Comme les huîtres et le foie gras, le caviar est inscrit au panthéon des aliments gastronomiques qui transforment tout repas en une occasion festive. S’initier à ce produit à la fois mythique et mystérieux peut cependant donner le vertige à votre portefeuille: 30 g de caviar Beluga (portion pour 2 personnes) peuvent facilement coûter 250 $. Pourtant, les bons caviars n’ont jamais été aussi accessibles et (relativement) abordables. Le plus chic? Ils figurent de plus en plus au menu de restaurants qui se font un plaisir de «démocratiser» l’expérience. C’est le moment de se lancer.

L’origine du caviar

Pour la petite histoire, le caviar est une appellation d’origine contrôlée réservée aux œufs des esturgeons pêchés dans cinq pays bordant la mer Caspienne, notamment l’Iran et la Russie. Près de 90 % de la production mondiale de caviar nous est longtemps parvenue de cette région. Aujourd’hui, le tiers du caviar consommé dans le monde vient de Chine, où la compagnie Kaluga Queen a créé le lac artificiel Qiandao, dans lequel les esturgeons sont élevés et produisent 60 tonnes de caviar annuellement.

Le même caviar qui vous sera servi aujourd’hui dans la vaste majorité des restaurants étoilés Michelin de Paris, soit dit en passant. Même le célèbre Beluga — qui provient de l’esturgeon béluga et non du cétacé — est désormais un produit d’élevage, la surpêche ayant provoqué une chute dramatique des populations sauvages de ce poisson dans les années 1990 et mené à des interdictions régies par des conventions internationales.

Certes, l’arrivée du caviar chinois sur la scène mondiale a contribué à faire baisser le prix de cette denrée, mais le coût au kilo du caviar Beluga peut encore grimper jusqu’à 30 000 $. L’Ossetra, qui est déjà deux fois moins coûteux, occupe le deuxième rang. Ces prix faramineux s’expliquent par l’appât du gain, oui, mais aussi par le cycle de vie particulièrement lent des esturgeons, qui mettent de 7 à 20 ans, selon les espèces, pour atteindre l’âge adulte, et donc l’âge de production des œufs.

Comment choisir un bon caviar

Le caviar est classé selon l’espèce d’esturgeon, sa provenance et la taille des œufs. Plus les œufs sont gros et fermes, plus ils sont rares et chers. Les espèces à saveur douce, qui ne sont pas nécessairement les plus ruineuses, ont la cote auprès des néophytes et de nombreux connaisseurs.

Le caviar est vendu dans des boîtes scellées qui dissimulent le produit au regard, d’où l’importance de faire affaire avec un bon poissonnier. L’apparence en dit long sur la qualité du produit. Un bon caviar se distingue par ses œufs entiers qui brillent, qui n’ont pas un aspect huileux ou une texture pâteuse. En bouche, on doit pouvoir faire rouler les œufs sur la langue et les faire éclater d’une simple pression contre le palais. Parmi les caviars généralement offerts dans les poissonneries canadiennes, le Beluga possède de gros œufs d’un gris perle distinctif, au goût très beurré et à la saveur de noisette.

L’Ossetra tire sur les tons de brun et se distingue par sa saveur ample, iodée et noisetée. Le Sevruga, troisième caviar en importance par sa réputation internationale, produit de petits œufs gris au goût plus corsé et franchement iodé. Frais, intense et humide en bouche, le DaVinci est un caviar italien iodé qui provient de la mer Adriatique, et ses œufs sont bruns et gris. Le Siberian, originaire de Pologne, est prisé pour son goût soyeux, délicat et faiblement salé. Enfin, on doit le Tradition aux gros esturgeons blancs qui sillonnent la côte ouest de l’Amérique du Nord, de l’Alaska à la Colombie-Britannique et jusqu’à la Californie du Sud. Ses œufs imposants révèlent un profil salin, crémeux et beurré.

Dans certains établissements, comme à la Poissonnerie La Mer, à Montréal, il est possible de dénicher des caviars d’autres origines, comme celui de Belgique et d’Uruguay, quand on veut organiser une dégustation qui sort des sentiers battus. Inclure des œufs de poisson qui ne sont pas du caviar proprement dit aide à élargir les horizons et à réduire le budget. On peut commencer la soirée en servant des œufs de saumon, de truite, de lompe ou de corégone des Grands Lacs, avant d’entamer la précieuse boîte de caviar. Le Mujjol, qui combine des œufs de mulet et de hareng, est un «caviar» noir populaire provenant d’Espagne. Rien n’empêche aussi d’inclure du tobiko ou du masago, ces œufs de poisson volant et de capelan aux couleurs néon qu’on a l’habitude de savourer dans les sushis.

Si on reçoit des amis végétariens ou végétaliens, il existe aussi des similicaviars à base d’algues, comme l’algaviar de l’entreprise montréalaise Quintessence Caviar.

Gracieuseté de Kabinet

Et on le sert comment?

