Le 2 janvier 2023, la DJ et conceptrice publicitaire montréalaise Kelly St-Pierre publiait sur Instagram un message pour la nouvelle année: «Je reviens en force comme DJ, avec les bonnes habitudes que j’ai prises durant les moments les plus sombres de la pandémie. Je vis encore des hauts et des bas, mais les creux sont beaucoup moins profonds depuis que j’ai rompu avec les lendemains de veille.» Kelly, qui a cessé de boire en septembre 2021, n’est pas la seule sur mon fil d’actualité à avoir parlé ouvertement de sa décision d’arrêter l’alcool, ou du moins de réduire de façon draconienne sa consommation. Il y a eu une connaissance de l’université, une éditrice de magazine canadienne installée à New York que j’aimerais connaître dans la vraie vie, Safia Nolin, Lysandre Nadeau et, semble-t-il, la génération Z au grand complet. 

Peu de temps après, le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances (CCDUS) a créé une onde de choc dans tout le pays en publiant ses nouvelles directives concernant l’alcool. On pouvait y lire, entre autres, que de se limiter à deux consommations ou moins par semaine permettrait de réduire les risques d’être atteint de certains types de cancer, de souffrir de maladies cardiaques et d’AVC. L’annonce a immédiatement fait l’objet de milliers d’articles. «Il y a un fort intérêt pour les questions liées à l’alcool, à la santé et au bien-être», explique Catherine Paradis, directrice adjointe par intérim de la recherche au CCDUS. Bien qu’elle ait fait la une de la plupart des journaux, la limite de deux verres ne constituait pas le message central. «La principale recommandation de cette mise à jour est que les Canadiens devraient considérer une réduction de leur consommation d’alcool.»

Tout le monde devrait donc boire moins — ou à tout le moins y songer. Mais comment faire? «C’est la question qu’on nous pose le plus souvent», dit Catherine. C’est pourquoi le CCDUS a réalisé un guide réunissant divers conseils, comme alterner ses consommations alcoolisées avec de l’eau, ne pas boire l’estomac vide et tenter d’éviter l’alcool durant quelques semaines ou quelques mois. Pour Kelly, la décision s’est imposée après ce qu’elle décrit comme le pire lendemain de veille de sa vie. Il en va de même pour Erin*, spécialiste de l’environnement à Montréal, qui a cessé de boire en août 2022. Ni l’une ni l’autre n’attribuent leur décision à une soirée particulièrement mémorable — Kelly était DJ à l’un de ses événements habituels et Erin était à un mariage —, si ce n’est du fait qu’un changement important venait de s’enclencher. «Si je m’étais réveillée en pleine forme, je n’aurais probablement pas été amenée à repenser toute ma vie, explique Erin. Mais je me suis dit: “Oh! mon dieu, je bois tout le temps.”» Pour Margaret*, directrice artistique à Ottawa, le problème venait plutôt du fait que lorsqu’elle buvait, elle n’arrivait pas à s’arrêter. «C’était comme si mon interrupteur interne était cassé, dit-elle. Boire un verre ne m’a jamais attirée. C’était toujours beaucoup ou pas du tout.»

Précisons qu’aucune de ces femmes n’était aux prises avec ce qui serait considéré comme un problème de consommation, et elles reconnaissent toutes que la facilité avec laquelle elles ont cessé de boire était causée par une absence de dépendance chimique à l’alcool. Margaret croit que cet entre-deux a rendu ce changement de vie plus complexe. «Si j’avais été carrément alcoolique, la nécessité d’arrêter aurait été évidente.» Kelly, avant la pandémie, ne gardait même pas d’alcool chez elle; elle buvait deux ou trois fois par semaine, lors de ses DJ sets, un verre par heure durant son quart de travail, qui en durait cinq. «Je finissais généralement par être plutôt éméchée.»

