Je suis une adepte des voyages de formation. Pendant plusieurs années, j’ai consacré mes printemps à l’approfondissement d’un style musical, et je l’ai fait aux quatre coins du monde. J’ai étudié le takos à Tokyo, le flamenco à Séville, la darbouka en Turquie, les batas à La Havane, le djembé dans différents pays d’Afrique de l’Ouest. Facile de comprendre le principe! Mais, en 2013, quand j’ai jeté mon dévolu sur Ubud pour y étudier le gamelan (ensemble traditionnel de musique indonésienne), j’étais loin de me douter que j’y vivrais aussi une expérience new age transformatrice. Un rebirth, pour ne pas le nommer! Moi, la fille terre à terre à l’extrême, prosaïque et concrète, j’allais être plongée dans une aventure spirituelle intense, qui s’apparente probablement à un voyage astral. Même des années plus tard, quelque chose m’empêche encore de nommer sans gêne ce moment pourtant délicieux et unique que j’ai connu un jour pluvieux de mai en plein cœur des rizières luxuriantes de Bali.

«Moi, la fille terre à terre à l’extrême, prosaïque et concrète, j’allais être plongée dans une aventure spirituelle intense, qui s’apparente probablement à un voyage astral. »

C’était quelque part au milieu du voyage. Je consacrais mes après-midi aux cours de percussions diverses, mais le matin, comme j’avais déjà plusieurs cours de yoga dans le corps, je suivais les différentes techniques offertes dans ce paradis mondial du yoga qu’est Ubud. Une école m’avait charmée plus que les autres: Radiantly Alive Yoga Studio (toujours ouverte d’ailleurs, pour celles qui auraient l’âme yogique). Entre les cours de hatha, de vinyasa, d’ashtanga et d’autres pratiques spécifiques, une proposition sortait du lot: un rebirth — ou une renaissance. Tout ce que j’avais en tête à l’évocation de ce terme me renvoyait directement aux seventies: j’imaginais des hippies en tuniques diaphanes, colliers de fleurs au cou, pratiquant l’amour libre, respirations profondes en sus.

Je n’avais pas tout à fait tort, car la technique du rebirth (ou respiration continue) est bel et bien née à cette époque — au début des années 1970, plus précisément — et a été mise au point par l’Américain Leonard Orr dans la foulée du courant des thérapies humanistes offertes 10 ans plus tôt. Qu’avait-il de particulier, ce courant? Il ouvrait le champ thérapeutique aux dimensions corporelles, sensorielles et spirituelles de l’être. Deep, non?

J’ai souscrit à l’atelier par curiosité et, probablement un peu aussi, par ennui, mue par une espèce d’énergie du «pourquoi pas?». Le matin du fameux cours, j’ai enfourché ma bicyclette, puis j’ai avalé la vingtaine de kilomètres de terre battue qui me séparait de la ville d’un coup de pédale, mi-suspicieuse, mi-indifférente. Arrivée au studio, j’ai gravi les escaliers, mon tapis de yoga sous le bras, et me suis étendue sur la surface osseuse du plancher de bois, ouverte à l’aventure, mais pas trop.

C’est un thérapeute qui dirigeait la séance, flanqué d’assistants bienveillants qui déambulaient entre les corps respirants, s’assurant constamment de notre bien-être individuel et collectif. Il nous a expliqué la technique: une inspiration profonde, suivie d’une expiration vigoureuse, le tout effectué sans arrêt, afin de créer une respiration amplifiée en continu. L’hyperventilation aurait pour effet de réveiller des traumas de l’enfance enfouis dans le corps. La réactivation permettrait ensuite la libération desdits traumas, sortes de souvenirs physiques inconscients.

Plusieurs éléments inattendus peuvent survenir pendant une séance de rebirth: émotions intenses, pleurs, cris, manifestations d’agressivité. J’ai d’ailleurs tout entendu lors de cette séance: des cris primaux aux pleurs déchirants, en passant par les invectives violentes. Tellement que je me suis dit que je n’étais pas réceptive à cette technique mystique (aucune surprise, là). Pas plus grave, ça me ferait une bonne anecdote de voyage à raconter au retour. Et puis, au fond, j’étais arrivée là sans attente; alors, ce n’était pas vraiment décevant en réalité… Je n’allais être ni soulagée ni transformée par cette séance… Je commençais même à douter de la véracité des réactions des autres participants, franchement désinhibés, voire histrioniques.

Jusqu’à ce que… 

En retard sur tout le monde, tout juste avant que ne se termine la période d’hyperventilation collective, je me suis mise à voir défiler au-dessus de moi une mosaïque — hallucinante! — de couleurs vives. Une aurore boréale multicolore. Athée depuis l’adolescence, j’ai eu l’impression d’être en présence d’un dieu ou de quelque chose de ce genre. Une énergie plus grande que moi, la vision psychotronique d’un lien innommable et invisible entre les vivants. Une puissance, une présence, une protection. Puis, dans un état de béatitude total, je suis sortie de mon corps. Carrément. J’ai touché au divin, à l’astral, à l’intangible. Je suis née à nouveau. Aucun cri, aucuns pleurs, aucune agressivité dans mon cas, juste une overdose de beauté. Ce dont j’avais besoin. Très exactement.

Je suis sortie de là un peu sonnée, dans un état altéré, mais totalement ancrée dans le moment présent. Plus rien n’existait d’autre que l’ici, le maintenant. J’étais souveraine, j’étais vivante, j’étais bien. En paix. Je ne connais rien à la foi, mais cette expérience unique, intangible et volatile m’a fait croire en la vie. Tout simplement.