Société
C’est mon histoire : voyager en solo a changé ma vision de la vie
Faire ce qu’elle veut par elle-même, sans attendre après personne, c’est ce qu’Émilie se souhaitait depuis longtemps.
par : ÉMILIE DESCÔTEAUX- 17 janv. 2024
GETTY IMAGES
Je suis entourée de quelques barbus du bel âge, ceux qui possèdent un bronzage qui se mérite seulement après des centaines d’heures au soleil. Nous grillons des guimauves autour du feu. La chaleur du désert de l’Oregon est tombée, et le ciel est un diamant qui a explosé en mille miettes.
Je suis dans un road trip solo. Ce matin, j’étais à Aberdeen, la ville où Kurt Cobain a été élevé, près de Seattle. Et ce soir, j’ai réservé un emplacement de camping au Lost Dutchman State Park Campground, persuadée que c’était une arnaque touristique, mais pas chère. Mais non…
Je suis maintenant assise aux côtés de véritables chercheurs d’or, comme ceux dans les films! L’équipement semble un brin plus moderne, les douches, plus fréquentes, et il s’agit surtout, oui, d’un passe-temps pour la retraite, mais tout de même…
Je ne suis pas la seule femme sur les lieux: je partage mes guimauves avec Jana et Katy, qui sont mariées à deux de ces joyeux lurons. Nous parlons de nos vies. Évidemment, j’ai mille et une questions sur ce qu’ils font; je suis fascinée! Et ce qui me paraît étrange, c’est qu’elles semblent tout aussi curieuses.
— But dear, are you not afraid to travel by yourself? me demande Katy. Je trouve ça un peu comique, car j’ai 35 ans et on est aux States… Je ne suis pas une adolescente en fuite, quand même! Je leur donne ma réponse habituelle: je voyage seule depuis bientôt 15 ans, ce n’est pas mon premier rodéo, etc. Les deux matriarches se regardent et lâchent un soupir.
— I wish I had the guts you have, m’avoue Katy.
C’est le genre de révélation qui donne envie de les convaincre du contraire, mais j’ai malheureusement souvent fait part de cette réflexion, et je sais par expérience à quel point la patine du temps a fait son œuvre sur cette idée.
Après quelques verres de vin, nous sommes allés nous coucher, eux dans leur trailer avec air conditionné et génératrice — quand même, les chercheurs d’or voyagent avec confort — , moi dans ma tente Outbound de chez Canadian Tire avec la moustiquaire brisée. Je repense à mes voyages des dernières années.
Je revois la jeune fille naïve que j’étais dans le métro de Barcelone. Tétanisée à la vue d’un pickpocket en pleine action. C’était mon premier voyage seule.
Je repense aussi à ma voiture prise dans le sable d’une plage en Australie, à mon cœur brisé par un Costaricain, à ma fatigue après 40 jours de travail à la ferme, aux cannes de thon et au beurre d’arachides ingérés à en vomir, au fait de m’ennuyer de ma mère. Seule.
Mais je repense aussi, et surtout, au plaisir de tomber sur un beau café, d’avoir le courage d’aborder quelqu’un, et peut- être de m’en faire un ami pour la vie. Déambuler à ma guise, prendre le temps d’arrêter pour observer un paysage. Chanter à tue-tête du Limp Bizkit dans ma voiture ou flotter dans le silence. Sortir ma voiture du sable en Australie.
Seule.
«Le bon comme le mauvais, je l’ai savouré ou je m’en suis sortie. Grâce à moi, à mon instinct, à ma débrouillardise, à ma résilience.»
J’estime que voyager en solo est une expérience inestimable, sinon nécessaire, dans la vie d’une femme. Apprivoiser la peur de la solitude, ailleurs, et savoir qu’on peut retomber sur ses pattes comme une grande. C’est un accomplissement qui ne se mérite que par la certitude que tout va ultimement bien aller, parce que tu as confiance en tes propres capacités. Tu le sais, tu les as testées. C’est ça, ma mine d’or à moi. Ce sentiment que je peux faire tout ce que je veux, par moi-même.
Le bon comme le mauvais, je l’ai savouré ou je m’en suis sortie. Grâce à moi, à mon instinct, à ma débrouillardise, à ma résilience.
Et quand je me retrouve à manger des guimauves, en écoutant des récits de pirates du désert, je me dis que ça aurait été vraiment dommage de rebrousser chemin dans le train à Barcelone. Les deux jours suivants, j’ai suivi la bande dans ses activités. J’ai appris à me servir de plein d’outils dont je ne connaissais même pas l’existence avant d’atterrir là. J’ai creusé, j’ai charrié des seaux de terre, j’ai bronzé sans bon sens. J’ai écouté des histoires de gens qui viennent d’un milieu très différent du mien. Pour la plupart à la retraite, avec des valeurs traditionnelles américaines. Certains avec des fusils dans leur roulotte, votant pour Trump, d’autres qui s’en foutent; certains avec plus d’argent, d’autres un peu moins nantis. Tous liés par ce passe-temps dont je ne connaissais pas grand-chose avant.
Le dernier soir, ils m’ont donné un cadeau. Une pépite d’or, que j’avais extraite sans le savoir le jour même! Katy et Jana me la tendent.
— So you don’t forget about us.
— How could I? You fools! dis-je, émue.
Je les ai regardées bien comme il faut.
— Come to Montréal! leur ai-je murmuré.
Elles m’ont souri, se sont regardées avec leur regard d’une autre époque.
— Maybe.
Je suis partie le lendemain matin. J’ai mis la pépite dans ma boîte à gants. J’ai regardé l’horizon, infini de futures surprises. Grâce à moi.
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