L’idée m’avait semblé bonne: tester pendant une journée les fameuses bottes Saint Laurent, ornées de 3000 cristaux chacune, que toutes les fashionistas (avec un salaire annuel à six chiffres) s’arrachent. Je m’imaginais déjà les enfiler de façon nonchalante, comme Rihanna quelques jours après le défilé. Finalement, la paire valant la modique somme de 13 000 $, on s’est dit que ce n’était pas une si bonne idée que je gambade avec la huitième merveille du monde aux pieds. Heureusement, les modèles à strass ne manquent pas cette saison. Je jette donc mon dévolu sur des bottes ultra-brillantes, qui pourraient me servir à envoyer des signaux de détresse.
À 8 h du matin, devant ma garde-robe, je n’ai rien à me mettre. Quand on s’appelle RiRi, on peut tout oser. Quand on fait partie du commun des mortels, c’est une autre histoire. J’enfilerais mon pyjama que j’aurais l’air trop habillée. La minijupe en cuir? À éviter. La blouse décolletée? À fuir. Le mot d’ordre: bannir tout ce qui pourrait me faire ressembler à une péripatéticienne, surtout qu’en chemin pour le boulot, je passe devant une garderie. J’opte finalement pour un jean noir et un pull informe. Après un coup d’œil dans le miroir – rapide, pour ne pas être tentée de prendre un congé de maladie –, je claque la porte de chez moi. Au feu rouge, les passants me dévisagent. Il faut dire qu’au milieu des hommes d’affaires en complets, je sors du lot. Je préfèrerais sauter dans un taxi, mais je suis bien obligée de prendre le métro. Rihanna aurait appelé son chauffeur…
Photographe: @badgalriri
Moi, je fixe la vitre du wagon jusqu’à destination.
Cachée derrière mon ordinateur, je respire enfin. Mes collègues font la queue pour essayer mes bottes. Sur elles, je les trouve sublimes. Sur moi, ça ne passe pas. Il faut dire que les souliers les plus extravagants de ma garde-robe sont des sandales dorées que je n’ai jamais mises. Sur le coup de midi, je file au supermarché. Au rayon poissonnerie, mes bottes brillent plus que les écailles d’une truite saumonée sous vide. Je ne sais pas si c’est la honte ou les souliers qui me tiennent chaud, mais je suis cramoisie jusqu’à la caisse. En boucle dans ma tête? Le refrain «Shine Bright Like a Diamond», qui devient légèrement angoissant. Je retrouve ensuite une copine dans un café du Vieux-Montréal. Erreur. L’endroit est bondé, et mon amie n’est pas arrivée. Devant le regard étonné des clients (il est possible que je devienne parano), j’attrape un bouquin en prenant l’air hyperconcentrée, de celle qui a l’habitude de se déguiser en boule à facettes le vendredi après-midi. Ma dignité, elle, s’est envolée, quelque part entre mon latte et ma tartine à l’avocat à 15 dollars. À 18 h, je rentre (enfin!) chez moi. Je propose à mon amoureux d’aller prendre un verre mais il refuse, sous prétexte que mes bottes lui agressent la rétine. Je pourrais sortir seule, mais j’abdique. Je troque mes souliers contre des chaussons. Je ne serai jamais BFF avec Rihanna, tant pis!