À l’époque où on est souvent seule derrière notre écran, on a parfois besoin de renfort pour un événement ou une tâche en particulier. On fait quoi quand notre père a disparu de la carte, quand nos amis habitent une autre ville, quand notre mère a un agenda digne du premier ministre?

Symptôme de notre solitude collective, la location de proches bat son plein. De nombreuses entreprises ont flairé la bonne affaire: elles ont démocratisé ce genre de services à grands coups d’applications nichées et audacieuses. Et ça marche…

Veux-tu être mon ami?

Fondé par Scott Rosenbaum, qui ne s’expliquait pas pourquoi il y avait tant de sites de rencontres amoureuses pour si peu d’équivalents amicaux, RentAFriend étend maintenant ses tentacules platoniques partout sur la planète. Plus de 621 000 amis sont actuellement offerts en location.

Des exemples? Amélie, qui connaît Montréal comme le fond de sa poche et qui propose aux nouveaux arrivants de les prendre sous son aile. Cynthia, qui étudie en psychologie et qui aime écouter les gens. Olivier, qui a envie de partager sa passion pour les sports nautiques avec quelqu’un.

Ces amis rémunérés jouent tour à tour les coachs de vie, les guides touristiques, les entraîneurs privés, les professeurs d’espagnol… Des hommes et des femmes de tout âge et de tout horizon. Selon notre position géographique, on écume les profils, on se magasine un ami comme une paire de souliers.

Et l’amitié vient à un prix plutôt accessible – environ 10 $ l’heure. Mais on peut négocier à la baisse, surtout si on cherche un ami pour un week-end à Key West, tous frais payés.

Tromper la solitude

La prolifération de sites comme RentAFriend ne surprend pas la psychologue Julie Roussin: «De nos jours, les gens se retrouvent souvent seuls: plus de célibataires, moins de contact avec la famille élargie, parentalité tardive… Il est difficile de se trouver des amis, surtout après les études. On ne se gêne plus pour dire qu’on veut rencontrer l’amour, mais rares sont ceux qui admettent chercher des amitiés. Pourtant, on a tous ce besoin vital d’échanger, d’être écoutés, de se faire rassurer et de partager des expériences.»

Selon une vaste étude menée par la BBC, une personne sur trois se dit socialement isolée. Et on ne parle pas que de personnes âgées: les adultes ne comptent généralement que deux confidents potentiels dans leur entourage.

Briser la solitude, on comprend bien. Mais l’amitié peut-elle vraiment être marchandée? Si notre copine de location éclate de rire après une de nos célèbres blagues, la trouve-t-elle vraiment drôle… ou a-t-elle seulement besoin de financer les réparations de sa voiture?

«Un vrai ami nous écoute parce que ça lui tente, pas parce qu’on le paie, rappelle Mme Roussin, psychologue. Mais même s’il y a de l’argent en jeu, la relation peut être bienveillante et authentique. Ce peut être une bonne façon de combler un manque. Après tout, payer pour être écouté, ça existe depuis longtemps.»

Prenons l’exemple d’un coiffeur, d’une barmaid ou d’un thérapeute… Obtenir du social ou de l’affectif contre de l’argent, ce n’est pas nouveau.

«On peut avoir plusieurs raisons de solliciter ce genre de services: difficulté à entrer en relation avec les autres, déménagement, séparation, trouble de santé mentale – comme l’autisme ou la phobie sociale –, explique Mme Roussin. C’est un peu excentrique, oui, mais est-ce nuisible? Je ne crois pas.»

Oui, je le veux!

Organisée, calme et élégante, Jennifer Glantz a toutes les qualités requises pour être une parfaite demoiselle d’honneur… et ses amies ne s’en sont pas privées!

Un soir, à la blague, elle met une petite annonce sur Craiglist pour offrir ses services professionnels. Le lendemain matin, des centaines d’invitations l’attendent dans ses courriels.

Soufflée par la réaction, la jeune femme fonde Bridesmaid for Hire. Pour un prix oscillant entre 300 $ et 2000 $, Jennifer remplace au pied levé une demoiselle d’honneur en brouille avec la mariée, seconde les tourtereaux dans l’écriture de leurs vœux, éloigne les oncles imbibés d’alcool qui enterrent les discours… Elle a même déjà offert son soutien-gorge à la mère de la mariée, qui avait oublié le sien!

«La plupart de mes clientes ont de nombreuses amies, mais elles veulent que leurs proches profitent pleinement de l’événement, explique la première demoiselle d’honneur professionnelle du monde. Les mariées veulent une thérapeute sur appel, une assistante personnelle, une médiatrice… Elles préfèrent confier ces responsabilités à une inconnue!»

Passe-t-elle ses nuits à calmer des futures mariées en panique? Non, car contrairement à une amie, qui ne compte pas ses heures, Jennifer est une aide professionnelle qui établit ses limites dès le départ: «Nous convenons de rendez-vous téléphoniques et de moments pour se rencontrer en personne. Mais oui, je tisse parfois avec les mariées de vrais liens d’amitié qui durent après l’événement!»

Depuis 2014, Jennifer a soutenu plus de 150 mariées aux quatre coins des États-Unis. Elle offre maintenant une formation pour celles qui voudraient suivre ses pas… et vient tout juste de se fiancer! Avis aux intéressées: elle prévoit engager une demoiselle d’honneur pour lui prêter main-forte.

