Avez-vous un flacon de Purell dans votre sac à main? Si vous répondez non, laissez tomber ce magazine, lavez-vous les mains et courez à la pharmacie du coin. Votre santé en dépend.

Je ne rigole pas. Sur le site Internet de la compagnie Purell, on donne 99 bonnes raisons d’utiliser le fameux liquide antigermes. Raison no 6: les poteaux et les bancs dans les transports en commun. Raison no 10: le pistolet des pompes à essence. Raison no 20: les agrafeuses dans les bureaux. Raison no 39: les revues dans les avions. Raison no 67: la poignée des paniers dans les supermarchés. Raison no 96: les billets de cinéma.

Tous ces objets sont remplis de germes, et donc susceptibles de vous transmettre la grippe espagnole, le virus Ebola ou je ne sais quelle autre maladie contagieuse qui vous fera mourir dans d’atroces souffrances.

À lire cette liste exhaustive, une idée m’est venue en tête. S’il y a autant d’objets sales et dégueulasses autour de nous, pourquoi acheter du Purell? Ne ferions-nous pas mieux de porter des gants du matin au soir? Et quand on veut faire l’amour, on fait quoi? On porte un habit de cosmonaute ou de scaphandrier?

L’obsession de la propreté et la peur des microbes, ça commence à faire. Je ne dis pas qu’il faille revenir au bon vieux temps où les hommes et les femmes ne prenaient qu’une douche par mois (pourquoi se laver quand on peut se parfumer, se poudrer le visage et porter une perruque pour cacher les poux qui grouillent dans nos cheveux?), mais entre ça et la société hyper aseptisée dans laquelle nous vivons, il doit bien y avoir un juste milieu… C’est rendu qu’à la télé deux pubs sur trois concernent la propreté. Tout doit être frais, propre, blanc, étincelant, nickel. Un poil a eu la malencontreuse idée de pousser sur une quelconque partie de votre corps? Vite, sortez le rasoir, la pince ou la cire, et chassez-moi cet intrus! Arrachez ses racines, pulvérisez-le!

Les hommes doivent maintenant ressembler à M. Net: chauve, imberbe, les muscles moulés par un t-shirt immaculé…

Et s’il n’y avait que la propreté corporelle… Bientôt, j’en suis convaincu, on va inventer un Purell destiné à purifier la société.

Les gens seront tous beaux, blancs et propres, comme dans les émissions de téléréalité. Adieu fumeurs, soûlons, carnivores, fêtards et cancres… Notre univers va ressembler au salon de Bree Van De Kamp, la madame Blancheville de Beautés désespérées. Pas un pli, pas une tache, chaque objet à sa place, et une coutellerie en argent bien astiquée au cas où la reine d’Angleterre se pointerait pour le thé.

«La propreté est bien plus qu’une apparence extérieure. Elle implique des principes universels de vie saine. Elle est aussi un état d’esprit qui touche notre moralité […]»

Qui a écrit cela? Les Témoins de Jéhovah.

«La propreté est une qualité intrinsèque de Jéhovah, le Dieu saint et pur qui en est à l’origine, peut-on lire sur leur site Internet. Il nous enseigne à devenir saints et purs dans toutes nos voies pour notre profit […]» Dans tous les aspects de notre vie, il encourage la pureté spirituelle, la pureté morale, la pureté mentale et la pureté physique…

Pourtant, tous les médecins le disent: la meilleure façon de devenir vulnérables aux microbes est de les exterminer. Notre organisme a besoin de germes pour développer des anticorps.

Qui sait? C’est peut-être la même chose pour la société. À trop vouloir être pur, on affaiblit notre système immunitaire et on tombe malade au moindre coup de vent…

Article publié originalement dans le numéro d’avril 2007 du magazine ELLE QUÉBEC