Faites-vous confiance aux politiciens? aux journalistes? aux policiers? aux avocats? Si je me fie aux sondages qui sont régulièrement publiés dans les journaux, la réponse est probablement «Non».

Les représentants des grandes institutions traversent une grave crise de confiance depuis quelques années. La population est de plus en plus cynique, de plus en plus sceptique. Aux yeux de la plupart des gens, les policiers sont corrompus et violents, les avocats n’ont aucune morale, les politiciens mentent comme ils respirent, et les journalistes sont à la solde du pouvoir et des grandes corporations. Ajoutez à ça les cols bleus paresseux, les médecins qui ne pensent qu’à leur portefeuille, les prêtres pédophiles et les professeurs qui se plaignent la bouche pleine, et vous avez une très belle vision de la société. Une société dans laquelle tout le monde fourre tout le monde et où plus personne n’est digne de confiance.

Remarquez, ce cynisme n’est pas très surprenant. Quand on se fait mentir à tour de bras par des personnes qui sont censées défendre la vérité, on finit par prendre ce que les gens nous disent avec un très, très gros grain de sel. Le hic, c’est que les citoyens ont besoin d’avoir foi en quelque chose. S’ils ne peuvent plus avoir une confiance absolue dans les prêtres et les journalistes, ils croiront aux leaders de sectes et aux colporteurs de rumeurs.

Prenez Internet, par exemple. Au début, ce nouveau média était censé démocratiser l’information et éduquer le peuple. La révolution annoncée s’est-elle produite? Oui, en partie: l’information a bel et bien été démocratisée. Tellement que n’importe qui, aujourd’hui, peut écrire n’importe quoi sur n’importe quel sujet. Il suffit d’avoir un ordinateur, un accès Internet haute vitesse et beaucoup d’imagination. Les théories du complot qui, hier encore, n’amusaient qu’une poignée d’initiés versés en matière de substances psychotropes font maintenant partie du «menu médiatique quotidien» de millions et de millions de personnes. À force de regarder The X Files, Alias et Les Bougon, la majorité des gens est convaincue que le crossage et le mensonge sont les deux mamelles de la société.
Résultat: Da Vinci Code, un thriller ésotérique de série B, passe pour un grand livre d’histoire, et Thierry Meyssan, un zozo qui affirme qu’aucun avion ne s’est écrasé sur le Pentagone le 11 septembre 2001, passe à la télé et devient multimillionnaire. Pour le philosophe et politologue français Pierre-André Taguieff, le monde est devenu une foire aux illuminés. On tripe sur les sociétés secrètes, les organisations underground, les pamphlets conspirationnistes, le mystère, le secret. Le pouvoir nous ment? Alors la vérité se situe du côté du contre-pouvoir, des rebelles, des anarchistes. Elle ne repose pas au soleil, mais à l’ombre, dans l’obscurité.

«Le XXIe siècle a beau enregistrer une progression fulgurante de la recherche scientifique, il n’en affiche pas moins une terrible régression idéologique, écrit Taguieff. Nous assistons au spectacle consternant du triomphe de l’irrationalité. L’ésotérisme vole de succès en succès, métamorphosant des romans improbables en best-sellers, inspirant des films, irriguant bandes dessinées et Internet. L’obsession paranoïaque du complot devient pour des centaines de millions de cerveaux ignorants ou crédules la clé de l’actualité: dans leur esprit, le secret, la conspiration, les réseaux, les élites cachées et les oligarchies forcément perverses mènent le monde. Les haines religieuses, les extrémistes de droite et de gauche se nourrissent de ces élucubrations pernicieuses.»

Quand j’étais adolescent, je tripais sur les livres d’Erich von Däniken. Comme ce pseudoanthropologue suisse, je croyais que les pyramides avaient été construites par des extraterrestres. Mais j’ai vieilli, je me suis renseigné et je me suis rendu compte que ces théories étaient des sornettes. Or, aujourd’hui, j’ai l’impression que le monde entier est devenu adolescent! Les théories les plus farfelues sont prises au sérieux. C’est tout juste si on ne nous dit pas qu’on entend la voix de Ben Laden quand on écoute Dark Side of the Moon à l’envers…

«Devenir adulte, c’est apprendre à vivre dans le doute et dans l’incertitude», a dit l’astrophysicien Hubert Reeves. Malheureusement, l’homme a tellement peur du doute qu’il est prêt à croire n’importe quoi. Même la pire des conneries.

Article publié originalement dans le numéro de juillet 2006 du magazine ELLE QUÉBEC