J’ai toujours marché vite. D’aussi loin que je me souvienne, ça m’a toujours ennuyée de flâner. J’effectue des «dépassements» par la droite sur les trottoirs; et même quand, dans mon temps libre, je vais marcher en forêt, je double souvent les randonneurs. Pas par esprit de compétition, mais par désir de rentabilité.

C’est probablement pourquoi j’aime autant la course; je peux avaler des kilomètres en cinq minutes bien tassées et admirer le paysage en accéléré. Même quand je fais du sport, je suis d’une redoutable efficacité.

Et puis, l’an dernier, j’ai eu un accident de vélo. Clavicule cassée, commotion cérébrale. L’ambulance a roulé très vite jusqu’à l’hôpital, et je n’ai pas pu savourer ce privilège. Sur la civière, le temps était au ralenti. La semaine qui a suivi l’accident, je suis restée chez mes parents et je n’ai rien fait. Pas de lecture, pas de téléphone, pas de télé: il fallait que je laisse ma tête se reposer.

Pour la workaholic que je suis, c’était une première. En temps normal, la seule perspective de ne rien faire m’aurait semblé un châtiment suprême. Et pourtant, la tête dans la brume, cette situation me paraissait tout à fait logique. Quel était le but d’abattre autant de travail en une seule journée? À la seule pensée de mes semaines pleines à craquer, j’avais le vertige, et la vie que j’avais menée jusque-là me semblait relever de la science-fiction.

En revenant à Montréal, j’avais prévu manger avec une amie. On s’était donné rendez-vous au coin de la rue. Ce trajet, que je parcourais habituellement en 2 minutes, m’en a pris 15. Pas de musique dans les oreilles, pas de course, pas d’arrêt en chemin. Je me rendais à la pizzéria, point. Doucement.

En croisant mes semblables, à la course, le téléphone à l’oreille, des paquets et des sacs plein les bras, je me disais: «Mais qu’est-ce qu’ils ont tous à courir? C’est de ça que j’ai l’air normalement? Quelle horreur!» Je me suis fait la promesse de ralentir le pas lorsque je serais remise sur pied. Pour de vrai. Arrêter de m’essouffler dans tous les sens et prendre le temps de marcher.

Puis, la vie a repris son cours. Mes projets accusaient du retard, et j’ai regagné ma vitesse de croisière, toujours au même rythme fou, avec quelques bobos en plus, rappel inéluctable de ma chute et de mes promesses silencieuses. «Quand ce sera fini, je ralentis pour de vrai», me répétais-je.

La vérité, c’est que je suis guérie, et que j’ai toujours cette curiosité et cette soif de projets perpétuelles que je n’arrive pas à étancher. Mes semaines débordent encore, mais maintenant, entre mes pérégrinations et mes mille et un projets, je ralentis. Quand je marche pour aller faire les courses, je laisse mon télé- phone dans mes poches. J’observe les gens, les arbres, les maisons. Je respire profondément et, pour un instant, j’arrête de courir.