C’était un soir de février tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Après le souper, j’ai montré à Charlotte les maillots que je venais d’acheter pour sa petite sœur et elle. J’étais bien contente de lui offrir le deux-pièces avec short qu’elle me demandait depuis des lunes! Tout de suite, elle m’a demandé si elle pouvait le porter «sans le haut, comme les hommes». Et les questions sur son identité de genre, de plus en plus fréquentes, ont recommencé. Lorsqu’elle m’a demandé pour la énième fois «Pourquoi est-ce que je ne suis pas un garçon?», je lui ai répondu: «Et si la vie s’était trompée? Tu en es peut-être un!»

Après un automne lamentable pour ma fille, qui avait clairement l’âme en peine, j’avais fait le tour de mes réponses biologiques, spirituelles, philosophiques… Du plus loin que je me souvienne, elle a toujours préféré les jouets et les vêtements masculins, contrairement à sa sœur. Je trouvais ça tout à fait normal, voire banal. Qu’est-ce que ça pouvait bien faire qu’elle joue avec des camions ou des Legos? Mais quand Charlotte a commencé à piquer de grosses colères pour ne pas porter de robe, par exemple, j’ai bien vu que ce n’était peut-être pas si anodin, finalement.

Lorsqu’elle m’a lancé la question qui allait changer nos vies, je ne l’avais jamais vue aussi bouleversée et vulnérable. «Maman, comment va-t-on faire pour que je devienne un garçon?» On partait de loin. Je l’ai prise dans mes bras. «On va trouver une solution. Si c’est ce que tu sens, c’est ce que tu sens.» Avant tout, je voulais rassurer mon enfant en crise. J’avais déjà entendu tellement d’histoires sur des personnes transgenres rejetées par leur famille! Pas question que ça arrive chez moi. Dès le lendemain, je suis allée la chercher plus tôt à l’école pour revenir sur la discussion de la veille. En regardant dans le rétroviseur, je l’ai vue se pincer la main. «J’espère que tu as compris, maman! J’ai une peau de fille, mais je suis un garçon.»

La transition a débuté tranquillement. Pendant la semaine de relâche, on en a profité pour lui faire couper les cheveux et enlever ses boucles d’oreilles, comme elle le souhaitait. De février à mai 2019, Charlotte a été non-binaire. Elle a voulu garder son prénom, mais elle ne voulait pas qu’on l’associe à un sexe. La famille élargie et l’entourage ont été mis au courant. À part quelques interrogations, dont le classique «Si c’était une phase?», tout le monde s’est montré ouvert. Ça aurait été la fin de nos relations si ça n’avait pas été le cas!

Honnêtement, j’ai trouvé cette période d’ambiguïté stressante. Je me suis tellement sentie testée! Malgré mon ouverture d’esprit, j’ai réalisé que j’avais tout de même besoin de mettre mon enfant dans une catégorie. Par mon éducation et ma société, j’étais habituée que tout soit genré. Je demandais souvent à Charlotte: «Tu es une fille ou un garçon?» Elle me répondait calmement qu’elle était les deux. J’étais perdue. C’est à ce moment que j’ai décidé, avec mon conjoint et le père de mes enfants, d’assister à un groupe de soutien de l’organisme Enfants transgenres Canada. En me présentant, j’ai mentionné que je voulais seulement écouter les histoires des autres parents… Et finalement, j’ai parlé plus que tout le monde!

Ça m’a tellement fait du bien. J’ai compris que la transition était souvent bloquée par les parents, qui ne suivent pas le rythme de leur enfant. On m’a appris que Charlotte allait me montrer ses propres étapes et que ce n’était pas obligatoire de lui faire consulter un psychologue si sa décision était assumée et soutenue. En une seule rencontre, mon attitude a complètement changé. Je me suis jointe à un groupe de parents d’enfants transgenres sur Facebook et j’ai pris rendez-vous avec une sexologue pour mieux gérer la situation. J’ai aussi découvert le Centre de santé Meraki, qui a mis sur pied un programme de variance de genre pour les jeunes et leurs familles. De femme ouverte, mais un peu hésitante face à l’avenir, je me suis soudain sentie gonflée à bloc.

C’est en juin que Charlotte a décidé qu’elle était bel et bien un garçon. Rapidement, on est passés à des déterminants masculins. J’ai commencé à dire «mon fils» et «mon garçon». Son école a été avertie. Le personnel a été bienveillant, mais n’a adapté aucune mesure, comme lui permettre d’aller dans la toilette des garçons. Si mon fils a d’abord voulu garder son prénom, il a changé d’idée après une sortie scolaire. Je n’ai jamais su ce qui s’était passé ce jour-là. Ma mère lui a proposé que «Charlotte» devienne «Charlot». «C’est déjà ton surnom, et ça fait plus masculin», a-t-elle lancé. Il a accepté en souriant, tout comme il a appris à mettre de l’eau dans son vin en nous permettant de nous adapter… et de nous tromper à l’occasion.

Après notre déménagement, Charlot et sa sœur ont changé d’école au début de l’année scolaire. Le personnel a été informé du processus de transition de mon aîné. Au fil du temps, j’ai compris qu’un adulte averti vaut mieux qu’un adulte surpris!

Heureusement, sa nouvelle commission scolaire avait déjà adopté des lignes directrices relatives au soutien des élèves transgenres. Il a été présenté comme Charlot à ses camarades, qui l’ont bien accueilli. On me dit souvent que mon fils assume son identité à tel point que c’en est déstabilisant! Dès que sa décision a été prise, il s’est transformé sous mes yeux. Alors que Charlotte était une petite fille introvertie qui ne parlait jamais plus haut que les autres, Charlot est un gars heureux, sociable et flamboyant. C’est comme si sa vraie personnalité avait surgi!

Charlot vient tout juste de fêter ses sept ans et son premier anniversaire en tant que garçon. Le processus est loin d’être terminé. Je suis fière de l’accompagner jour après jour vers son bonheur, sans d’ailleurs me sentir obligée de tenir le flambeau de la cause LGBTQ2+. Je vais défoncer toutes les portes du monde pour mon fils, et tant mieux si ça aide les autres. Mon travail, c’est d’être la meilleure maman pour Charlot. Et c’est le plus important.