Katherine Levac apparaît à l’écran, le regard rieur et chaleureux. La lumière naturelle qui emplit son bureau fait chatoyer ses cheveux roux et met en valeur ses pommettes rosées.

Nous aurions préféré nous voir autour d’un café, Katherine et moi, mais des soucis de garderie sont venus contrecarrer nos plans. L’humoriste s’est aujourd’hui établie à Hudson, en Montérégie, avec son amoureuse, la cinéaste Chloé Robichaud, et leurs jumeaux de deux ans, et elle n’a finalement pas été en mesure de venir me rencontrer à Montréal. Qu’à cela ne tienne: la technologie est venue à la rescousse de la jeune maman de 34 ans, qui, comme bon nombre de parents, jongle quotidiennement avec les défis de la conciliation travail-famille.

PLUS DE QUESTIONS QUE DE RÉPONSES

«Je perçois chacun de mes shows comme des capsules de ma vie. J’y aborde ce qui m’habite dans le moment présent», dit Katherine, connue pour son humour vif, tranchant et porteur d’un regard décalé sur le monde qui l’entoure. «Dans L’homme de ma vie, je fais la genèse de ma vie amoureuse, je fais référence à la maternité, à ma blonde, aux réalités de notre famille homoparentale, mais aussi au Botox, à la masturbation, à l’avortement […] Je parle des hommes que j’aime: mes frères, mon père, les gars de régions — d’où le titre. Au fond, je m’inspire de l’humaine que je suis.»

Elle n’a pas la prétention de monter sur scène avec des réponses, comme elle le faisait dans ses deux premiers one-woman shows, mais elle n’est pas près d’arrêter de se poser des questions. «Dans mes spectacles précédents, j’aimais arriver avec des solutions aux enjeux que je soulevais. Mais là, je n’ai strictement aucune réponse. Je trouve ça apaisant d’assumer que je ne sais rien», reconnaît Katherine, qui attribue cette nouvelle philosophie à la trentaine, à la maturité acquise depuis ses débuts et, surtout, au recul. «J’ADORE le recul; c’est ma passion. De toute façon, je ne pense pas que les gens viennent voir un show d’humour pour trouver des réponses. Ils viennent pour rire et se sentir compris. On s’entend tous sur le fait qu’au fond, on ne sait franchement pas grand-chose!»

«Je perçois chacun de mes shows comme des capsules de ma vie. J’y aborde ce qui m’habite dans le moment présent.»

Mis à part la longue liste de sujets qu’elle aborde — et de questions qu’elle se pose —, une valeur cardinale émerge: la franchise. «Je suis excellente pour faire semblant que tout va bien, que tout est parfait. Mais cette fois, pas de bullshit. J’ai envie d’être 100 % transparente avec le public. Après 10 ans [elle a obtenu son diplôme de l’École nationale de l’humour en 2013] et un troisième one-woman show, j’ai tellement confiance en mon public. Je suis prête à profiter de ça, à m’abandonner, à offrir plus de vulnérabilité et d’honnêteté.»

«Précieuse», c’est le terme qu’emploie Katherine pour qualifier la relation qu’elle bâtit avec son public. «À ta première tournée, tu vends des billets aux gens qui veulent te découvrir… ou qui sont forcés de venir te voir parce qu’ils ont reçu des billets à Noël!, dit-elle en riant. À ta deuxième tournée, il y a un tri naturel qui s’opère et ce sont les gens qui t’aiment vraiment qui viennent; ça se sent. On se connaît, on se fait mutuellement confiance. À ta troisième, la complicité est magique.»

LIAN BENOIT

REVOIR SES PRIORITÉS

«Par le passé, je partais en tournée partout, n’importe comment et longtemps — comme le veulent les standards de l’industrie», se remémore cette humoriste originaire de l’Ontario, qui conjugue aujourd’hui l’humour, le jeu et l’animation. «Mais maintenant, quand je pars, je m’ennuie de ma famille. Je souhaite revoir la place qu’occupe le travail dans ma vie. Moi, je me trouve relax ces temps-ci, mais je ne sais pas si Chloé [Robichaud] te dirait la même chose.»

Katherine éclate de rire, et moi, je garde une petite note en tête. Quelques jours plus tard, je donne un coup de fil à la réalisatrice du long métrage Les jours heureux, qui est partenaire de l’humoriste depuis l’automne 2020.

