OK, les boys, envoyez votre blonde à son cours de Pilates, on va se parler dans le blanc des yeux.

Y a-t-il vraiment des gars qui tripent sur les paquets d’os ambulants qu’on voit dans les défilés de mode? Vous savez, ces mannequins qui pèsent 62 livres, une fois mouillées, et qui font toujours la gueule parce qu’elles sont écoeurées de manger de la laitue du matin au soir? Ça vous fait vraiment triper, vous?

Moi non plus. Je ne connais d’ailleurs aucun gars qui aime ce genre de filles. Pourtant, à la télé et au cinéma, on ne voit qu’elles. Les spectres anorexiques se suivent et se ressemblent tous.

Tenez, l’autre jour, en zappant, je suis tombé sur une émission de mode. Je croyais regarder une scène de La liste de Schindler, le film de Steven Spielberg sur les camps de concentration nazis. Tout ce qui manquait, c’était le pyjama rayé. Les filles qui déambulaient sur la passerelle avaient les mêmes cernes gris, le même regard vitreux et le même ventre concave que les rescapés de l’Holocauste. Un peu plus, et je me précipitais sur le téléphone pour leur envoyer de l’argent et des denrées non périssables.Dans Le premier sexe, un pamphlet controversé sur la féminisation de la culture contemporaine, Éric Zemmour, grand reporter au quotidien français Le Figaro, jette un regard critique sur ce phénomène. Pour lui, pas de doute, c’est la faute aux gais. «Les top models d’aujourd’hui sont des mutantes avec des corps de garçons, écrit-il. Ces mannequins n’ont qu’une détestation: “C’est quand on les transforme en bimbos.” Horreur! Des seins, un cul, un côté aguicheur, trop sensuel, trop féminin. “C’est vulgaire…”

«Les créateurs de mode n’utilisent plus les corsets, ils travaillent sur la chair même, qu’ils modèlent à leur guise. Leur bistouri, c’est l’image. Ils entraînent l’humanité vers des corps de femmes sans seins ni fesses, sans rondeur ni douceur, des corps de mecs, longs et secs. Ce sont leurs fantasmes que les créateurs de mode imposent au public, leurs fantasmes d’homosexuels (puisque l’énorme majorité d’entre eux le sont) qui rêvent davantage sur le corps d’un garçon que sur celui d’une femme.»
Vrai, faux? Je ne saurais le dire. Je suis sûr que mes amis gais ne seraient pas d’accord avec ces propos, qu’ils les trouveraient insultants, paranos, homophobes. Reste qu’il y a quand même une part de vérité là-dedans.

Les mannequins d’aujourd’hui n’ont de féminin que le nom. Où sont passées les Sophia Loren, Marilyn Monroe, Brigitte Bardot – ces sexes-symboles d’un autre temps qui avaient des courbes, des fesses, des hanches?

Pas étonnant qu’une nouvelle génération d’hommes tombe à son tour sous le charme de Bettie Page, pin-up mythique des années 50. Ils en ont ras le cul des zombies tristounets qui font la sale gueule sur la une des magazines. Ils veulent des sourires, des clins d’œil gras, des bouches pulpeuses, des cuisses invitantes.

Il y a quelques semaines, j’ai assisté à une soirée burlesque dans un cabaret de Montréal. Pendant deux heures, des filles «ordinaires» (c’est-à-dire avec des formes) effectuaient des stripteases coquins sur une scène. Tous les gars assis dans la salle avaient la même impression: celle de se retrouver devant un sandwich au smoked meat après avoir passé 10 ans à manger de la luzerne. Enfin, du plaisir! Enfin, du pain, de la moutarde, du Cherry Coke!

C’est bien beau, la peinture abstraite, la pureté, l’austérité, les carrés blancs sur fond blanc. Mais rien ne vaut une scène de campagne peinte par Renoir.

Elles font la gueule, les mannequins des années 2000? Eh bien, qu’elles fassent la gueule toutes seules. Moi, je décroche.

La vie est trop courte pour triper sur des cadavres.

Article publié originalement dans le numéro de janvier 2007 du magazine ELLE QUÉBEC