Style de vie
Maripier Morin, sans compromis
Maripier Morin est-elle une égérie, une femme d’affaires, une actrice ou une animatrice? Ne lui demandez pas de choisir une boîte, elle se fout éperdument des étiquettes. Ou alors elle vous répondra qu’on peut bien être tout ça à la fois, et plus encore. Habitée, non, obsédée par l’idée de révolutionner la télé et d’exceller dans tout ce qu’elle entreprend, elle refuse de cocher la case de la banalité et pointe son nez là où on ne l’attend pas.
par : Elle Québec- 01 août 2019
D.Picard
«Les gens ont l’impression de savoir qui je suis, parce que je suis très exposée, mais en fait, ils ne savent pas grand-chose.» Elle est là, dans ma cour arrière, assise sur une chaise de jardin couverte de poils de chat. Un long t-shirt imprimé et des tennis immaculés, c’est tout, ou presque. Il y a aussi une cigarette dans sa main droite et bientôt dans son bec. Une manière de fumer très élégante et désinvolte. Et de parler beaucoup, mais jamais pour ne rien dire: «Ce show-là va révéler ben des affaires sur moi, pis c’est super épeurant.» Ce show-là, c’est Mais pourquoi?, une nouvelle série documentaire présentée à Z télé en septembre. Maripier y dissèque six sujets tabous, polarisants, le genre de thèmes à éviter lors des soupers de famille: la religion, l’argent, le rapport à la nudité, le gaming, les concours de fitness et le choix d’être ou de ne pas être parent. Non seulement elle tente de comprendre ce qui pousse, par exemple, une jeune fille issue d’une famille athée à embrasser la religion musulmane ou une autre à dévoiler son corps sur internet, mais elle s’immerge complètement dans ces différents univers, tantôt s’entraînant à devenir «gameuse» professionnelle ou madame Muscles, tantôt en entreprenant les traitements nécessaires à la congélation de ses ovules: «L’idée, c’est d’aller se frotter à la réalité pour mieux la comprendre. Sans tabou, sans jugement.» Elle tire longuement sur sa clope et je lui demande «mais pourquoi» a-t-elle ressenti le besoin de faire ça? «D’aussi loin que je me souvienne, je me suis toujours fait juger. Parce que j’étais différente, parce que j’avais une grande gueule, parce que j’étais belle. T’sais, c’est vraiment facile de juger les autres.» Et c’est moins évident quand on se met dans leurs souliers. Un petit cours 101 d’empathie? «C’est exactement ça!» Il y a aussi qu’elle avoue n’avoir pas beaucoup vécu, ces 10 dernières années, et que Mais pourquoi? a été un genre de condensé d’expériences: «Les gens pensent, à tort, que j’ai une vie vraiment l’fun, mais je suis complètement carencée. Je travaille, c’est tout que je fais. Je n’ai pas de hobby, pas de passion. Ce n’est vraiment pas une bonne chose et je ne fais pas l’apologie de ça. [Avant Mais pourquoi?] j’avais vraiment l’impression d’être un vase vide. La femme que j’étais l’année passée, à la même date, et celle qui est assise devant toi aujourd’hui, ce n’est pas la même. Il y a vraiment eu un shift.»