«C’est vrai que, depuis qu’on se connaît, le travail prend moins de place dans sa vie», confirme Chloé, qui parle de son amoureuse comme d’une femme profondément généreuse, empathique et à l’écoute des autres. «Elle a “rebalancé” tout ça en devenant mère. Je t’avoue qu’on est un peu dans le jus, en étant mamans de jumeaux. Katherine n’est pas quelqu’un qui a beaucoup d’occasions de relaxer, mais elle aime ça comme ça. Elle a une grande énergie: elle est heureuse quand ça bouge et quand sa vie est bien remplie.»

LIAN BENOIT

Pour Katherine, tout est effectivement une question d’équilibre, mais aussi une question de réévaluer ses ambitions et de prendre du recul. «Au début de ma carrière, j’avais des ob-jec-tifs», affirme-t-elle en séparant chaque syllabe. Vendre des milliers de billets, se déplacer dans le plus de villes possible, avoir de la visibilité; elle entretenait les ambitions typiques des humoristes de sa génération. «Mais après la pandémie et l’arrivée des jumeaux, j’ai eu envie que ce soit possible de m’épanouir dans mon travail sans pour autant être sur la route sept jours sur sept pendant des mois. Aujourd’hui, j’ai le recul nécessaire pour fixer des limites et, surtout, pour mieux les respecter

Katherine révèle par ailleurs que sa conjointe et elle ont pris la décision de ne pas engager de nounou, bien que leur carrière respective soit prenante. Heureusement, elles se sont établies près de la frontière de l’Ontario et reçoivent l’aide de la famille de Katherine, qui vit dans cette province.

Comment ces mamans naviguent-elles sur le fleuve agité de la conciliation travail-famille? «On ne navigue pas! C’est vraiment tough, et je n’ai pas de solution. J’en parle dans mon show d’ailleurs», répond Katherine avec aplomb, avant de nuancer son propos et de laisser échapper quelques doux éclats de rire. Pour elle, toutefois, nommer les défis de la vie de famille relève du devoir. «En plus d’être deux créatrices dont les métiers nourrissent nos identités, on est une famille homoparentale. Ce n’est pas toujours évident de savoir instinctivement quand et comment l’une peut donner plus de place à sa carrière pendant que l’autre s’occupe des enfants. On essaie d’alterner nos périodes de rush, on s’adapte, on se lance la balle, on l’échappe, on la repogne. On invente notre modèle. C’est inspirant, c’est une fierté, mais c’est un grand défi.»

LIAN BENOIT

FEMME EN HUMOUR

Trois spectacles solos, divers rôles marquants dans Like-moi!, SNL Québec, Complètement Lycée, l’animation de L’amour est dans le pré (2021-2023) et du 24e Gala Les Olivier (2023): la feuille de route de cette Franco-Ontarienne est impressionnante.

Difficile de ne pas aborder la place des femmes en humour, un milieu fortement ébranlé par les différentes vagues de dénonciations qui ont déferlé au Québec au cours des dernières années. Katherine a d’ailleurs fait une référence fine à cette question dans son numéro d’ouverture du Gala Les Olivier en soulignant que, depuis 22 ans, aucune femme n’avait animé cet événement en solo.

«En effet, les femmes prennent de plus en plus de place en humour, mais celles qu’on voit à la télé ou qui font de grandes tournées, c’est seulement la pointe de l’iceberg», fait remarquer l’humoriste, passionnée par le sujet. L’enjeu du sexisme présent dans cette industrie est d’ailleurs bien documenté sur Pas de filles sur le pacing, une plateforme visant à dénoncer le boys club en humour. «Je souhaite sincèrement que la place des femmes continue de grandir, particulièrement dans les soirées d’humour et les balados. Là, il y a encore beaucoup de chemin à faire, même si, oui, ça évolue.»

Optimiste, Katherine cite l’apport de plusieurs de ses collègues émergentes, dont Anne-Sarah Charbonneau et Noémie Leduc-Roy, instigatrices du Womansplaining show, un spectacle d’humour féministe mettant fièrement en lumière des femmes et des personnes de la diversité sexuelle et de genre auquel Katherine a elle-même participé.

«Il y a 10 ans, on disait aux femmes humoristes de ne pas porter de vêtements trop ajustés sur scène, pour ne pas déconcentrer les spectateurs. J’en parle dans mon show d’ailleurs», fait-elle remarquer, car elle adore le maquillage et les vêtements. «Avant, je ne voulais pas porter de robe sur scène, de peur que ce soit jugé “trop féminin” et qu’on me décrédibilise à cause de ça. […] Aux Olivier, j’ai assumé mon envie d’avoir une magnifique robe rose, brillante, over the top. Je me fais aujourd’hui un devoir d’assumer ma féminité, comme femme en humour et comme femme lesbienne. Je suis lesbienne, et j’adore un bon brushing!»

