On l’a vue au théâtre (Lignes de fuite, J’accuse), à la télévision (Haute démolition, Escouade 99, Cerebrum) et au cinéma (Lignes de fuite, Les scènes fortuites, Le rire), mais dans le nouveau long métrage d’Anik Jean, Les hommes de ma mère — qu’elle porte littéralement sur ses épaules —, Léane Labrèche-Dor se révèle comme jamais. Ode à sa sensibilité et à son talent, qui méritent d’être célébrés sans la sempiternelle évocation de son nom de famille.

Armée de mon privilège de journaliste, j’ai pu visionner en primeur cette nouvelle offrande cinématographique très attendue, Les hommes de ma mère, dans laquelle une femme doit, après le décès de sa mère, retrouver les hommes qui ont marqué sa vie. À l’instar de la bande-annonce, le film est intime, émouvant, et Léane crève l’écran.

Lorsque je fais part de mes impressions à la réalisatrice, Anik Jean, au cours d’un appel téléphonique, sa joie éclate: «Oh, je suis contente, parce que Léane est une de mes meilleures amies, et elle a tellement de talent! J’étais vraiment heureuse d’avoir pu lui offrir ce rôle.» «Offrir», c’est vite dit, puisque Léane s’est soumise au processus d’auditions comme tout le monde. L’équipe voulait s’assurer d’avoir la meilleure actrice pour incarner ce personnage. Les sceptiques ont été confondus. «Elle a été tellement bonne et touchante! Les imperfections de Léane ont fait qu’elle était parfaite pour le rôle. En plus, elle est magnifique dans tous les plans!»

Anik ne tarit pas d’éloges envers la comédienne, une opinion que partage l’équipe d’ELLE Québec, qui a vu (et adoré!) le long métrage: Léane y est convaincante, brillante et touchante. «Je pense qu’elle est en train d’éclore, dit Anik. On n’a même pas encore vu tout ce qu’elle est capable de faire.»

Alex Blouin et Jodi Heartz

TRAVAIL D’ORFÈVRE

Elle était comment, Léane, sur le plateau de tournage? «C’est une première de classe, confie la réalisatrice. Elle repousse constamment ses limites, et elle est très humble.» Je demande à Anik si, selon elle, cela a à voir avec le fait que son père (Marc Labrèche) soit connu. «Peut-être. Être “la fille de”, c’est tough. C’est comme être “la femme de”!» dit Anik à la blague — elle est mariée à Patrick Huard, qui tient d’ailleurs un rôle dans le film. «Mais Léane n’a rien à prouver. C’est une grande actrice», affirme la réalisatrice en appuyant sur l’adjectif.

Tout en sirotant un thé blanc au Parloir, un lieu qui se prête aux confidences, Léane m’explique que Les hommes de ma mère est un film très symbolique pour les trois femmes qui l’ont façonné: «C’est l’histoire de Maryse (Latendresse, la scénariste), mais c’est un peu celle d’Anik, qui a perdu son père l’an dernier, et la mienne, étant donné que j’ai perdu ma mère quand j’étais ado…» Léane m’avoue qu’Elsie, son personnage, est un mélange d’elles trois, jusque dans son apparence, qui est inspirée de chacune. Léane a même porté des vêtements de la réalisatrice dans certaines scènes! Anik a été surprise de voir arriver la comédienne aux tests de caméra avec de faux tatouages sur les mains, comme les siens. «Elle était de mèche avec la maquilleuse, et je n’en savais rien! Elle voulait une petite partie de moi dans son look. C’est ça, Léane.»

«J’ai longtemps glorifié ce que je ne serai jamais, soit un homme, et, par le fait même, je me suis empêchée d’être fière de qui je suis, parce que ma vision de la femme était négative. Jusqu’à ce que je réalise que ma vision était, en fait, façonnée par ceux que je glorifiais.»

