L’entrevue n’est pas encore officiellement commencée que nous discutons déjà de balados féministes, de beauté dans la sororité et de l’importance de montrer des personnages féminins forts et complexes à l’écran.

Dans ce domaine, Marianne Farley ne parle pas à tort et à travers. Elle a mis en scène l’émouvante Marguerite (Béatrice Picard), une dame âgée qui fait la paix avec son homosexualité, dans le court métrage éponyme nommé aux Oscars en 2019; et Kara (Karine Gonthier-Hyndman), dans le court métrage Frimas, où l’héroïne fait appel à une clinique d’avortement illégale alors que l’IVG a été recriminalisée.

Au nord d’Albany, qui met aussi en vedette deux personnages féminins puissants, interprétés par Céline Bonnier et Zeneb Blanchet, relate le parcours d’une mère et de sa fille s’enfuyant mystérieusement aux États-Unis. Mais une panne de voiture survenue près d’un village des Adirondacks viendra changer leur plan.

Identité: réalisatrice

«Mon désir de réaliser des films mûrissait depuis longtemps, mais ce n’était pas totalement conscient», explique Marianne, en soulignant l’importance qu’a joué le scénariste et réalisateur Claude Brie, qui est également le père de ses enfants, dans son parcours vers la création. «J’avais des idées de films que je voulais écrire, mais je ne savais pas si j’avais une vision. […] Une fois sur le plateau de Saccage, mon premier court métrage, sorti en 2015, j’ai constaté que j’étais une réalisatrice.»

Bien plus qu’un métier, la réalisation est un prisme à travers lequel elle perçoit l’univers qui l’entoure. Néanmoins, Marianne, qui est membre de Réalisatrices équitables, considère que tout n’est pas gagné pour les femmes qui mènent des projets artistiques.

Marianne Farley a imaginé la prémisse d’Au nord d’Albany à la suite d’une interminable panne de voiture survenue aux États-Unis alors qu’elle était seule avec ses deux garçons. 

En rebondissant sur l’angoisse engendrée par cet incident, elle a braqué les projecteurs sur une mère et sa fille, dont les personnalités semblent aussi complexes que leur relation.

«Même si on a relevé notre lot de défis lors du tournage, ç’a été un plateau de rêve. Tout le monde a fait preuve d’une grande générosité», se remémore la cinéaste, en faisant un clin d’œil à ce que la réalisatrice et actrice américaine Olivia Wilde appelle la «No Asshole Policy» [la politique du «no asshole»], une ligne de conduite officieuse qui vise à assurer l’égalité entre tous les membres d’une production cinématographique. Exit les jeux de pouvoir et les guerres d’égo. «Céline [Bonnier], en plus d’avoir un talent démesuré, est une team player incroyable. Zeneb [Blanchet], bien qu’elle soit plus jeune, a ce même genre de sensibilité. Elles ont développé une belle complicité, basée sur le partage et l’écoute mutuelle. C’était très inspirant.»

«Je tiens à faire partie de cette mouvance, qui tend à placer des personnages féminins forts à l’écran. C’est essentiel.»

Entraide intergénérationnelle contre vents et marées, obligation de faire face à soi-même, recherche de ressources dans des univers hostiles: l’œuvre de Marianne Farley est traversée par une série de thèmes qui l’habitent au plus profond de son âme.

«Ces thèmes font manifestement partie de mon inconscient, puisque c’est ce que je couche sur la page chaque fois.» Elle s’intéresse tout particulièrement au potentiel transformateur des rencontres entre les êtres humains. Pour elle, la confrontation et l’hostilité, qu’elles viennent de l’intérieur de ses personnages ou de l’extérieur, sont de formidables moteurs d’évolution. «J’ai aussi envie de parler de l’omniprésence des valeurs patriarcales et de ses puissantes répercussions sur nos vies.»

Nous quittons le café où nous nous étions donné rendez-vous. Je n’avais pas remarqué qu’autour de nous, les chaises avaient été rangées sur les tables. C’est là le talent de Marianne Farley: suspendre le temps, créer une bulle toute simple, profonde et sensible, dans laquelle on entre volontiers. 

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