«Je ne peux pas faire de traitement au laser sur des plaies ouvertes», m’a annoncé l’esthéticienne en voyant mon visage. Ça m’est rentré dedans comme une tonne de briques: pas parce que c’était la première fois qu’on me le disait, mais parce que je devais tester ce soin pour un contrat de rédaction. Cette obsession de manipuler ma peau m’empêchait maintenant de faire mon travail. C’est pourtant mon quotidien depuis que je souffre d’acné. Au moindre signe de pore bloqué, de comédon bourgeonnant ou de texture irrégulière, c’est parti: je pince, je frotte et je perce tout sur mon passage. Selon Anxiété Canada, je ne suis pas la seule: 1,5 % des gens seraient affectés à divers degrés par le trouble d’excoriation au cours de leur vie, et ce trouble toucherait en majorité des femmes.

Ce que c’est

Officiellement reconnu comme un trouble psychiatrique depuis 2013, le trouble d’excoriation (la trituration de la peau), au même titre que la trichotillomanie (l’arrachage des cheveux), serait étroitement lié au trouble obsessionnel-compulsif (TOC). «Les personnes qui en souffrent ne peuvent s’empêcher de manipuler leur peau de façon répétitive et intense, au point de l’endommager», explique la Dre Peggy Richter, psychiatre et directrice du Frederick W. Thompson Anxiety Disorders Centre, à Toronto. «Le comportement peut être délibéré, pour assouvir la pulsion de “corriger” une irrégularité comme un bouton, un grain de beauté ou une démangeaison, mais il peut aussi survenir de façon inconsciente, pour moduler l’humeur en apaisant l’anxiété ou en brisant l’ennui.» La satisfaction est de courte durée, et fait rapidement place aux plaies, aux saignements et aux lésions tissulaires. «La trituration récurrente peut causer des dommages au derme, la couche profonde de la peau, et même mener à des infections graves, affirme le Dr Joseph Doumit, dermatologue. Lorsque ces blessures guérissent, une importante quantité de collagène subsiste, formant des cicatrices creuses et de la décoloration. Et plus les cicatrices sont profondes, plus elles sont difficiles à traiter.»

Les zones les plus susceptibles d’être touchées sont le visage, les bras et les jambes, mais certaines personnes vont jusqu’à mutiler les oreilles et le cuir chevelu. C’est le cas de l’autrice Laura A. Barton, 30 ans, qui souffre du trouble d’excoriation depuis qu’elle est toute petite, et qui a même écrit les livres Project Dermatillomania: The Stories Behind Our Scars et Project Dermatillomania: Written On Our Skin sur le sujet: «J’ai des cicatrices de la tête aux pieds. Parfois, je crée des lésions tellement profondes que la plaie reste douloureuse pendant plusieurs jours. Prendre une douche devient intolérable.» À la douleur physique s’ajoute la détresse émotionnelle. «J’ai longtemps été submergée par la honte, dit Laura, autant pendant l’action elle-même qu’après, en constatant les dégâts. Je me détestais de ne pas pouvoir m’arrêter.» Ce désarroi va jusqu’à causer un dysfonctionnement qui pousse des personnes à se retirer de certaines situations sociales et de relations amoureuses. «Elles passent beaucoup de temps à camoufler les lésions, annulent des rendez-vous et fuient l’intimité par crainte de la réaction de leur partenaire», explique la Dre Richter.

Comment s’en sortir

Bien que la rémission complète soit rare, une forme de thérapie cognitive- comportementale conçue spécifiquement pour cibler ces gestes répétitifs centrés sur le corps donne des résultats significatifs. «On cherche à déterminer quels sont les déclencheurs du comportement de la personne et à les contrecarrer, par exemple, en lui conseillant de porter un pansement sur son ongle ou d’occuper ses mains à tricoter. On vise à remplacer aussi les fausses croyances qui perpétuent le cycle (comme l’idée que de triturer la peau aiderait à corriger une irrégularité) par des pensées plus réalistes, en faisant valoir que ces gestes aggravent la situation plutôt que de la régler, car ils causent des dommages», précise la Dre Richter. En procurant à la personne un certain sentiment de maîtrise de ses pulsions, on arrive à réduire son comportement de façon notoire.

Apprendre à gérer ses pulsions au quotidien

Je n’ai pas reçu de diagnostic officiel, et mon cas paraît bien pâle en comparaison à d’autres, mais les marques quasi permanentes sur ma peau requièrent de ma part un changement drastique. Sur les conseils de Laura, j’ai délaissé la mentalité «tout ou rien» au profit d’objectifs plus facilement atteignables: «J’ai commencé à voir des progrès lorsque je me suis concentrée sur l’idée de réduire mon comportement, raconte-t-elle. Par exemple, en choisissant une ou deux zones que je voulais laisser guérir, au lieu d’essayer d’arrêter d’un seul coup.» J’ai donc jeté mes outils d’extraction et donné mon miroir grossissant, qui alimentait mon obsession sur tous les petits défauts que je n’aurais pas vus autrement. Pour prévenir les éruptions cutanées qui déclencheraient des envies de triturer ma peau, j’utilise les soins recommandés par le Dr Doumit: un nettoyant doux pour assainir ma peau sans l’agresser davantage, une crème hydratante adaptée aux peaux sensibles pour restaurer et protéger la barrière cutanée, et, en cas de rechute, un baume réparateur combinant des ingrédients anti-inflammatoires et cicatrisants, pour calmer ma peau irritée. Lorsqu’une imperfection menace le statu quo, je la recouvre d’un timbre contre l’acné; en plus de créer une barrière physique qui m’empêche de voir mon bouton et d’y toucher, il le soigne en libérant de l’acide salicylique. Et le jour, j’applique (sous mon maquillage) un traitement local qui absorbe l’excédent d’huile, tue les bactéries et neutralise les rougeurs grâce à sa nuance verte.

«Je triture encore ma peau tous les jours, mais je ne m’empêche plus de vivre ma vie. J’accepte le trouble d’excoriation pour ce qu’il est, soit une maladie, et non un manque de volonté, ce qui a soulagé une grande partie de mon tourment émotionnel. Je peux honnêtement dire que je suis en paix avec ma maladie, même si elle ne disparaîtra jamais», conclut Laura.

Aller chercher de l’aide

THE TLC FOUNDATION FOR BODY- FOCUSED REPETITIVE BEHAVIORS
Une communauté qui permet aux personnes touchées et à leur famille de communiquer les unes avec les autres pour briser l’isolement, et qui offre du soutien et des outils thérapeutiques. À noter que le site est offert en anglais et en espagnol seulement. bfrb.org

OVERCOMING BODY-FOCUSED REPETITIVE BEHAVIORS, DE CHARLES S. MANSUETO
Un livre qui, grâce à la thérapie cognitive-comportementale (TCC), nous aide à surmonter les comportements répétitifs centrés sur notre corps et à améliorer notre qualité de vie. chapters.indigo.ca

FREDERICK THOMPSON ANXIETY DISORDERS CENTRE
Le seul centre spécialisé dans le traitement du trouble obsessionnel- compulsif (TOC) et des troubles associés, dont le trouble d’excoriation de la peau, au Canada. sunnybrook.ca

Vivre avec le trouble d’excoriation

Soin à l’acide succinique, de The Inkey List

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