J’avais 19 ans et pas toutes mes dents. L’hiver était tombé sur Montréal. Pour se réchauffer le coeur et le corps, mes amies m’avaient traînée de force dans un bar qui n’existe plus pour une soirée de karaoké. J’y suis allée à reculons. J’avais peur. L’idée de chanter devant des inconnus me terrifiait. Je suis restée figée, paralysée, clouée à ma chaise toute la soirée. Peu avant la fermeture, après au moins une centaine d’hésitations et de mauvais shooters, je me suis enfin lancée. J’ai griffonné à la hâte sur un bout de papier la chanson que j’allais interpréter: 1990, de Jean Leloup. Grave, grave erreur. Trop rapide, trop compliquée. J’ai fredonné n’importe quoi, n’importe comment, sans y prendre plaisir, juste pour m’en débarrasser. Et puis je me suis juré craché que je ne recommencerais plus jamais!

Quelques années plus tard, pour les besoins d’un tournage, je me suis retrouvée encore une fois dans un bar karaoké un peu glauque de l’est de la ville. J’étais curieuse, mais sans plus, ma première expérience humiliante m’étant restée en travers de la gorge. Après quelques heures passées à siroter des bières dans ce décor au glamour défraîchi, j’ai commencé à me détendre. L’enthousiasme de l’animateur de la soirée à la moustache trop blonde m’a donné confiance. La simplicité de la foule bigarrée, armée de Molson tablette, m’a mise à l’aise. Alors j’ai empoigné le micro à deux mains et j’ai plongé: j’ai chanté à en perdre haleine des dizaines de chansons sirupeuses. Je me suis cassé la voix sur des versions cheaps de N’importe quoi, d’Éric Lapointe, Et pourtant, d’Aznavour et Sous le vent, de Céline. Et je me suis sentie libre. Moi qui suis si fière, si orgueilleuse, j’ai complètement lâché prise sur cette petite scène mal éclairée. Rien d’autre ne m’habitait que le plaisir de fausser sans pudeur. De perdre le contrôle dans un micro.
 

Depuis, je suis amoureuse du karaoké. C’est mon défoulement, mon lieu de liberté totale. L’endroit où l’imperfection est de mise, où le ridicule ne tue pas, où les maladresses sont sexys. Certains se dépensent dans le cyclisme, d’autres se passionnent pour la dégustation de vins ou la boxe thaï. Moi, je m’évade dans le karaoké. C’est mon sport extrême. Mon plaisir coupable assumé. Ma préférence à moi.

Ils connaissent la chanson…

  • J’ai rencontré le maître incontesté du karaoké montréalais au mythique Club Date, dans le village gai. Paul règne sans partage sur ce temple du kitch, où il épice nos soirées avec ses interprétations senties des grands succès de Michèle Richard et de Dalida! 1218, rue Sainte-Catherine Est, Montréal
  • Je me suis prise pour Scarlett Johansson dans Lost in Translation chez Pang Pang. Un des seuls endroits à Montréal où l’on peut vivre son karaoké à la japonaise, c’est-à-dire en performant dans une petite salle privée au lieu de monter sur une grande scène. J’ai eu l’impression d’être dans un bordel nippon ou un motel des années 1960… 1226, rue Mackay, Montréal
  • Un de mes souvenirs marquants de karaoké, c’est la chanson Femmes de rêve, que j’ai chantée le soir de mes 34 ans en choeur avec le groupe Misteur Valaire. C’était au Bar St-Malo, à Rimouski. Les membres du groupe étaient dans les parages pour un concert. 134, rue Saint-Germain Est, Rimouski
  • Mon ultime chanson karaoké: la très prenante Livin’ on a Prayer, de Bon Jovi, parce qu’elle se chante à tue-tête et à pleine gorge. Pour moi, elle évoque des images de road trip et de désert californien. J’ai pu la tester au Funky Winker Bean’s, à Vancouver, où des artistes font des créations vidéo originales pour accompagner les grands succès karaoké les soirs de fin de semaine. 35, West Hastings Street, Vancouver

… et eux ausssi!

  • Bistrot du Fjord, 620, ch. Saint-Thomas, Chicoutimi
  • Astral 2000, 1845, rue Ontario Est, Montréal

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