NOUVEAU RÔLE

Il y a deux ans, Léane est devenue maman du petit Milo. Ironiquement, son arrivée a coïncidé avec les plus grandes offres professionnelles que la comédienne ait jamais reçues. Ce qui a nécessité une conciliation de tous les instants, qui a parfois été déchirante. «Je me demande encore si certaines des décisions que j’ai prises sont les plus féministes ou les plus égoïstes de ma vie.» Elle donne l’exemple du tournage de la télésérie Escouade 99, qu’elle a conclu 10 jours avant d’accoucher. Ou celui de Lignes de fuite, qu’elle a entrepris deux mois et demi seulement après avoir donné naissance à son fils. «Mickaël (Gouin, son conjoint) jouait aussi dans le film; alors, Milo était avec nous tous les jours…» Des pensées dichotomiques l’habitent: «Certains diront que je n’ai pas pris soin de moi, d’autres affirmeront qu’on n’a pas à s’arrêter de travailler parce qu’on est mère, qu’on n’est plus en 1950! Il y a tous ces conflits à l’intérieur de moi.»

«Je suis une mère à la maison qui travaille 60 heures par semaine!» dit-elle pour résumer. La comédienne précise qu’elle vit avec un papa très engagé, mais que, malgré toute la bonne foi collective, la société n’est pas égalitaire: «Surtout si tu décides d’allaiter, ça ne pourra jamais être 50-50. Mon chum veut bien m’aider et se lever la nuit, mais il n’en a pas, de totons!» Elle est rafraîchissante lorsqu’elle dénonce les inégalités sans perdre sa joie de vivre et son humour désinvolte. Son discours n’en est pas moins lucide, et ses conclusions sont percutantes: «Il n’y a rien dans la structure de la société actuelle qui appuie notre vision, celle d’être des femmes modernes qui travaillent et qui peuvent aussi être mères. Rien n’appuie ça à 100 % encore, et c’est une situation insidieuse.»

Effectivement, difficile de ne pas se sentir écartelée devant tous ces défis. Sans parler des injonctions faites aux nouvelles mamans, comme de retrouver la forme après l’accouchement, «mais de ne pas trop en faire parce que, sinon, ça va finir en burn-out!» Léane renchérit: «Et ce serait l’fun que tu fasses tes purées maison, aussi! Ah non, c’est vrai, on ne dit plus ça, purées, on parle maintenant de DME!» Sa jouissive envolée n’est pas sans rappeler la capsule Montée de lait qu’elle et son conjoint ont créé pour l’émission Format familial. C’est une parodie du nombre de conseils ridiculement élevé que reçoivent les nouveaux parents. Léane n’a pas de recette miracle; elle navigue à vue, comme beaucoup d’autres avant elle, avec ses convictions et sa féroce envie de concilier tous les rôles.

Alex Blouin et Jodi Heartz

MILITANTE

Je parle à Léane du billet qu’elle a publié dans les pages d’ELLE Québec l’an dernier, où elle expliquait ne plus vouloir être one of the boys, depuis qu’elle a réalisé les biais que cela comportait. Sa chronique, consultée des milliers de fois sur le web, suscite encore les passions. «Tant mieux! Je pense qu’on prend collectivement conscience de la misogynie qu’on a intégrée. J’ai longtemps glorifié ce que je ne serai jamais, soit un homme, et, par le fait même, je me suis empêchée d’être fière de qui je suis, parce que ma vision de la femme était négative. Jusqu’à ce que je réalise que ma vision était, en fait, façonnée par ceux que je glorifiais.»

Citoyenne engagée, poussée par ses remises en question, Léane a même conçu une série documentaire sur nos biais inconscients, un projet qui l’habite depuis longtemps et qui est offert en balado sur OHdio. «Ça s’appelle Sans le savoir, et ça aborde nos biais à partir de quatre grands thèmes: le racisme, la misogynie, le classisme et la grossophobie. C’est plus profond qu’on le pense.» Engagée, on disait?

