On dit que le Québec s’est débarrassé de la religion. Faux. La religion est toujours au centre de notre culture, de notre façon de voir les choses.

Prenez notre rapport à l’argent, par exemple.

Au Québec, les gens qui réussissent financièrement sont mal vus. Au pire, ce sont des voleurs, au mieux, des vendus. En tout cas, ils sont suspects. Il y a quelque chose qui cloche chez eux. Ils ne sont pas nets.

Je pense aux fameuses Têtes à claques, les p’tits bonshommes rigolos de Michel Beaudet. Au début, tout le monde tripait sur les Têtes à claques. On ne pouvait pas faire deux pas sans entendre: «Des toasts, des toasts!», «Donne-moi des Pop-Tarts» ou «Hé, mon ami, aimes-tu ça, des patates?»

Mais dès que Michel Beaudet a commencé à faire de l’argent avec sa création (en ajoutant de la pub sur son site Internet et en signant une entente avec un géant de la téléphonie), des voix de protestation se sont aussitôt élevées.

«C’est ça, “il est à l’argent”», «Il me semble que c’était meilleur avant», «Décidément, il est prêt à tout pour faire la piastre…» Comme si Michel Beaudet n’avait pas le droit de gagner honorablement sa vie avec son talent! Comme si c’était péché de faire de l’argent! Quand le plombier va déboucher vos toilettes, le payez-vous? Pourquoi les créateurs n’auraient-ils pas le droit, eux aussi, d’être payés pour leurs services? Quel mal y a-t-il à ça?

Chaque fois que j’entends un Québécois établir un lien entre la valeur d’une personne et sa situation financière (l’une étant toujours inversement proportionnelle à l’autre, bien sûr), je me dis que, si on a sorti le Québécois de l’Église, on n’a décidément pas sorti l’Église du Québécois…Chez les cathos, les derniers sont toujours les premiers. Comme on peut le lire dans le Nouveau Testament: «Il est plus facile pour un chameau de passer dans le chas d’une aiguille que pour un riche d’entrer au paradis.»

Dans la religion catholique, le monde est tranché en deux: les pauvres sont bons, les riches sont mauvais. C’est aussi clair que ça. Plus tu as de plaies, plus tu souffres et plus tu tires le diable par la queue, plus tu vas te remplir la panse une fois au paradis. À l’inverse, plus tu es riche et plus tu es puissant, plus tu vas brûler en enfer. Le bonheur n’est pas pour ici-bas, il ne peut exister qu’au-delà des étoiles. «Heureux les gueux, car le Royaume des Cieux est à eux.» Bref, plains-toi et le ciel t’aidera.

Chez les protestants (c’est-à-dire les Anglos), c’est tout le contraire. Dieu ne veut pas que tu souffres, Dieu veut que tu prospères et que tu en fasses bénéficier ton entourage (d’où l’importance du mécénat dans la communauté anglophone). Si tu es riche, c’est que Dieu t’a béni.

Un catho qui a réussi va cacher sa Mercedes dans sa cour pour que personne ne la voie. Un protestant qui a réussi va garer sa Mercedes devant chez lui. Il va d’ailleurs en être fier, alors que le catho, lui, va crouler sous la honte et la culpabilité.

La pensée de la gogauche est également empreinte de culpabilité catholique. On se lance en politique? Nos affiches seront en noir et blanc, nos candidats s’habilleront comme la chienne à Jacques (l’orgueil est un péché mortel, rappelons-le), et on aura deux porte-paroles plutôt qu’un chef, car la compétition, c’est pas beau. Zzzzzzzz…

Le temps est venu de changer tout ça. Non, l’argent n’est pas malsain, les riches ne sont pas tous des crosseurs, et vendre le fruit de son labeur – physique ou intellectuel – n’est pas un péché.

Le Québécois est sorti de l’Église. Reste à savoir s’il peut se sortir l’enfer de la tête.

Article publié originalement dans le numéro de juin 2007 du magazine ELLE QUÉBEC