Réinventer sa famille

Des acteurs pourraient-ils un jour interpréter notre famille de rêve? C’est chose faite au Japon, où des entreprises comme Family Romance annoncent joyeusement leurs services en pleine télévision nationale.

Amoureuse, conjoint, père, mère, nièce, enfant… Les 800 acteurs de la banque de données peuvent jouer tous les rôles, que ce soit pour quelques heures, une journée, un week-end, voire plusieurs années.

Ces interactions à la carte sont modelées selon les lubies de chaque client. Un veuf peut exiger que non seulement la personne rémunérée ressemble physiquement à son épouse défunte, avec une fossette sur la joue gauche, mais qu’elle calque également la moindre de ses manies. Une autre cliente peut réserver les services d’un père bienveillant qui cuisine des crêpes, alors que son vrai paternel était froid et absent. Les relations sont mises en scène, réglées au quart de tour. De quoi inspirer les scénaristes de Black Mirror!

Le célibat étant souvent mal vu, des jeunes femmes japonaises se louent des amoureux d’occasion, histoire d’avoir la paix lors des retrouvailles en famille. Elles déboursent environ 120 $ pour un accompagnateur dans un mariage, 145 $ pour une sortie entre amis. Pas trop cher payé pour museler les fatigants et les mauvaises langues!

Le hic? La location de proches crée parfois une dépendance. De 30 % à 40 % des femmes finissent par demander à leur mari de location de les épouser, selon le propriétaire de Family Romance. D’autres sont tellement enchevêtrées dans leurs mensonges qu’elles en viennent à devoir organiser un faux mariage. Mais rassurez-vous, l’entreprise peut vous aider, moyennant 60 000 $. L’histoire ne dit pas s’ils offrent aussi un service de faux divorce.

Les agences de location excellent dans l’art d’exploiter la crainte des apparences. Qu’on souffre de solitude est une chose, mais il ne faudrait surtout pas que le voisin le sache.

En 2020, on trouve de tout, même…

…un papa

On déménage? On prévoit assembler une bibliothèque suédoise en 32 étapes obscures? On doit négocier un prêt auto, un bail, un contrat avec un entrepreneur général? On a des soucis avec nos impôts, notre climatiseur, notre fichier Excel? Hop! on recrute un papa de service pour quelques heures.
rent-a-dad.nyc

…une maman

Pour 40 $ l’heure, on bénéficie des sages conseils de notre maman de location autour d’un chocolat chaud ou d’un chardonnay. Pas de comparaison avec notre grande sœur, pas de crottes sur le cœur parce qu’on a oublié de la rappeler le samedi 10 avril 2004. Notre maman locative nous écoute sans jugement, corrige notre CV, repasse notre chemisier… Elle peut même réchauffer nos soirées en nous mitonnant une sauce
à spaghetti avec amour!
needamomnyc.com

…une grand-maman

Besoin d’une nounou pour dorloter les enfants, le pitou et la maison? On recourt aux services d’une grand-maman, sucre à la crème en prime! Aux États-Unis, Rent-a-Grandma vient à la rescousse des familles à bout de souffle, tout en aidant des femmes âgées à briser la solitude et à rester active sur le marché du travail. On peut même commander des galettes d’avoine aux raisins sur le site web! rentagrandma.com

Voyager comme un influenceur

Fini les perches à selfie et les photos désastreuses, prises par de parfaits inconnus! On peut maintenant partir en vacances avec notre photographe perso, façon Beyoncé. On prévoit une escale romantique à Paris ou une virée entre amis à New York? Les sites Shoot My Travel ou Flytographer nous permettent de réserver le photographe de notre choix en consultant les portfolios classés par destination. De Tahiti à Oslo, en passant par Lima, Cracovie et Mont-Tremblant, tout le globe est à un clic.

Notre photographe privé peut nous entraîner dans les spots les plus instagrammables de son coin de pays et nous croquer sur le vif, le vent dans le brushing, l’air parfaitement candide. On oublie notre cellulaire pour mieux se concentrer sur le moment présent!

Demande en mariage surprise, tour de ville, photographe qui nous suit non-stop, livraison express pour enflammer les réseaux sociaux en temps réel… Il existe des forfaits pour toutes nos ambitions esthétiques, à partir de 200 $ US. Localgrapher offre même le service de vidéographes pour les adeptes du septième art. Un service clés en main, like non inclus.

shootmytravel.com ou localgrapher.com ou flytographer.com

À la petite cuillère

On traverse une période difficile? Fini le spa, la crème glacée ou le chocolat! Pour le prix d’un massage, soit environ 80 $ l’heure, on peut se louer les services d’une cuddler professionnelle qui fera la cuillère avec nous.
cuddleuptome.com

Toujours reclus?

La location de grandes sœurs est d’un précieux secours pour l’entourage des hikikomoris, ces jeunes hommes qui vivent totalement coupés du monde pendant de longues années. Ils ne sortent jamais. Ni pour étudier, ni pour travailler, ni même pour acheter du dentifrice. Les grandes sœurs sont engagées pour écouter, gagner la confiance et faciliter graduellement la réintégration de ces ermites, évalués à plus d’un demi-million au Japon. Une petite touche d’humanité… qui change des vies!