De 1977 À 1993, la mode a été prise d’assaut par un duo montréalais qui a bouleversé le statu quo: la designer Nicola Pelly et l’architecte Harry Parnass, à l’origine de la griffe Parachute. Influencés par l’esthétique grunge chic et minimaliste d’alors, ils ont été les pionniers d’un style androgyne intemporel à l’avant-garde, qui a séduit les plus grandes stars de l’époque, de Madonna à David Bowie, en passant par Andy Warhol, Cher et Peter Gabriel. L’exposition Parachute: Mode subversive des années 80, présentée au Musée McCord, rend hommage au talent et à la contribution artistique de ces deux têtes pensantes, et célèbre l’une des marques les plus visionnaires de cette période et le succès international qu’elle a connu, succès qui lui a permis d’ouvrir plus de 400 magasins dans 15 pays.

Au bon moment, au bon endroit

La fin des années 1970 a été, à Montréal, synonyme de récession et de déclin. Le chômage était élevé, mais les loyers étaient bas et l’expression artistique était au rendez-vous. «La créativité naît des difficultés économiques», affirme Alexis Walker, conservatrice adjointe pour le département Costume, mode et textiles du Musée McCord. Et cette créativité s’est imposée avec force. La vague new wave qui a alors frappé la ville a été un tremplin pour des artistes comme Nicola Pelly et Harry Parnass. Elle leur a permis de se consacrer à leurs rêves, et d’évoluer sur une scène vibrante, où les découvertes et l’expression créative étaient reines. Et surtout, l’anticonformisme embrassé par une jeunesse rebelle est devenu une expérience commerciale qui pouvait être exploitée. «Ce qui avait commencé par une scène underground ici [à Montréal] s’est transformé en quelque chose de sophistiqué à l’international, mais a gardé une allure frondeuse grâce au type de photos que le duo utilisait, aux vêtements qu’il créait et aux personnes qui travaillaient pour lui», note Alexis Walker à propos de Parachute.

GRACIEUSETÉ Musée McCord

Photographie promotionnelle montrant Amanda Coulson, John Agusto et d’autres mannequins dans le Queens, à New York, en 1983.

«Avant l’existence d’Internet, le sens de l’originalité était un facteur important selon l’endroit où vous viviez», renchérit l’experte. Parachute est arrivée au bon endroit, au bon moment, avec le bon produit… dans une société obsédée par l’image, ce qui allait de pair avec la philosophie de la marque. Ce désir insatiable de nouveauté commence le plus souvent en marge de la société, et ça a évidemment joué en faveur de la griffe. Celle-ci a aussi eu le flair de parier sur une certaine mystique. «Nous n’étions pas surexposés; il fallait vraiment nous chercher pour nous trouver, explique Nicola Pelly. Les magasins étaient des destinations: il n’y avait pas de publicité, il y avait surtout des photos “éditoriales”, et tout fonctionnait par le bouche-à-oreille. Les gens avaient l’impression de “trouver” le magasin, et ça a vraiment aidé notre image.» Les médias et les magazines ont également joué un rôle très important dans le soutien international à la marque. GQ , par exemple, lui donnait des espaces publicitaires gratuits, parce que ça augmentait le facteur «cool» du magazine; Andy Warhol accordait des réductions à la marque si elle annonçait dans son magazine, Interview, parce qu’il aimait la griffe – dont il était d’ailleurs client. Les acheteurs mode commençaient aussi à voyager davantage, ce qui ouvrait de nouveaux horizons aux marques plus nichées et rendait le style avant-gardiste accessible à tous.

Mais ce qui distinguait les vêtements Parachute des autres labels de l’époque, c’était leur fonctionnalité: de grandes poches, des cols larges et des détails pratiques; l’utilitaire dans ce qui se fait de mieux. «On n’a jamais voulu habiller les gens de la tête aux pieds. On souhaitait qu’ils ajoutent des éléments propres à leur personnalité, qu’ils mélangent le tout à leur manière afin qu’ils s’expriment [par leur tenue]», explique Nicola Pelly.

