Quand Regé-Jean s’adresse à moi, je sens vraiment qu’il m’écoute. Quel que soit le sujet de la conversation, et malgré le fait qu’il ait passé toute la journée à donner des entrevues par Zoom — un mode de communication toujours un peu flou et erratique — et qu’il ait commencé cette journée particulièrement tôt, étant donné qu’il est à Los Angeles.

Il pose un regard profond sur moi, inébranlable, et ne se presse jamais de répondre la première chose qui lui viendrait en tête pour meubler le silence. Sincèrement attentif, il est ravi de s’arrêter pour réfléchir à ce qu’il vient d’entendre et à ce qu’il répondra. Cette qualité a certainement contribué à propulser cet acteur anglo-zimbabwéen au sommet de la gloire à la fin de 2020, dès la sortie de la première saison de Bridgerton — un drame romantique signé Netflix se déroulant durant la Régence anglaise (1811-1820) — où il interprétait l’affriolant Simon Basset, duc de Hastings. Ceci explique peut-être pourquoi ses admirateurs ont si vite fait d’ajouter son nom à la liste des James Bond potentiels, et c’est certainement la raison pour laquelle son plus récent rôle, celui du visage de Code Parfum, la version contemporaine du parfum Code, de Giorgio Armani, semble avoir été créé pour lui. Après tout, il affiche cette même expression d’intensité inquisitrice dans la vidéo de la campagne Armani, où on le voit courir dans les rues bondées, pendant que le temps recule, jusqu’à ce qu’il croise une jolie blonde. Le monde s’arrête alors autour d’eux, le temps d’un regard brûlant, avant de reprendre son cours.

«Les gens associent la masculinité à la force, mais il nous faudrait redéfinir ce qu’est la force. S’agit-il d’un refus de plier, ou y a-t-il une force dans la vulnérabilité, dans la capacité à écouter et à s’adapter?»

Regé-Jean Page aime explorer et jouer avec la masculinité, dans le cadre de son travail, comme il le fait dans l’actuelle campagne d’Armani, dont le slogan est «Réécrire le code». Une phrase que l’acteur a longuement contemplée, fidèle à lui-même, plutôt que de la voir comme une simple accroche publicitaire. «La masculinité devrait s’autoexaminer et demeurer en constante évolution, dit-il. Les codes sont censés nous aider à fonctionner, mais ils doivent être régulièrement mis à jour, comme doit l’être le système d’exploitation d’un ordinateur portable. Les gens associent la masculinité à la force, mais il nous faudrait redéfinir ce qu’est la force. S’agit-il d’un refus de plier, ou y a-t-il une force dans la vulnérabilité, dans la capacité à écouter et à s’adapter?»

La flexibilité et l’évolution sont au cœur des choix professionnels de Regé-Jean Page. En dépit de la popularité de Bridgerton, il a préféré quitter la série après la première saison, car, comme il l’expliquait à l’époque à Variety, il jugeait que l’arc narratif de Simon, et de son histoire d’amour avec Daphne Bridgerton (Phoebe Dynevor), était complet. Après tout, pourquoi continuer au-delà de cette conclusion digne d’un conte de fées?

Après son départ, le premier rôle qu’il a accepté a été celui de Carmicheal dans le film d’action The Gray Man (de Joe et Anthony Russo, les réalisateurs d’Avengers: Endgame), dans lequel il parcourt la planète aux côtés de Ryan Gosling et de Chris Evans (The Grey Man serait le long métrage le plus coûteux qu’ait produit Netflix ; quelques jours après la première, la plateforme a donné son feu vert pour une suite et un spinoff). Le type de personnage qu’y interprète Regé-Jean Page est non seulement radicalement différent du duc de Hastings, mais il ne ressemble en rien à ce que l’acteur a fait auparavant. Il le décrit comme «une figure délicieusement sombre et sinistre», une manière polie de dire que, dans un film, ce serait le genre de méchant qu’on jetterait joyeusement en bas d’une falaise.

La suite est un enchaînement de rôles de premier plan. Premièrement, il y aura le film d’action fantastique à gros budget Dungeons and Dragons — une adaptation du célèbre jeu de rôle qu’a re-popularisé Stranger Things —, où Regé-Jean partage l’écran avec Chris Pine, Michelle Rodriguez et Hugh Grant, et qui devrait sortir en salle au début de l’année prochaine. L’acteur tiendra ensuite le rôle principal dans le suspense réimaginé The Saint (qui mettait en vedette Val Kilmer en 1997), puis dans un film de braquage au titre encore indéterminé, du scénariste et réalisateur Noah Hawley (télésérie Fargo), dont Regé-Jean sera également le producteur exécutif.

Interrogé sur les raisons pour lesquelles il tient à s’engager davantage dans les coulisses à titre de producteur, l’acteur est sans équivoque: «C’est pour être en mesure de participer plus activement à la création des histoires qu’on raconte. En tant que producteur, j’ai une voix au sein des conversations sur ce que le récit représentera et sur les thèmes qui y seront explorés. C’est comme ajouter quelques cordes de plus à sa guitare.»

Mais quelles sont donc ces histoires dans lesquelles Regé-Jean veut s’investir davantage? La réponse, légèrement plus ambiguë, est tout aussi réfléchie. «Le plus génial, dans tout ça, c’est que je n’en ai aucune idée, et je crois qu’il s’agit de l’état d’esprit le plus puissant qui soit. Si je devais me fixer un objectif, ce serait d’être constamment surpris et de continuer à élargir mon éventail de possibilités. La meilleure idée qu’on puisse me proposer est celle qui me prendra totalement par surprise. La chose que je veux faire est celle que je n’ai encore jamais imaginée.»

Tenue et accessoires: Giorgio Armani
Photographe et directeur créatif: Damon Baker
Styliste: Holly Macnaghten
Coiffure et maquillage: Carlos Ferraz