Pour Jean-Michel Leblond, chef exécutif du restaurant Kabinet, à Montréal, le caviar est une véritable passion. «J’avais mes restos russes préférés, où j’allais écouter du jazz ou de l’opéra en mangeant du caviar toute la soirée, accompagné d’une bonne bouteille de vodka. Malheureusement, ils ont tous fermé durant la pandémie. Donc, j’ai ouvert Kabinet voilà un an et demi pour démystifier le caviar et le démocratiser en le rendant plus abordable. Kabinet est une brasserie française avec une vibe nostalgique et sexy, et je voulais que les gens s’y sentent comme s’ils mangeaient dans un bar ou le lobby d’un hôtel à Paris en 1971.»

Bien que le caviar cartonne présentement de New York à Paris, Montréal demeure une ville de mangeurs d’huîtres, selon lui. «On devait éduquer les gens sur ce plan, parce que le caviar ne faisait pas partie de nos mœurs. Comme c’est un produit noble dont le prix est pas mal élevé, nous avons choisi de faire les choses différemment. Nous avons été les premiers à Montréal à proposer des caviar bumps avec une shot de vodka Grey Goose à seulement 20 $.»

Idéale pour apprivoiser le caviar, la technique «à la royale» (ou caviar bumps) consiste à savourer ce produit nature, en déposant une petite quantité sur le dos de la main, entre le pouce et l’index. On attend quelques secondes, le temps que le caviar se réchauffe légèrement au contact de la peau et libère ses arômes subtils, puis on savoure. Quand le budget le permet, on peut passer toute une soirée à jouer à «Caviar. Vodka. Repeat

Kabinet propose aussi le nec plus ultra du service de caviar: la tour de dégustation! La maison a jeté son dévolu sur quelques caviars canadiens et importés de la marque Antonius, servis avec les garnitures d’usage pour bâtir des bouchées de rêve: blinis de sarrasin maison, crème fraîche vieillie deux semaines, œufs durs hachés, échalotes françaises, ciboulette, petits cornichons, câpres, etc. Pour s’initier aux rituels liés au caviar, et ensuite les imiter à la maison, difficile d’imaginer une présentation plus élégante.

À défaut de posséder son propre présentoir à étages vintage, on peut simplement déposer les boîtes de caviar dans un joli bol ou une assiette de service qu’on remplit de glace pilée. À éviter absolument: la cuillère à caviar en argent, parce que cette matière oxyde le caviar, qui aurait alors un goût métallique et amer.

La date de consommation recommandée est imprimée sur chaque boîte de caviar. Le produit doit être conservé dans sa boîte, scellée, dans la section la plus froide du réfrigérateur, de 15 minutes à une heure avant le service. On ouvre la boîte à la toute dernière minute, afin de préserver les qualités organoleptiques (goût, odeur, apparence) du caviar, qui a tendance à s’altérer au contact de l’air et de la chaleur. C’est dans l’heure qui suit son ouverture que le caviar doit se déguster. Une fois ouvert, il peut se conserver de façon sécuritaire de deux à cinq jours.

Il reste du caviar après la soirée? On peut l’utiliser en garniture sur des œufs cuits durs ou à la coque, sur des röstis de pomme de terre, dans des pâtes, dans un risotto, dans un tartare de bœuf ou de poisson, voire sur le saumon fumé de vos bagels ou sur les crêpes d’un brunch dominical.

Bulles, vodka et saké

Enfin, pour accompagner ce précieux caviar, le champagne et la vodka demeurent les grands classiques. À moins de s’y connaître, les accords avec le vin — blanc, et non rouge — n’ont rien d’universel et dépendent du caviar servi, qui peut être plus beurré ou plus iodé qu’un autre. Et quand on sert un caviar Premium, qui nécessite une toile de fond neutre pour révéler ses subtilités, le défi monte d’un cran! Les nez recommandent des crus plutôt racés et qui affichent une bonne minéralité, comme un riesling d’Alsace, un chablis, un vouvray ou un muscadet.

Pour les caviar bumps, une simple vodka glacée dite pure ou sèche, à base de pommes de terre, par exemple, laissera briller les œufs de poisson nature. De son côté, l’acidité d’un champagne sec ou brut mettra en valeur la texture grasse et le profil salin des œufs, pendant que les bulles feront écho au «pop» du caviar, qui éclate en bouche. Pour apporter une touche d’originalité à ce type de dégustation, pourquoi ne pas miser sur la faible acidité et le goût pur d’un saké bien froid, comme un Junmai-daiginjo, léger et aromatique, ou un Junmai Tokubetsu, plus riche et plus corsé. Il jouera le même rôle que la vodka. Maintenant, à vous d’oser.

Lire aussi:
Repas à emporter : les 10 restaurants préférés de l’équipe
15 délicieuses recettes parfumées au sirop d’érable
Prêts-à-boire : 15 idées de boissons à essayer