Mais une autre partie de moi n’a pas envie de s’excuser, car sachez que ce n’est que le fruit du hasard.

Je crois fermement que si cette crise était arrivée à une toute autre année de ma vie, elle aurait eu des effets catastrophiques sur ma santé mentale, mon couple, ma famille et ma carrière. Elle aurait pu m’anéantir, m’insécuriser, me traumatiser à jamais.

Mais elle est arrivée au meilleur moment. Au moment où j’avais besoin que tout s’arrête. Au moment où j’avais envie de vérité. De lenteur. D’une pause.

Au moment où pour la première fois dans ma vie j’ai des économies.

Au moment de ma vie où j’ai envie de rester à la maison. Sans grands soupers d’amis où on dit tout sans ne jamais rien faire.

Une vie qui ressemble à mon enfance: les mêmes gens, tous les jours, le même paysage, les mêmes banalités, une routine infinie et sécurisante, parsemée de potins de village aussitôt oubliés. Mon enfance rural, simple, pleine d’amour même sans grand je t’aime.

Elle m’a permis de vivre ma vie de famille rêvée: mon amoureux à mes côtés, à chaque jour, à chaque nuit, à chaque repas. De nos cinq années d’amour, jamais on n’a passé autant de temps ensemble, bien que j’aie rêvé de cet amour fusionnel depuis nos débuts. Je pensais qu’on se connaissait déjà beaucoup, mais non. Là, on s’est connus, au plus profond de qui on est, on s’est liés, on s’est compris, on s’est aimés. Oui oui, il y a eu des chicanes, et larmes à bout de nerfs, stressés, fatigués, apeurés, mais dans la proximité, on s’est retrouvés plutôt que de se perdre.

On ne s’est jamais autant aimés car on n’a jamais eu autant la chance de connecter ensemble.

Si c’était arrivé en 2018, je ne sais si notre couple aurait survécu.

Si c’était arrivé en 2019, mon identité, elle, n’aurait pas survécu.

Comme je le disais au départ, aucun autre moment de ma vie ne m’aurait permis de dire que cette pandémie est la meilleure chose qui me soit arrivée.

Je me suis retrouvée. Je me suis découverte. J’ai compris que je ne suis pas tout ce que je pensais être, et ma réflexion n’est même pas terminée à ce sujet.

Est-ce que j’ai toujours été une fille de campagne ou suis-je simplement exténuée du rythme effarant de ma vie des 20 dernières années? Est-ce que j’ai été dans le déni sur mon identité propre ou suis-je juste prête à vivre autre chose qui me reconnecte à qui je suis? Est-ce que je profite de la nature et de cette lenteur sans excès parce que ça me ressemble ou parce que je suis complètement à bout de souffle du sprint de ma vie à la ville et du monde artistique, ce milieu affolant de performances et d’obsessions d’être CHOISIE.

Je ne sais pas encore. Mais j’ai encore beaucoup de temps pour le réaliser.

Quoique non. J’ai du boulot. Trop de boulot. Plus que tout le monde. Autre hasard. Il y a des années de cela, j’ai changé de job sans savoir que je m’assurerais d’un travail pendant une pandémie mondiale qui foutrait tout le monde au chômage.

Et me voilà sans peur de perdre mes grands-parents. Ils sont tous décédés. Grand-maman, tu es partie l’an passé. Je n’ai plus à avoir peur de te perdre. J’aurais été affolée par l’idée que tu quittes ce monde seule. Affolée. Mais je n’ai pas eu à le vivre. Car cette fois-ci, la vie à décider de m’épargner.

J’ai eu mon lot de crises d’anxiété dans les dernières années. Et voilà que lorsque l’angoisse monte en flèche dans le monde, elle disparaît du mien.

J’ai eu mon lot de problèmes financiers. Et voilà que la bourse krach au moment où mon compte en banque commence à prendre du mieux.

J’ai eu mon lot de problèmes amoureux. Et voilà mon amour, dans mes bras, à me souffler à l’oreille de nouveaux engagements et de nouvelles promesses.

Je suis bien, isolée, près du fleuve. Laissez-moi le respirer encore. Donnez-moi encore des dizaines de couchers de soleil. De verres de vin à deux mètres de ma famille et de mes amis d’enfance. Aurais-je donc perdu ma vie à essayer de créer un bonheur alors qu’il était tout près?

Est-ce seulement un répit? Vais-je bientôt sombrer dans l’ennui?

Est-ce ton sourire, mon fils, qui comble tous ces vides qui me guettent? Est-ce la chance de te voir grandir à la seconde près qui me fait oublier les morts qui s’accumulent et les familles endeuillées? Est-ce la simple réalisation que ce virus ne peut pas t’emporter, que tout ce qui compte, c’est que tu vives en santé?

Est-ce l’amour qui me sauve ?

Est-ce seulement le hasard? Le hasard. Car comme je le répète depuis tout à l’heure, si cette pandémie était arrivée lors de n’importe quelle autre année, ma vie serait, comme celles de bien d’autres, un enfer à traverser.


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