là un geste important et banal de cohésion sociale et d’un bon vivre-ensemble? Mon père disait souvent, et si justement: «Il est plus important de bien s’entendre que de vouloir avoir raison.» Aux États-Unis, pour contrer la polarisation toxique qui fracture la société, l’art de la conversation est enseigné et encouragé. Depuis six ans, il existe même une semaine nationale de la conversation chez nos voisins du Sud.

C’est pour cette raison que le concept des bibliothèques humaines, inventé au Danemark, me fascine. Plutôt qu’un livre, c’est un humain que l’on emprunte à la bibliothèque pour apprendre à le connaître. On discute face à face avec lui pour aller au-delà des apparences et faire tomber les préjugés.

J’essaie, pour ma part, de collectionner les conversations fortuites. Dans la file d’attente, sur un banc de parc, au coin d’un boulevard, j’espère toujours vous entendre. Pas besoin d’être grandiose, je n’en demande pas tant. Les histoires des autres seront toujours plus vivantes que ce qui se passe sur l’écran de mon téléphone. Partagez avec moi l’angoisse que suscite une présentation orale, parlez-moi de la peine d’amour dont vous ne vous remettez pas, faites-moi entendre la chanson que vous écoutez en boucle, racontez-moi l’histoire derrière cette jolie bague que vous portez au doigt.

«Parlons-nous, écoutons-nous, surtout.»

Quand vous me décrivez votre dernier tatouage, j’accepte mieux celui de ma fille. Quand vous me racontez les collines et les lumières de votre pays, toutes mes défenses tombent. Et quand vous me faites le cadeau des derniers moments avec votre mère, mes larmes se mêlent aux vôtres.

Rappelons-nous que nous sommes tous plus semblables que différents, en quête d’amour, de chaleur, de bien-être pour nos parents, nos enfants, dans cette vaste expérience humaine que nous partageons.

Parlons-nous, écoutons-nous, surtout.

On peut ne pas être d’accord, ne pas croire aux mêmes dieux, ne pas partager les mêmes traditions ou la même texture de cheveux. Mais abreuvons-nous de nos vécus respectifs, posons-nous des questions (oui, c’est encore possible!), laissons tomber la gêne, la méfiance, le jugement ou la peur — et la peur de quoi, au juste?

Après avoir traversé tous les continents, jamais je n’aurais cru entrer chez une femme juive hassidique au coin de ma rue. Trop éloignées dans nos vies et croyances respectives. Or, j’ai passé récemment un formidable moment chez ma nouvelle amie, Chany (à lire bientôt sur ellequebec.com). Au final, le bonheur, c’est les autres. J’essaie de me le rappeler dans mes projets télé, dans ma vie quotidienne et de l’aborder dans les pages qui suivront. Cette occasion de transmettre un petit bout de mon univers et de mes convictions est un immense privilège, que je savoure avec humilité et fierté. Je me souviens encore d’avoir ouvert mon premier ELLE Québec en septembre 1989, avec Linda Evangelista en couverture. Aujourd’hui, c’est au tour de Safia de jouer la covergirl et ça me réjouit grandement.

Je vous souhaite d’étonnantes et enrichissantes rencontres et, je l’espère, de belles conversations à la suite de votre lecture.

Photo Andréanne Gauthier
Stylisme: Vanessa Giroux
Mise en beauté Sophie Parrot

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