VERSION AMÉLIORÉE

Léane trouve parfois difficile de conjuguer les différents aspects de sa vie, mais un immense sourire s’imprime sur son visage lorsqu’elle aborde son rôle de maman: «Il n’y a rien qui m’a donné autant de force que ça. Les journées n’ont jamais passé aussi vite que depuis la naissance de Milo. Mon énergie est “challengée” toutes les secondes, mais elle est infiniment plus puissante.» La maternité a transformé sa vie, pour le mieux. «La Terre tourne exactement de la même façon, le monde continue de vieillir, les tulipes reviennent chaque 28 avril, mais le spotlight a changé de place.» Elle badine: «Bon, des fois, j’ai de la misère à voir ce qui est merveilleux niveau dodo, mais quand ce qui te réveille le matin, c’est: “Maman!?”, il n’y a rien qui accote ça.»

Léane était encore adolescente lorsque sa mère est décédée d’un cancer. Le parallèle entre sa vie et celle de son personnage dans Les hommes de ma mère est inévitable. «La scène du début présente l’aide médicale à mourir, ce qui offre aux personnages la possibilité de se dire adieu.» (Scène durant laquelle j’ai fondu en larmes. Oui, à la première scène du film.) «La maladie permet ça, même si elle comporte des hauts et des bas… J’étais jeune, et il y a eu des trucs que j’aurais aimé faire autrement, mais il y a eu des “Je t’aime” jusqu’à la fin. Ça aide à l’atterrissage», confie Léane.

Depuis qu’elle est devenue maman, je suppose que Léane doit souvent penser à la sienne. «Ah, mon Dieu, c’est insupportable! Tout le temps, avoue-t-elle, émue. Je rêverais qu’elle voie mon enfant, et que, lui, la voie… J’aurais vraiment aimé avoir une gardienne, aussi! Ce n’est pas mon père qui va venir m’aider; il travaille plus que moi!» Elle éclate de rire, et moi aussi. C’est là que réside toute la force de Léane: la vulnérabilité qui côtoie l’humour. Elle ne se défile pas et se présente, entière, dans cet amalgame de douceur et de force, de comédie et de drame, qui lui est propre.

Alex Blouin et Jodi Heartz

HÉRITIÈRE

Quels souvenirs garde-t-elle de sa mère? «Tous les soirs, quand on revenait de l’école, elle s’assoyait avec nous et nous disait: “Raconte-moi ta journée. Comment ça va?” Le dialogue. L’écoute. Elle avait ça. On était très proches.»

La blonde comédienne partage ses souvenirs avec une sérénité déconcertante. «C’est sûr que j’idéalise ma mère. La mort fait figer dans le temps les belles affaires. Dans ma tête, elle doit être 20 fois plus merveilleuse qu’elle ne l’était réellement, mais en même temps, je n’ai pas envie de changer ça. J’essaie de ne pas tenter de reproduire ce qu’elle faisait; j’essaie juste de célébrer le fait que j’ai eu un beau modèle.»

Qu’elle souhaite ou non reproduire ces qualités, il est trop tard: Léane a déjà tout cet héritage en elle. «Je ne sais pas combien de fois je vais te le dire, mais elle est extraordinaire, Léane!, répète Anik, catégorique. Je l’aime tellement. Pour l’amie qu’elle est, pour l’artiste qu’elle est. Elle est hallucinante. Je souhaite qu’elle ait encore d’autres beaux rôles pour que les gens voient l’étendue de son talent.» Si ce n’est pas déjà fait, je crois que sa dernière performance, solide et émouvante, terminera de vous en convaincre. Bon cinéma.

On peut voir Léane dans le film Les hommes de ma mère, actuellement en salle. Elle anime aussi la série balado Sans le savoir, offerte sur la plateforme OHdio.

Lisez notre entrevue avec Léane Labrèche-Dor dans le numéro de septembre 2023 d’ELLE Québec offert en kiosque, en abonnement et en version numérique dès maintenant!

ELLE Québec — Septembre 2023

ELLE Québec — Septembre 2023Alex Blouin et Jodi Heartz

Photographie Alex Blouin et Jodi Heartz. Direction de création et stylisme Olivia Leblanc. Maquillage et coiffure Alper Sisters. Production Pénélope Lemay. Assistants à la photographie Renaud Lafrenière et Xavier Macdonald. Assistantes au stylisme Morganna Leblanc et Audrey Blais. Assistante à la production Sandrine Cormier.