Je ne dois pas fumer car c’est mauvais pour ma santé. Je dois faire de l’exercice trois fois par semaine. Je ne dois pas acheter de café au coin de la rue car celui qu’on y vend n’est pas équitable. Je ne dois ni manger de viande ni acheter de manteau en cuir ou en fourrure car ça ne respecte pas les animaux. Je ne dois pas prendre mon auto, mais les transports en commun pour me rendre au travail. Je dois consommer de l’alcool modérément. Je dois attendre que ma blonde jouisse avant de jouir. Je ne dois jamais sacrer, car c’est de l’agressivité verbale. Je dois être en contact avec mes émotions. Je dois être gentil avec chaque personne qui me demande de l’argent dans la rue, même si cette personne m’engueule et me traite d’égoïste. Je ne dois pas juger mon prochain. Je dois être informé.

Je dois respecter l’opinion des autres, même si l’autre en question croit dur comme fer que la femme est un être inférieur qui doit porter le voile, pondre un enfant tous les neuf mois et marcher 15 pieds derrière son mari. Je ne dois jamais traverser une ligne de piquetage, même si la cause du litige est complètement absurde. Je dois appuyer les profs, même quand ils décident de boycotter le Salon du livre; après tout, ils sont mal payés, les profs, il faut les comprendre, les aider.

Je dois faire les devoirs avec mes enfants, les accompagner à leur cours de ski, leur lire une histoire avant le dodo, leur préparer des petits plats santé, organiser des fêtes monstres à leur anniversaire, m’extasier devant chacun de leurs gribouillis, connaître le nom de tous leurs amis, filmer chacune de leurs interventions publiques, leur permettre de regarder Le roi Lion autant de fois qu’ils le désirent, entretenir de bonnes relations avec mes ex, me brosser les dents après chaque repas, me laver les mains régulièrement, utiliser de l’exfoliant, recycler les magazines, faire du compost avec mes pelures de patates, etc., etc.

Et après ça, on se demande pourquoi la vente d’antidépresseurs connaît une telle hausse! Merde, peut-on vivre? Peut-on «slacker nos shorts» et respirer par le nez, de temps en temps? Accepter d’être imparfaits, cesser de nous prendre pour mère Teresa, refuser de porter le poids du monde sur nos épaules?

Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi, si j’étais premier ministre du Québec, je construirais un super gros complexe au beau milieu du Saint-Laurent. Son nom: la Fuck-o-thèque. Son slogan: «Fuck off.» On aurait le droit de tout faire à la Fuck-o-thèque: se gratter les fesses, jeter le journal sans même l’avoir lu, manger du gras, ne pas se raser, traiter les Raëliens de triples cons, porter un vison, écraser des fourmis, dessiner des graffitis vulgaires sur les murs… On pourrait même péter les plombs de temps en temps!

Chaque citoyen aurait le droit de passer deux jours par année à la Fuck-o-thèque. En fait, ce ne serait pas un droit, mais un devoir. Un séjour payé par le gouvernement du Québec. Je suis sûr que ce court séjour aurait un effet extrêmement bénéfique sur la population. Les ventes de pilules baisseraient, la consommation d’alcool diminuerait, les gens seraient plus aimables, plus sereins, mieux dans leur peau…

On veut tellement être parfaits qu’on est en train d’en faire une maladie. Le moindre écart de conduite est considéré comme une faute grave. On dit que le Québec s’est débarrassé de la religion. Faux: les gardiens de la morale sévissent toujours. Ils ont juste changé de confession. Ils sont toujours aussi casse-couilles. Mais au lieu de brandir la Bible, ils exhibent le Guide alimentaire canadien, l’oeuvre complète de Françoise Dolto ou la Charte des droits des animaux.

Ils ont grimpé la montagne. Ils ont vu la lumière. Et ils vont nous dire quelle voie emprunter pour gagner le paradis. Et le pire, c’est qu’on ne peut même pas les contredire, car ils ont la science de leur côté.

Pas étonnant qu’on tripe tant sur les histoires de gangsters et de mafiosos. Rien de mieux qu’une bonne odeur de soufre pour nous faire oublier le lourd parfum de l’encens.

Article publié originalement dans le numéro de février 2006 du magazine ELLE QUÉBEC