Je pense à la fois où mon voisin a violemment cogné à ma porte après avoir crié “go back to your country”, à l’alerte à la bombe ciblée vers les musulmans de mon université, au fait qu’une semaine après, une professeur ait décidé de présenter une pièce sur les attentats du 11 septembre sans aucune critique, simplement pour l’esthétique de l’œuvre, je pense à la fois où une collègue de travail a drapé mon visage avant de me dire de marcher derrière elle comme font les femmes chez moi, je pense à ma mère qui, afin de montrer qu’elle était bien occidentalisée, portait des jupes plus courtes que son confort ne lui permettait, je pense à ses appels personnels en arabe qui étaient enregistrés à son travail, aux emplois que ma famille n’a pas pu avoir par faute d’avoir glissé durant l’entrevue “non merci, je jeûne.” Je pense à ces années passées à me détester pour être qui je suis et pour venir d’où je viens, je pense à la charte des valeurs et à la montée des attaques envers les personnes qui portent le voile, je pense à l’attentat de Québec, je pense à toutes les mosquées qui ont été vandalisées, je pense aux rôles de terroristes ou de femmes soumises qu’on nous propose, je pense au manque d’humanité que les médias nous montrent, je pense à mon ami qui raccompagne tous les soirs sa mère après sa prière par peur que quelque chose lui arrive. Je pense à la Palestine, à l’Irak, au Liban, à tous ces pays qui ne demandent que justice mais dont on continue de taire la voix. Je pense au fait d’avoir finalement quitté le pays car jamais je ne m’y suis senti.e chez moi. Je pense à tous celleux qui comme moi continuent d’essayer de nager dans un système qui fonctionne à contre-courant, à toutes ces respirations qu’on essaye de prendre avant qu’elles ne soient interrompues par un coup de coude au diaphragme.

Je pense à l’épuisement que l’on ressent. À toute cette fatigue accumulée qui alourdit nos échanges, nos déplacements, nos partages, notre expression de soi. Je pense qu’il est plus que temps que les gens en position de pouvoir, les privilégiés, les personnes non-racisées sortent de leur zone de confort, assument le rôle qu’ils jouent dans ces dynamiques de pouvoir et essaient activement de changer les choses. Offrez-nous des rôles qui ne sont pas stéréotypés, sélectionnez-nous hors de votre quota de diversité, payez-nous afin de partager nos récits, donnez-nous le pouvoir de prendre contrôle de notre propre histoire et de créer une représentation qui, encore à ce jour, peine à exister. Notre existence est au-delà d’une couverture médiatique, au-delà du deuil et de la tragédie. Notre existence est vaste et multiple, notre existence mérite plus que des discours de condamnation dépouillés d’actions concrètes.

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