L’autre jour, j’ai failli casser mon ordinateur à coups de marteau. La raison: mon modem câble a flanché. J’ai dû attendre un gros 35 secondes avant de pouvoir me rebrancher sur le réseau Internet.

Il y a quelques années, 35 secondes, c’était 35 secondes, c’est-à-dire un clin d’œil, un pet, rien. Aujourd’hui, ça me paraît une éternité.

L’efficacité redoutable des ordinateurs super puissants m’a rendu hyper impatient. Trente-cinq secondes de délai, et je pète les plombs, je pique une crise. Je grimpe dans les rideaux.

Pourtant, il y a quelques années, qu’est-ce que je devais faire quand je voulais consulter un texte qui avait été publié, par exemple, le 13 octobre 1974? Je devais prendre le métro, me rendre à la Bibliothèque nationale, remplir une petite fiche, attendre 15 minutes, feuilleter un livre gros comme une Lada, retracer mon texte, trouver 25 sous dans mes poches, photocopier le document, rapporter le livre à la préposée et retourner chez moi. Durée de l’opération: une demi-journée.

Le pire, c’est que ça ne me paraissait même pas long. C’était le temps qu’il fallait mettre. Aujourd’hui, j’attends 35 secondes, et je suis prêt à lancer mon iBook par la fenêtre. Que s’est-il passé?

Le temps s’est accéléré. Quand tout va vite, la moindre nanoseconde d’attente vous fait suer. Je lisais récemment un essai passionnant écrit par un journaliste scientifique (Radical Evolution, de Joel Garreau). Le temps, dit l’auteur, se compresse de plus en plus.

Prenez l’évolution de l’homme, par exemple. Entre la formation de la Terre et l’apparition des premiers organismes multicellulaires, il s’est écoulé quatre milliards d’années. Entre l’apparition de ces organismes et celle des premiers mammifères, 400 millions d’années. Entre les premiers mammifères et les premiers singes, 150 millions d’années. Entre les premiers singes et les premiers hominidés, 30 millions d’années. Entre les premiers hominidés et les premiers humains qui marchaient debout? Seize millions d’années. Quatre millions d’années pour arriver à peindre, 10 000 ans pour créer les premières communautés sédentaires, 5000 ans pour inventer l’écriture, 4000 ans pour fonder l’Empire romain, 1800 ans pour accoucher de la révolution industrielle, 169 ans pour marcher sur la Lune et 20 ans pour créer l’âge de l’information.

Aujourd’hui, le rythme du progrès double tous les deux ans. Il se passera probablement plus de choses entre 2005 et 2010 qu’il s’en est passé entre 1750 et 1975.

L’ordinateur que vous possédez actuellement sera obsolète dans un an ou deux. Pensez à ça deux minutes (non, vous n’avez pas le temps; pensez à ça deux secondes). Ça donne carrément le vertige.

Nous sommes à bord d’un bolide qui va de plus en plus vite. Vous éprouvez des problèmes avec votre téléphone cellulaire? Jetez-le à la poubelle et achetez-en un autre: de toute façon, votre modèle n’est probablement plus offert sur le marché. Les nouveaux portables sont plus rapides, plus performants, ils prennent des photos, téléchargent des pièces musicales, captent des émissions de télé, enregistrent des conversations…

Il n’y a pas que les objets qui deviennent passés de mode après six mois: les relations aussi sont jetables. Les couples durent de moins en moins longtemps. On passe d’un boulot à l’autre, d’un amour à l’autre, d’un pays à l’autre. On change même de religion!

La pérennité est une valeur en voie d’extinction. Pas étonnant que les politiciens ne fassent plus de plans à long terme! Plus personne n’en fait. À quoi bon? Dans cinq ans, le monde sera complètement différent.

Avant, je gardais tous les magazines que j’achetais. Aujourd’hui, je les mets au recyclage dès que je les ai lus. D’ailleurs, je suis sûr que si je relisais le début de ma chronique, je la trouverais dépassée…

Article publié originalement dans le numéro de décembre 2005 du magazine ELLE QUÉBEC