Foxy avait près de 15 ans lorsqu’elle est arrivée au refuge où je suis bénévole. Ses maîtres, qui voulaient s’en débarrasser, l’avaient égarée dans un autre quartier, et elle avait erré plusieurs jours avant d’être amenée par des policiers.

Ce n’était pas la plus jolie des chiennes. On aurait dit un croisement entre un dalmatien et une hyène. Sa fourrure était sale et rêche, et une tumeur au-dessus d’un œil déformait tristement son visage. Sa fiche médicale était longue comme ça! Ses dents étaient pourries. Elle souffrait de cataractes, d’une infection de la peau et d’otites aux deux oreilles. Elle avait des bosses un peu partout, un nodule sur une glande mammaire et, cerise sur le sundae, elle était sourde comme un pot. Pauvre Foxy!

Toutefois, je l’ai aimée à la seconde où je l’ai vue. À l’instar des responsables du refuge, qui ne se résignaient pas à abréger ses peines, je sentais chez elle un courage indéfectible et une immense rage de vivre. Lorsque j’allais la promener, elle marchait d’un bon pas, ivre de prendre l’air et de se dégourdir les pattes. Elle zieutait les écureuils, s’assoyait sagement pour recevoir un biscuit et se montrait amicale, même avec les inconnus.

Lorsque arrivait toutefois le moment de la remettre en cage, Foxy levait vers moi des yeux tristes et pleins d’espoir. Inscrite au programme d’adoption en soins palliatifs, la chienne attendait depuis des semaines qu’une âme charitable veuille bien la recueillir. J’étais si inquiète à l’idée qu’elle meure seule, abandonnée, que mon conjoint, par amour pour moi, a accepté qu’on l’adopte. Combien de temps lui restait-il à vivre? Nul ne pouvait le dire. On s’est promis de la soigner, de la couvrir d’amour et de l’accompagner jusqu’au pont de l’arc-en-ciel.

Il n’a fallu que quelques jours à Foxy pour apprendre les règles de la maison. En cela, Dina, notre chienne de 10 ans, nous a bien aidés. Elle est devenue ses yeux et ses oreilles, lui montrant où manger, où dormir, où se soulager dans le jardin… Foxy se collait à Dina comme du Velcro et retenait toutes les leçons.

Bien sûr, on a traité ses otites, sa dermatite et les dents qui la faisaient souffrir. C’était exigeant, on craignait beaucoup de lui faire mal, mais Foxy se laissait faire sans broncher. Elle gobait ses médicaments comme s’il s’agissait de friandises et tendait même le cou pour mettre sa collerette. Elle avait tant manqué d’attention que nos soins lui paraissaient sans doute plus doux qu’un câlin.

Sa vivacité et sa résilience nous étonnaient de jour en jour. Foxy mordait dans sa nouvelle vie tel un chiot. Elle découvrait le fromage, le melon d’eau et s’en léchait les babines, en plus de jouer à la balle comme si elle prenait part aux séries mondiales. C’était une vieille âme avec un cœur d’enfant. Elle courait après les bulles de savon comme après les papillons.

Je n’ai jamais compris comment une chienne sourdingue et presque aveugle pouvait gambader telle une antilope au milieu d’un parc canin. Mais elle bondissait dans tous les sens. Libre et fière.

+ Quelle énergie il y a en elle!, s’exclamaient les gens en la voyant.
+ On ne dirait jamais qu’elle a 15 ans!
+ Elle pense qu’elle est déjà morte et qu’elle est rendue au paradis des chiens, nous lançait-on à la blague.

Cela ne pouvait pas être plus vrai. Preuve que les neurones d’un vieux pitou fonctionnent encore à plein régime, Foxy a vaincu son anxiété, sa peur de la voiture. Elle a même appris à nager et à camper. Nos deux semaines avec elle et Dina en Acadie ont d’ailleurs été plus belles qu’un film de Walt Disney. Foxy était si douée pour le bonheur! Allongée devant la porte de la roulotte, elle nous regardait déballer notre matériel en humant les parfums apportés par la brise.

C’est au cours de ce voyage, j’en suis sûre, qu’elle a vu l’océan pour la première fois. On marchait vers la plage pour admirer le coucher du soleil lorsque Foxy a stoppé net, puis elle est restée au moins quatre minutes immobile à contempler l’immensité. Se demandait-elle si elle rêvait? Essayait-elle de comprendre le mouvement des vagues? Emmagasinait-elle pour l’éternité cette image d’une infinie beauté? Une chose est certaine, ce moment est gravé dans notre cœur à jamais.

Foxy a vécu quatre mois à nos côtés avant de s’éteindre. Mon conjoint affirme qu’elle était une surdouée qui a profité d’une dernière chance pour s’épanouir. Non seulement elle nous a tant donné avec son amour et sa confiance, mais elle nous a surtout appris que la vie n’est pas finie parce qu’on vieillit. Bien souvent, elle commence.

L’autrice de ces lignes a versé son cachet à la SPCA de Montréal, au nom de Foxy.

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