À la fin des années 1980, Parachute a évolué vers quelque chose de beaucoup plus élégant, mais son esprit de rébellion, d’anticonformisme et d’expression de soi radicale est resté. Il était, de fait, déjà profondément ancré dans l’ADN de la marque.

Une exposition immersive

L’idée d’une exposition au Musée McCord a germé il y a plus de huit ans, lorsque Nicola Pelly a rencontré Stéphane Leduc, un vieil ami et connaisseur de la mode montréalaise qui l’a aidée à élaborer les grandes lignes de cette rétrospective. Après avoir envisagé de nombreux lieux et partenaires, ils ont arrêté leur choix sur le Musée McCord, axé sur l’histoire sociale de Montréal, du Québec et du Canada. C’était pour eux une évidence. La créatrice de Parachute ne voulait pas d’une simple exposition de mode, car la marque, dans ses années de splendeur, avait été bien plus que ça. «C’est aussi l’histoire du design et de Montréal dans les années 1980», dit-elle. Alexis Walker abonde dans ce sens: «Le mandat de la collection de mode du Musée McCord est de documenter l’histoire de la mode à Montréal, dit-elle. Parachute étant l’une des plus grandes réussites de la mode canadienne, et pour moi, qui suis historienne et conservatrice, cette exposition est un cadeau.»

L’ampleur de la documentation que Nicola Pelly avait conservée a été un élément déterminant pour faire de cette exposition une grande rétrospective: plus de 800 vêtements et des boîtes de coupures de presse, de photos et d’objets que le duo montréalais à l’origine de Parachute a fabriqués, comme des cartes postales, des autocollants et des boutons. La créatrice, qui a fait don de toutes ses archives au Musée McCord, permet à cette institution montréalaise de conserver la collection Parachute la plus vaste et la plus exhaustive dans le monde. Ce qui est le plus remarquable, c’est que pour chaque vêtement, on trouve des traces de sa confection dans des photographies, des croquis, des feuilles de production, des prix, des dates, etc. L’exposition elle-même commence par une immersion dans l’ère de la new wave des années 1980 à Montréal, puis se poursuit dans un studio de design, une boîte de nuit, un espace centré sur la photographie et, bien sûr, le magasin, là où la magie s’est véritablement installée. «Nous voulions que ce soit une expérience, tout comme une visite dans un magasin Parachute en était une en soi», précise Alexis Walker. Quant à Nicola Pelly, cette exposition clôt un chapitre de sa vie. «Ç’a été une aventure merveilleuse et enrichissante. Et maintenant que toutes les archives ont trouvé un foyer, certaines personnes vont se remémorer une période de leur existence et d’autres apprendront ce que c’était de [grandir] dans les années 1980.» On est, en tout cas, impatients de découvrir le résultat!

BOBBY SHEEHAN (PAGE DE GAUCHE), JEAN-CLAUDE LUSSIER (PAGE DE DROITE).

Photo d’un défilé organisé au Lime Light, à Montréal, le 5 mars 1979.

En boutique

Lorsque Harry Parnass a conçu les magasins Parachute, il a adopté une approche très minimale et industrielle: des blocs de ciment, des portants de plomberie, des murs et un sol en béton brut. Le luxe résidait dans d’immenses espaces et, bien sûr, dans les vêtements créés et sélectionnés avec soin qu’on pouvait trouver dans les rayons. Le premier magasin de Parachute, à SoHo – qui a permis à la marque de véritablement se faire connaître –, s’étendait sur 10 000 pieds carrés, et les clients faisaient la queue tous les jours, y compris Mick Jagger, le chanteur des Rolling Stones, qui testait ses nouvelles pièces en courant et en sautant dans la boutique, à la grande surprise des jeunes mères branchées vêtues de noir qui se tenaient derrière leur poussette. Aujourd’hui, il est difficile de trouver un magasin haut de gamme qui ne s’est pas inspiré du modèle Parachute…

KARIN KNOBLICH

La boutique de Parachute, au 121 , rue Wooster, dans SoHo, à New York, au début des années 1980.

Rendez-vous sur le site du Musée McCord pour obtenir plus d’informations sur l’exposition Parachute: Mode subversive des années 80.

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