Récemment, le New York Times a publié un article sur la nouvelle ère des rédactrices en chef des magazines de mode. Les plus grandes maisons d’édition du monde entier – qui publient Vogue, Vanity Fair ou Harper’s Bazaar – ont remercié dans les derniers mois des dirigeants de leurs publications clés qui étaient en poste depuis parfois plus de 20 ans. Finis les comportements de diva et la pensée unique dans les salles de rédaction. Bienvenue en 2021!

Quand j’ai commencé à travailler dans les médias, au début des années 2000, les rédacteurs et les rédactrices en chef ainsi que les éditeurs et les éditrices avaient presque un droit de vie et de mort sur leurs employés. J’exagère, mais à peine! À tout moment, on se faisait rappeler par ceux au sommet de la hiérarchie qu’il y avait beaucoup d’appelés, mais très peu d’élus. «Des gens qui veulent ta job, il y en a des milliers. Tu devrais t’estimer heureuse d’en avoir une.» Dans les cours de management, on appelle ça: la gestion par la peur.

Vous pensiez que le personnage de Meryl Streep dans The Devil Wears Prada ne relevait que de la fiction? Que nenni! J’ai vu pire. Nous sommes d’ailleurs plusieurs dans le milieu des magazines à avoir vécu la tyrannie d’une éditrice qui venait du monde de la pub, et pour qui s’adresser à ses employés de façon grossière – dans leur dos ou en pleine réunion, devant eux – était la norme. Insultes, critiques, excès de colère étaient au rendez-vous. Quand on sait qu’on passe plus de temps au travail qu’à la maison, ça faisait de très, très longues semaines. C’était il y a plusieurs années, mais une collègue qui était aussi sous le joug de cette patronne m’a confié récemment garder encore des séquelles de cette mauvaise période professionnelle – et avoir dû payer des milliers de dollars en psychothérapie pour pouvoir s’en remettre. Et elle n’est pas toute seule. Selon des études canadiennes récentes, 47 % des Canadiens disent que leur travail est la partie la plus stressante de leur journée, et 16 % d’entre eux disent que leur environnement de travail est une source de dépression, d’anxiété ou d’un autre trouble de la santé mentale. Ouf!

Vous vous demandez peut-être pourquoi, à l’époque, nous n’avons pas dénoncé les comportements tyranniques de celle qui était censée nous chapeauter, nous guider – comme l’ont fait les employés de la gouverneure générale du Canada, Julie Payette, en dénonçant son comportement inacceptable, ce qui lui a d’ailleurs coûté son poste? D’abord parce qu’il y a 10 ans, le discours n’était pas du tout le même. Lorsque la situation problématique a été présentée aux hauts dirigeants et aux Service des ressources humaines, on nous a répondu que «diriger n’était pas un concours de popularité». Au sein de cette organisation, les résultats financiers primaient. Ça a pris des années – et l’aide d’une consultante – pour que l’équipe soit enfin entendue. J’avais démissionné depuis belle lurette.

Vous comprendrez donc que je me réjouis de la conversation actuelle entourant les environnements de travail toxiques, dans l’univers des magazines comme ailleurs. Il est grand temps de dénoncer les gens qui nous pourrissent la vie au quotidien – au bureau comme dans les autres sphères de notre vie. Même si ce n’est pas toujours simple de prouver le harcèlement psychologique. Le respect, c’est la base. Surtout lorsqu’on a la responsabilité – le privilège! – de diriger une équipe. Je ne suis certainement pas une leader parfaite, mais je peux vous dire que chaque jour, je m’efforce d’être la boss que j’aurais toujours voulu avoir. Et mon équipe me le rend au centuple.

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ELLE QUÉBEC - SEPTEMBRE 2021

ELLE QUÉBEC - SEPTEMBRE 2021Alexis Belhumeur

Photographie Alexis Belhumeur. Stylisme Patrick Vimbor. Direction de création Annie Horth. Maquillage Leslie Ann Thomson (The Project, avec les produits Armani Beauté et SkinCeuticals). Coiffure David D’Amours (Folio Montréal, avec les produits Kérastase). Production Estelle Gervais. Coordination Laura Malisan. Assistants à la photographie Mitchell Wright et Julien Herger. Assistante au stylisme Ana Lontos. Julie porte une veste Junya Watanabe et des boucles d’oreilles Lemaire.