L’autre MP
Je n’ai pas de point de comparaison, parce que c’est la première fois que je croise la route de Maripier, mais l’affirmation est nimbée d’émotion. Et puis, je sais pertinemment qu’on ne ressort pas indemne de certaines prises de conscience, sur la question de la parentalité notamment: «Un jour, en sortant de la radio, j’ai lu un papier que Julie Bélanger avait écrit sur son blogue. Ça s’appelait Je n’aurai jamais d’enfant. Je marchais sur Sainte-Cath et je me suis mise à pleurer tellement fort, parce que je me reconnaissais. Quand tu dis à voix haute que tu ne veux pas d’enfants, tu es un monstre. Petite fille, tu te fais dire qu’un jour tu vas trouver le prince charmant, t’acheter une maison et faire des bébés. Avant de remettre ce scénario-là en question, c’est long en tabarnak! Plus jeune, je disais: je veux cinq enfants. Un peu plus tard, OK… deux. La vie étant ce qu’elle est, Brandon et moi n’étant pas dans la même ville…» Elle bafouille un peu, cherche ses mots et son air, les retrouve quelque part dans la lumière qui filtre entre les feuilles des érables. «J’ai fait tellement de chemin dans ma tête qu’à un moment donné, j’ai annoncé à mes parents que je n’aurais pas d’enfants. Je leur ai demandé s’ils allaient encore m’aimer.» Le silence de nouveau, et ces yeux d’un vert impossible qui tombent dans l’eau. «Ma mère a répondu: “Oui, mais il faut que tu le dises à Brandon, parce que lui, il en veut. C’est une décision que tu as le droit de prendre, mais que tu ne peux pas lui imposer. Il pourra décider s’il reste avec toi ou non.” J’ai mis ces réflexions-là dans un petit tiroir et la vie a continué.» Lorsque, pour la série, Maripier a entrepris de faire congeler ses ovules, il lui a fallu rouvrir le petit tiroir et passer une batterie de tests. Ceux-ci ont révélé qu’il ne lui serait peut-être pas facile de concevoir si elle venait à le désirer. Et le château de cartes s’est de nouveau effondré. «Ç’a remis les choses en perspective encore une fois. Un désir ou non de parentalité, ça vient chercher tout le monde dans un endroit profond.» Profond, tu dis? On entend déjà les voix s’élever dans les chaumières…
Oublier Marie Kondo
Il a fallu échapper au vacarme des travaux d’été et nous nous sommes posées à l’intérieur, sur le canapé. Les pieds repliés sous elle, fine au point où je me dis que les coussins vont l’avaler, elle continue néanmoins de marcher avec détermination sur la corde raide de la vulnérabilité. Après avoir parlé maternité, traitements de fertilité et corps qui refuse de collaborer, la conversation dévie sur la question de la performance et du contrôle: «Un de mes plus grands défauts, qui est aussi une qualité, c’est mon désir d’exceller. C’est maladif, je le sais, et je ne peux pas le «fighter», je suis faite comme ça. Il faut absolument que je performe, et c’est pour ça que je contrôle tout. Ça devient problématique, parce que l’échec n’est jamais une option pour moi. Il faut toujours que j’atteigne un niveau supérieur. Ce n’est jamais assez.»
Cela m’apparaît un peu contradictoire, venant d’une fille qui n’a pas une seule fois enfilé de masque depuis le début de notre entretien. Elle précise: «La performance, ça ne concerne pas l’image que je veux projeter, au contraire. S’il y a quelqu’un qui accepte l’imperfection et qui l’embrasse, c’est moi. Je suis tellement “fuckée” et dysfonctionnelle… What you see is what you get! Jamais je ne pourrais me dire: “Là, je suis en entrevue, je dois faire attention de ne pas dire ci ou ça.” À la limite, les gens qui m’entourent contrôlent ça, mais moi, j’ai pas de filtre.» Non, de son propre aveu, c’est dans le boulot qu’elle mène ce bras de fer avec la vie. «Pour le reste, je devrais passer mon temps à m’excuser de “botcher”, d’être toute croche, de me faire couper ma ligne de cell, parce que j’ai pas payé mon compte. J’ai un côté très ado, je procrastine sur certaines affaires. Le reste est tellement intense… Je ne peux pas tout faire parfaitement, parce que, sinon, j’éclaterais.»
À 33 ans, elle veut s’autoriser l’imperfection, les contradictions, bref, tout ce qu’il y a de plus humain. «Il faut choisir ses combats et se donner le droit de juste être bien. Notre génération a vraiment du mal avec ça. On est tous des hyperperformants. On veut en prendre toujours plus et être Wonder Woman. Il faut qu’on soit féministe et sans déchet, mom of the year, que les enfants aient des bonnes notes, que la maison soit propre, esti, vas-y, Marie Kondo! On va tous fendre collectivement si on n’arrête pas ça tout de suite. Il y a des affaires que je ne contrôle pas et il faut que je lâche prise.»