Erin, pour sa part, a remarqué la présence d’alcool presque chaque fois qu’elle socialisait. «Les fêtes, les dates, les spectacles, les soirées à deux, chez moi avec ma coloc, et parfois même quand j’étais seule», se souvient-elle. Elle avait déjà fait des mois de sobriété dans le passé, mais ceux-ci l’avaient davantage menée à réduire ses relations sociales que sa consommation. Aujourd’hui, elle évite les événements où elle ne serait allée que pour l’alcool ou que seule l’idée d’y prendre quelques verres rend tolérables. «Si je n’apprécie pas une activité à jeun, pourquoi essayer de la faire saoule?»

Kelly, qui a cessé de boire au milieu de la pandémie, était préoccupée par son retour au travail. «J’avais peur de recommencer à mixer», dit-elle. Les foules la stressent, et ses premiers concerts postpandémiques étaient de grande envergure. Et c’était difficile — jusqu’à ce qu’elle voie une vidéo d’elle, sobre, derrière ses platines. «Je me suis dit: “Oh, merde, je suis cute!” J’étais heureuse, pleine d’énergie, et ça paraissait.» Elle a réalisé qu’elle souffrait auparavant de maux d’estomac, qu’elle n’avait jamais remarqués tant l’inconfort était constant, lorsque ceux-ci ont disparu. «Je ne suis plus vraiment la même personne», confie-t-elle, ajoutant au passage qu’elle a adopté d’autres bonnes habitudes durant la pandémie, comme cuisiner et marcher… beaucoup. Elle marche plus de 150 km par mois, et son record est de 235 km (ce qui représente de 5 km à 7,6 km par jour). «Si je n’avais pas cessé de boire, indique-t-elle, je n’aurais probablement jamais commencé à marcher.»

Quand Margaret — sobre depuis octobre 2019 — a mis la bouteille derrière elle, elle s’est également tournée vers la marche, à raison de 10 km par jour. «J’ai aussi commencé à cuisiner et à voyager davantage, souligne-t-elle. Je me suis mise à faire plus de toutes les choses que j’aime.»

Pour s’aider à adopter un mode de vie sans alcool, Erin s’est mise à consommer plus de contenu virtuel axé sur la sobriété. Elle s’est abonnée à des TikTokeuses sobres («Hope Woodard, Apéro à zéro et A Sober Girls Guide sont les moins agaçantes», dit-elle), et a lu Quit Like a Woman, le livre de Holly Whitaker portant sur la culture de l’alcool et la sobriété au féminin. «Je me suis exposée à différentes personnes sobres et situations sans alcool afin de les normaliser dans ma vie.»

Kelly admet que le côté contre-culturel de la sobriété lui confère un certain attrait. Elle ne s’en cache pas: elle apprécie faire partie des avant-gardistes. «Je n’arrive pas à croire que je suis en train de dire ça, mais tous les gens cool que je connais ont cessé de boire ou ne l’ont jamais vraiment fait», avoue-t-elle. La grande variété de boissons non alcoolisées dans des contenants élégants ne nuit certainement pas non plus. «J’aime acheter des choses, et j’ai commencé à me gâter avec de jolies bouteilles de boissons sans alcool.» Sa préférée? Un kombucha fait à base de marc de raisin chardonnay. Cela dit, elle se défend bien de faire du prosélytisme. «Si boire te rend heureux, c’est cool, dit Kelly. Mais sois honnête envers toi-même: n’es-tu pas anxieux le lendemain?» Cette angoisse familière des lendemains de veille a également contribué à la décision d’Erin: «L’angoisse que je ressentais m’a davantage motivée à arrêter que les conséquences physiques de l’alcool», mentionne-t-elle. Margaret témoigne de l’impact de sa consommation sur son estime personnelle. «Boire ne me faisait plus me sentir bien dans ma peau.»

Personnellement, je ne veux pas mettre une croix sur l’alcool: le bon vin et les cocktails font toujours mon bonheur. Mais dire adieu aux lendemains de veille? Plutôt tentant. Je vise donc à devenir plus attentive à ma consommation et à mon interrupteur interne. Je souhaite m’attarder davantage sur ce que je veux vraiment, sur le moment, plutôt que sur ce que je me refuse. Et qui sait? Peut-être que ça me mènera un jour à la sobriété. Après tout, c’est tellement tendance! 

*Le nom des intervenantes a été changé.