N’aspirant ni à être mince ni à être à la mode, je ne peux pas dire que je me sente personnellement interpelée par ce présage ni que je sois vraiment surprise, d’ailleurs.

D’une part, parce que le retour criard de la mode de mon adolescence en était déjà le signe annonciateur. Les tendances du tournant des années 2000, sans le diktat de la minceur, parviendraient difficilement à expliquer l’obsession des designers pour le jeans à taille basse (… et que dire du manteau d’hiver à bedaine). Les filles de ma génération ont connu le look heroin chic et ont bien compris que l’accessoire mode ultime, c’était le ventre plat et les formes contenues qui nous «autorisaient» ou pas à suivre les tendances.

D’autre part, parce que le diktat de la minceur n’est jamais vraiment parti. Le mouvement body positivity a certes fait du bruit et du chemin, mais il n’est jamais devenu socialement répréhensible d’être mince ni acceptable d’être grosse. Si la minceur comme accessoire mode fait aujourd’hui un comeback, la minceur comme objectif physique et comme valeur morale n’a pas pris de pause. Les fourches de pantalon ont simplement gagné en tissu pour un moment, parce que même les filles minces en ont eu ras-le-bol de devoir se gérer la raie au moindre mouvement.

La hiérarchie des corps n’a pas pour autant été bouleversée, et les silhouettes que l’on glorifie sont demeurées des variations sur un même thème. Pour preuve, indépendamment des tendances du moment, chaque printemps amène la prescription du summer body, soit un d’un corps plus mince, plus défini, d’apparence plus jeune, parce qu’il faut, quand on est femme, mériter même sa place au soleil.

En réaction à cette injonction, le mouvement body positivity veut rompre avec l’homogénéité en multipliant les silhouettes que l’on met de l’avant par souci de représenter et de célébrer les corps réprimés et humiliés.

D’un autre côté, et je suis plutôt de cette allégeance, le mouvement de body neutrality invite à cesser de faire du corps sous toutes ses formes un objet à modeler selon les tendances, à glorifier, puis à remiser selon les années. Nous ne sommes pas des accessoires à agencer aux tissus et aux breloques du moment.

Chaque «corps à la mode» est condamné à passer de mode, puis à s’effacer des magazines et des pages Instagram pour être remplacé par le prochain. Mais nous ne cessons pas d’exister chaque fois que les tendances nous gardent dans l’ombre, et le modèle qui nous a hiérarchisées ne peut pas être celui par l’entremise duquel nous nous réconcilions avec nous-mêmes.

Aujourd’hui, en marchant sur la plage sous le soleil des tropiques, l’échine bien droite dans mon deux-pièces qui laisse voir ma cellulite, mon ventre charnu et mes seins lourds, entourée de tant de corps différents, j’ai peine à croire que j’ai perdu tout ce temps à me chercher dans les tendances, quand je pouvais si aisément me trouver dans les autres femmes.

Même quand elles ne me ressemblent pas, j’ai bien plus en commun avec elles qu’avec l’idéal artificiel de la femme-objet, malléable et réduite au regard posé sur elle par une industrie milliardaire qui la somme de se subordonner à ses attentes subjectives.

La minceur prononcée, ou je ne sais quel autre impératif, peut bien annoncer son retour, moi, je serai dans mon corps insoumis en train de montrer à ma fille combien la pluralité des corps, contrairement aux tendances, est impérissable. Qui sait, peut-être que si personne ne leur apprend à haïr leur corps, les enfants n’auront même pas besoin d’apprendre à l’aimer, parce qu’ils et elles auront gardé le pouvoir de l’indifférence. 

Manal Drissi est une chroniqueuse et une autrice exilée dans la forêt.

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