Désolé, j’ai essayé, mais je n’y arrive pas. Je ne suis pas capable d’écouter des émissions comme Bachelor, Survivor, Loft Story ou Occupation double.

Ce n’est pas par snobisme. Ce n’est pas parce que je trouve que les émissions de téléréalité enlèvent du boulot aux «vrais» artistes, ou qu’elles font croire aux gens que n’importe qui peut devenir une star du jour au lendemain. C’est parce qu’elles me foutent la déprime.

Deux minutes devant une de ces émissions, et je deviens complètement paranoïaque. Voyez-vous, malgré ma réputation de grand cynique (réputation totalement surfaite, je vous le jure), je suis plutôt naïf. J’ai tendance à faire confiance aux gens, à penser que le monde est altruiste, gentil, généreux. Or, qu’est-ce qu’on voit dans ces émissions? Une bande d’hypocrites qui se poignardent dans le dos, se trahissent, mentent. Des gens hyper ambitieux qui seraient prêts à vendre leur mère ou à pousser leur meilleur ami dans le fossé pour se faire une place au soleil et mettre la main sur le magot.

Je sais, je sais: la plupart des gens sont comme ça. Nous sommes tous ratoureux, nous avons tous une personnalité publique et une personnalité privée. Nous cultivons tous un jardin secret, nous avons tous des zones d’ombre, nous faisons tous passer notre bonheur personnel avant celui des autres. Nous tripons tous sur les potins, les ragots, les rumeurs. Mais faut-il, pour autant, dévoiler ça au grand jour?

Je suis sûr que si on mettait le téléphone du dalaï-lama sur écoute, on découvrirait des choses pas très drôles sur le personnage. Qu’il déteste sa belle-soeur, qu’il dit du mal de son voisin ou qu’il aime mémérer dans le dos de ses proches collaborateurs, par exemple. Mais à quoi cela nous avancerait-il?

Eh oui, là où il y a de l’homme, il y a de l’«hommerie». So what? Tout le monde le sait, pas besoin de s’en vanter aux heures de grande écoute!
Dans Voting Democracy off the Island: Reality TV and the Republican Ethos, un essai percutant qui a été publié dans le magazine américain Harper’s il y a deux ans, l’auteure Francine Prose affirme que les émissions de téléréalité célèbrent les valeurs de la droite.

«Ces émissions propagent toutes les mêmes valeurs, écrit-elle. C’est-à-dire la conviction que l’altruisme et la compassion sont des signes de faiblesse, l’exaltation de l’ambition individuelle au détriment de l’entraide, la croyance que le mensonge et la trahison peuvent être justifiés dans certaines circonstances, et la certitude que la seule façon de gagner est de s’assurer que les autres échouent. On a l’impression d’entendre les membres de l’administration Bush. C’est la même éthique, la même morale, la même vision du monde.»

Pour Francine Prose, les émissions de téléréalité sont condamnables car elles véhiculent des idées antidémocratiques. «Regardez ce qui arrive quand c’est le temps de voter, fait-elle remarquer. On n’élit pas quelqu’un, on ÉLIMINE quelqu’un! On l’évacue carrément de l’île, on le rejette hors du groupe. On détruit le tissu social au lieu d’essayer de le resserrer. Le but recherché par les participants n’est pas le bien commun ou la poursuite du bonheur collectif, c’est l’enrichissement personnel.»

Pour ma part, je ne vais pas jusque-là. Je ne fais pas d’analyse politique du phénomène. Si j’éprouve de la difficulté à regarder les émissions de téléréalité, ce n’est pas parce qu’elles me font penser à George W. Bush ou au Parti républicain. C’est parce qu’elles me rappellent un côté de moi (et des autres) que je préfère oublier.

La confiance est un des piliers de la société. Alors, si on commençait à se méfier de tout le monde, on ne ferait plus rien…

Article publié originalement dans le numéro d’août 2006 du magazine ELLE QUÉBEC