Katherine rigole, mais elle ne manque pas de souligner le caractère politique d’une telle affirmation. Justement, est-ce important pour elle d’insérer un message engagé dans son art?

«Quand j’écris, je ne pense pas forcément à l’impact social et au message», confie-t-elle en prenant l’exemple du segment où elle décrit son corps post-accouchement au Gala Les Olivier. En effet, l’animatrice pleine d’esprit comparait nonchalamment ses seins à «deux beaux petits sachets de thé bien vidés», avec lesquelles on pouvait «faire de l’origami», pendant un numéro qui a été largement applaudi tant par le public que par la critique. «Mon corps de femme qui a accouché et qui allaite des jumeaux, c’est le sujet qui m’habitait le plus à ce moment-là. J’ai suivi mon instinct. Pour moi, “avoir de l’impact”, ça ne se commande pas. Je crois que c’est avec le temps et le recul qu’on constate les retombées d’un discours sur la société.»

LIAN BENOIT

Du recul, encore…

Malgré tout, Katherine ne manque pas d’utiliser son rayonnement pour sensibiliser ses concitoyens à une cause qui lui tient à cœur: la sécurité routière. Depuis septembre 2023, elle est la porte-parole de la campagne de sensibilisation La sécurité routière, j’embarque, lancée par la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ). «Quand on a eu les enfants, ça m’a déroutée — sans mauvais jeu de mots — de ne pas me sentir en sécurité avec ma poussette. Je trouve ça inacceptable. J’ai envie de montrer que la réflexion sur la vitesse au volant est plus vaste que ça; si on veut à ce point rattraper quatre minutes de notre temps, c’est qu’on a peut-être quelque chose à changer dans notre vie, individuelle et collective.»

«Mon corps de femme qui a accouché et qui allaite des jumeaux, c’est le sujet qui m’habitait le plus à ce moment-là. J’ai suivi mon instinct. Pour moi, “avoir de l’impact”, ça ne se commande pas.»

VIE DE VILLAGE

Un bruit retentit dans mes écouteurs.

«Désolée pour le petit vacarme, Laïma; on fait des rénos dans la cuisine», m’apprend Katherine, qui ne pensait pas s’établir à la campagne avant une bonne dizaine d’années. Mais l’arrivée des jumeaux, la pandémie et un profond désir de ralentir auront mené Katherine et Chloé à s’établir à Hudson.

«J’adore ça; je me sens comme dans le petit village de Stars Hollow, dans Gilmore Girls», dit l’humoriste les yeux brillants, avant de souligner sa nostalgie notoire des années 1990, que je partage entièrement. «Je fais “mes petites affaires” à la maison, on profite de la forêt environnante. J’ai envie d’offrir cette vie de village à mes enfants, qui ressemble à celle que j’ai moi-même vécue. Mais ce n’est pas non plus le fin fond de la campagne. Je peux acheter du lait d’avoine à l’épicerie, mettons!»

Katherine avoue qu’avec la rénovation de la cuisine, elle espère créer un environnement propice à une vie calme et douce, une affirmation qu’appuie Chloé Robichaud. «Katherine est une mère vraiment présente. Et puis, cuisiner, c’est une de nos failles à toutes les deux. C’est peut-être naïf de notre part, mais on a envie de croire que si on fait faire une cuisine à notre goût, on passera plus de temps derrière les fourneaux, ajoute la réalisatrice, amusée. «On a toutes les deux des grosses carrières, qui prennent beaucoup de place. Notre priorité est que la maison soit un lieu de stabilité pour les enfants.»

Pour sa part, Katherine, après avoir réitéré son amour pour les œuvres culturelles des années 1990 et 2000, conclut notre entretien avec une confidence:

«Je ne te dis pas que je vais décorer ma cuisine sur le thème des petits coqs en porcelaine… mais il n’est pas exclu que j’aie un pichet à crème en forme d’animal de la ferme.»

Je suppose que c’est le temps (avec le recul!) qui nous le dira.

ELLE QUÉBEC — MARS 2024

ELLE QUÉBEC — MARS 2024LIAN BENOIT

Photographie Lian Benoit Direction de création Samantha Puth Stylisme Farah Benosman (Humankind mgmt) Maquillage Olivier Vinet Coiffure David D’Amours Production Claudia Guy Assistants à la photographie Renaud Lafrenière et Raphaël Nikiema Assistant.e au stylisme Patou Lieu du photoshoot Hôtel William Gray