Comment allez-vous célébrer la Journée mondiale des pauvres, vous autres? C’est le 17 novembre prochain, au cas où vous l’ignoriez. Une idée du pape François pour souligner la charité du Christ envers ceux qui sont dans le besoin. Je ne suis pas ici pour verser dans le prosélytisme, je vous rassure! Je ne crois pas particulièrement à Dieu ni à ses supposés représentants sur terre. Par contre, j’aime bien l’idée d’une journée consacrée aux pauvres. Ça fait changement de notre indifférence et de notre dédain habituels…

Les personnes en situation de pauvreté nous terrifient. Leurs vêtements nous rappellent que personne n’est à l’abri de la maladie, de la séparation, de la récession ou de la malchance. Leurs habitations à loyer modique nous rappellent qu’on ne fait pas grand-chose pour elles. Qu’on choisit de les juger, dans l’intimité comme en politique. On a beau se faire croire que les moins nantis sont maîtres de leur destin, on sait bien que le sort est cruel et qu’on l’est aussi.

Les pauvres nous font peur parce que personne ne veut devenir pauvre. Ils incarnent la précarité qui nous guette tous et toutes.

J’ai grandi en voyant ma mère travailler d’arrache-pied pour nourrir ses enfants. Comme tant de guerrières, elle a tout fait pour que nous ne manquions de rien. Mon père, malade, demeurait quant à lui dans un HLM. Nous n’avons jamais eu un sou en trop, mais nous étions riches en livres, en histoires et en tendresse. Ce n’est qu’en quittant le nid familial pour me lancer dans des études supérieures (merci à la «gratuité» scolaire) que j’ai découvert le véritable poids de la pauvreté. Comme plusieurs étudiants, j’ai jonglé avec des cennes et des miettes, mais je portais, en plus, le bagage familial. Celui d’une classe sociale où on est obligé de faire preuve de débrouillardise pour subvenir aux besoins de base. Une situation que connaissent 8 % des foyers québécois. Une injustice qui fait des ravages sur la santé mentale comme physique, allant jusqu’à réduire l’espérance de vie des personnes au portefeuille dégarni.

Début vingtaine, je devenais recherchiste télé. Un poste de privilégiée. Un soir d’hiver, tandis que je rentrais chez moi et qu’il faisait particulièrement froid, je me suis dit que j’étais bien dans mon nouveau manteau. Puis, je me suis arrêtée, troublée. Je possédais maintenant un vrai manteau d’hiver. Pas deux survêtements d’automne mis un par-dessus l’autre, mais un truc chaud conçu pour traverser les blizzards. J’ai pleuré tout au long des deux kilomètres qui me séparaient de la maison. Des larmes en forme de soulagement. Je ne me demandais plus quoi choisir à l’épicerie pour rentrer dans mon budget. Je n’avais plus peur de répondre au téléphone, de crainte que ce ne soit la banque qui cherche à me joindre pour que je règle mon défaut de paiement. Je n’étais plus pauvre. Je pouvais avoir chaud en plein février. Je pouvais respirer librement.

Mais pauvre un jour, pauvre toujours. Je ne vivrai jamais bien avec un réfrigérateur pas entièrement rempli et je garderai certains réflexes économiques à vie. Le 17 novembre prochain, je penserai donc à celles et ceux qu’on regarde de haut, sans réfléchir au fait que nos politiques publiques reflètent notre manque d’intérêt à leur égard. Je penserai aux utilisateurs de banques alimentaires, dont 10 % travaillent pourtant à temps plein. Je penserai aux mères qui bûchent au salaire minimum, aux nouveaux arrivants qui prennent soin de nos parents et à qui on donne le nom d’anges gardiens en échange d’un salaire de 13 $ de l’heure.

Je penserai surtout à ce que je pourrais faire pour que dignité leur soit rendue, plutôt que de passer mon temps à craindre de réintégrer leurs rangs. Et vous?

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