Partir avec deux prises
L’une des choses que l’on ne contrôle pas, c’est la perception que certains peuvent avoir de nous. Lorsqu’on est d’abord valorisé par l’image qu’on projette, il est difficile de se faire entendre et encore plus d’être considéré comme autre chose qu’une paire de lèvres pour vendre du maquillage ou un corps pour exposer de la lingerie. «Aux États-Unis, tu as le droit d’être beau et d’être reconnu, précise Maripier. Au Québec, si tu es Magalie Lépine-Blondeau, Éric Bruneau ou Karine Vanasse, c’est long avant qu’on te donne le droit d’être aussi intelligent et talentueux. On dirait qu’on ne veut pas que tu aies autre chose quand tu as la beauté.»
Elle dit ça sans une once de prétention, sans détourner le regard non plus. J’ai la forte impression qu’elle trouve simplement nécessaire, voire urgent, d’écorcher la trop lisse surface du showbiz. «Ma beauté est un couteau à double tranchant, parce que je n’ai rien fait pour ça. Si je veux avoir une autre étiquette que celle de “belle”, il faut que je travaille mille fois plus fort que tout le monde. Je dois faire mes preuves pour que les gens finissent par se dire: “Elle a une tête sur les épaules, c’est pas une dinde!” Elle rit tout bas, baisse les yeux: «Mais je dois avouer que je ne me suis pas aidée en participant à Occupation Double! Je suis partie avec deux strikes au bâton auprès du public à cause de ça. J’ai fait OD en 2006. À mon époque, tu sortais de là amochée. Maintenant, les gens comprennent que c’est une fiction.»
Aujourd’hui, la plupart des mauvaises langues se sont tues, et l’image de la bitch d’OD est morte et enterrée. Trônent sur sa tombe des succès en série et même une nomination au Gala Québec Cinéma, au printemps dernier, pour sa première apparition au cinéma dans La chute de l’empire américain, de Denys Arcand. Prochain rôle? Celui de Sophie dans La faille, une saga policière diffusée cet automne, à addikTV, dans laquelle elle sera la fille de la sergente-détective Céline Trudeau, interprétée par Isabel Richer. Sinon, ce sera la France, avec des auditions pour des rôles au cinéma et une présence au Festival du film francophone d’Angoulême en tant que membre du jury. «C’est une belle occasion de se faire connaître. Tous les réalisateurs européens sont là. Il y a des agents de casting, des producteurs. Et il y aura une présentation de La chute.»
Et qu’est-ce qui l’attire vers l’Hexagone? «C’est le danger, encore. Je vais y aller all in, et si ça ne marche pas, je l’aurai essayé. Si je n’y crois pas, personne ne va y croire. Je n’ai pas envie de me mettre des barrières même si, des fois, ça tape sur les nerfs du monde. Mais moi, je me dis: pourquoi pas?»
Mais pourquoi?
Pour la série documentaire, Maripier Morin a exploré à fond certains des sujets les plus tabous de notre société. On lui a demandé pourquoi elle s’est intéressée…
… Aux religions
Parce qu’on ne parle jamais de notre foi, on ne réalise pas à quel point certains concepts sont présents dans notre vie. On partage beaucoup plus de choses avec les gens qui pratiquent les grandes religions que ce que l’on pense.
… À l’argent
C’est fou comme on n’est pas éduqué par rapport à l’argent. C’est tellement stigmatisé! L’argent, ce n’est pas beau; l’argent, c’est méchant! Et si tu es une femme et que tu fais de l’argent, c’est encore pire! Il faut absolument en parler pour être plus au courant collectivement.
… Au rapport à notre corps
Notre rapport à notre beauté passe souvent par le regard des autres. Eh oui, on va dire à nos chums de filles qu’on les trouve belles, mais malheureusement la validation vient la plupart du temps des hommes. Et moi, ça m’inquiète de voir les petites filles presque nues [sur Instagram]. Mais j’ai le bras dans l’engrenage! Même si je trouve qu’il y a une quête artistique dans ce que je fais, je montre mes fesses sur Instagram! Dans la série, j’ai eu le goût de savoir comment je me sentais face à cette nudité qui nous arrive de tout bord, tout côté. C’est une quête par rapport à moi-même.»
Découvrez toutes les photos de notre shooting mode avec Maripier Morin.
Découvrez les coulisses de notre séance photo :
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