Yoga chaud, entraînements privés, méditation, pleine conscience: la pratique du mieux-être est un luxe qui exige du temps… et bien souvent de l’argent. Mais qui en profite réellement et qui en est exclu? Dans son plus récent livre, Who Is Wellness For?, l’autrice et artiste d’origine bangladaise Fariha Róisín (elle est née à Kitchener, en Ontario, a grandi à Sydney, en Australie, et vit aujourd’hui à Los Angeles, en Californie) se penche sur la marchandisation des méthodes de guérison ancestrales issues du monde entier. Une industrie sélecte qui repose sur la sagesse des peuples noirs, métis et autochtones, mais dont ces peuples sont exclus. On a discuté avec Fariha de la rentabilisation de ces pratiques, de leurs véritables bienfaits, d’inclusion et de responsabilisation.

Quelle était votre intention en écrivant votre dernier livre? 

Le moment est venu de nous demander comment nous pouvons aider le monde à tourner plus rond en ces temps éprouvants. L’industrie du mieux-être a pris des proportions cyclopéennes, et personne ne s’est vraiment penché sur ce phénomène monstre auquel nous participons. Ce livre est donc le fruit de ma propre analyse; c’est un cri de ralliement au nom de la justice, mais aussi, je l’espère, un outil éducatif.

Vous vous intéressez entre autres à la commercialisation à outrance des traditions de guérison. Pouvez-vous nous donner quelques exemples? 

Oui, il y a notamment la méditation, le yoga et les plantes médicinales comme l’ashwagandha. Il est essentiellement question des connaissances issues des coutumes, des normes et des traditions du Sud global, et qui y sont utilisées depuis des milliers d’années. Les gens ont une vision tronquée de ces pratiques parce qu’elles sont souvent déconnectées de leur contexte, et il est grand temps de se demander pourquoi on laisse faire ça. 

Comment percevez-vous cette dissociation? En tant que société, que perd-on en coupant les pratiques de mieux-être de leurs racines ancestrales?

On se prive de la culture, des gens, des lignées familiales et de l’histoire qui s’y rattachent. Je suis d’origine sud-asiatique et je me sens complètement effacée de la culture populaire dominante nord-américaine. Nos pratiques traditionnelles sont tellement présentes dans les espaces liés au mieux-être… alors que nous en sommes absents. Combien de Sud-Asiatiques croise-t-on dans les cours de yoga? Je pense constamment à ça.

Comme immigrée chinoise de première génération, je comprends tout à fait ce paradoxe. On aime ma façon de m’habiller et ma cuisine, mais on me perçoit comme une éternelle étrangère. Ça me pousse à me demander où tracer la ligne entre appréciation culturelle et appropriation culturelle… 

Le meilleur moyen de montrer son appréciation culturelle est de payer le juste prix pour ce qu’on retire de cette culture. Par exemple, une professeure de yoga blanche pourrait reverser 15 % de ses profits à un agriculteur indien. Il y a tellement de façons de redonner aux cultures grâce auxquelles on s’enrichit. Quand on commence à le faire, ça devient de l’appréciation et non plus de l’appropriation.

Pensez-vous que plus on banalise ces pratiques, en les réduisant à de simples tendances, plus on s’éloigne de la guérison véritable? 

Absolument. Le capitalisme a transformé l’Amérique et le monde entier en enfant-roi. Un processus de guérison véritable exige qu’on soit honnête avec soi-même et avec les personnes de son entourage. Une grande partie de mon cheminement de guérison personnel a consisté à assumer mes responsabilités en tout temps. On peut faire des erreurs, mais on doit reconnaître notre part de responsabilité dans ces erreurs. Plusieurs ont peur d’avoir ce genre de conversation avec eux-mêmes, parce que le capitalisme a rendu les gens complaisants. 

Comment chacun d’entre nous peut-il contribuer à rendre l’industrie du mieux-être plus inclusive? 

En permettant aux personnes qui sont à l’origine de ces pratiques de les enseigner. J’aimerais qu’il y ait plus de professeurs de yoga indiens, par exemple, et que des écoles de guérison gratuites permettent à davantage de Sud-Asiatiques d’apprendre leurs coutumes. L’industrie du mieux-être doit écouter ce que ces gens veulent. En tant qu’individus, on doit commencer à fréquenter ces lieux et à se demander de quelle façon on participe à l’industrie du bien-être. Car ce que nous faisons, achetons et disons a plus d’impact que nous ne le croyons.

Quel est le premier pas vers la responsabilisation?

Il faut savoir qu’on ne peut pas imposer cette prise de conscience. Il faut faire preuve de délicatesse. Mais le discours doit changer. Nous devons jeter entre nous des ponts qui mettent en lumière notre humanité et montrer que c’est la seule façon de parvenir à la décolonisation du mieux-être. Je crois que des discussions comme celle-ci sont essentielles, parce que l’éducation se fait de façon macroscopique. Nous sommes tous en train d’apprendre à nous comporter de façon plus consciente les uns envers les autres.

Quelles paroles de sagesse transmettriez-vous à quelqu’un qui commence son cheminement vers la guérison? 

Agissez avec intention. Soyez honnête. Soyez curieux. Ne vous laissez pas aveugler par les beaux discours. Trouvez votre propre définition du mieux-être. Soyez reconnaissant envers le savoir des autres, et laissez cette gratitude vous emplir d’humilité. Jouez votre rôle sur cette planète de façon éthique, sans chercher à l’exploiter. Et quand vous le pouvez, donnez plus, toujours plus. 

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