Je devais avoir six ou sept mois quand mes parents ont remarqué que quelque chose n’allait pas dans mon développement. À un âge où j’aurais dû commencer à me déplacer à quatre pattes, je rampais. À 12 mois, j’ai reçu un diagnostic d’amyotrophie spinale, une maladie génétique dégénérative rare. Je suis en fauteuil roulant depuis toujours et j’ai passé une bonne partie de mon enfance à l’hôpital pour y subir différentes opérations et être traitée pour des infections pulmonaires récurrentes.

Le primaire s’est plutôt bien déroulé pour moi; j’avais beaucoup d’amis. Mais peu de temps après mon entrée au secondaire, alors que nos corps et nos vies d’ados changeaient et ne faisaient qu’accentuer nos différences, mes amis m’ont rapidement tourné le dos. J’ai passé mon secondaire seule. Heureusement, j’avais des profs absolument extraordinaires qui m’ont aidée à passer au travers de ce moment difficile.

C’est à cette époque-là, grâce à l’émission RuPaul’s Drag Race, que j’ai découvert l’art de la drag. Ç’a changé ma vie! Je me suis immédiatement reconnue dans cette communauté accueillante, basée sur l’estime de soi et la célébration de sa différence. Cette liberté, cet amour du spectacle, des costumes et du maquillage, c’était moi. Je suis une artiste queer, excentrique, extravagante. Je chante d’ailleurs depuis l’enfance: d’abord dans une chorale, puis en solo. J’ai donné des cours de chant, offert sept fois des prestations au Téléthon Opération Enfant Soleil, chanté dans des congrès, des résidences, des événements privés et sur des scènes extérieures.

Malgré tout, parmi mes pairs, je me faisais assez discrète et je n’osais pas vraiment montrer ma véritable personnalité. Tout au long de mon secondaire, j’ai gardé secrète mon identité profonde. Mais à l’approche de mon bal des finissants, je me sentais prête à montrer qui j’étais vraiment, à dire adieu à cet endroit où je n’avais jamais pu prendre ma place et à faire un doigt d’honneur à ceux qui m’avaient jugée.

Pour me démarquer des autres élèves qui feraient leur arrivée en voiture de luxe — je me doutais que ma fourgonnette adaptée n’aurait pas le même effet —, j’ai eu l’idée de me présenter à la soirée accompagnée de quelques motos. En faisant des recherches sur Internet, ma mère a trouvé un club de motocyclistes qui se rassemblaient pour différentes causes et avec lequel elle est entrée en contact. De son propre chef, l’un des responsables a créé une page Facebook pour l’événement, et cette page s’est mise à circuler de façon spectaculaire. On ne connaissait presque personne qui faisait de la moto, ma famille et moi, mais je me suis tout de même pointée au bal escortée par 544 motocyclistes qui m’applaudissaient à tout rompre. Moi qui voulais une entrée remarquée, c’était réussi! J’ai quitté le secondaire en grande pompe, et cette célébration publique de la personne que j’étais m’a fait un bien immense. J’étais vraiment moi-même ce jour-là. Je me suis enfin laissée aller.

Depuis mon bal, je vis ma vie comme je l’entends. J’ai commencé à écrire, à accroître ma visibilité sur Internet, à me mettre de l’avant. Moi qui ai toujours fait de la musique, c’est à ce moment-là que j’ai décidé d’en faire une carrière. Depuis trois ans, je me consacre donc entièrement à l’écriture de chansons, et je les rends disponibles sur les différentes plateformes en ligne. L’un de mes vidéoclips a récemment été présenté dans un festival féministe. À travers mon art, j’explore l’estime de soi, la vie avec un handicap, la masculinité toxique, l’amour entre deux femmes. Je veux chanter ces choses dont on ne parle pas assez et partager ma perspective unique sur la vie. Parce que la solitude que j’ai vécue, même si j’en ai souffert, m’a beaucoup appris. Tant qu’à être seule, pourquoi ne pas en profiter pour être entièrement soi-même? En apprenant à être bien, seule avec moi-même, j’ai pris conscience que je ne souhaitais ni me fondre dans la masse, ni changer pour impressionner qui que ce soit.

Aujourd’hui, j’écris pour me libérer et ouvrir le dialogue, mais aussi pour laisser ma trace, parce que j’existe et que je ne me vois représentée nulle part. Et cet espace qu’on ne veut pas me donner, je choisis de le prendre. Je me suis cachée assez longtemps. Maintenant, je veux qu’on me voie. Je veux briller.

Découvrez l’univers et la musique de Liana sur son compte Instagram: @lianaadamofficiel.

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