Puis-je vous avouer une chose sans que vous me lanciez des roches? Je déteste les livres «de femmes». Il n’y a rien qui m’ennuie plus que ça. Chaque fois que je passe devant le rayon de la chick lit (littérature de filles) de ma librairie préférée, j’ai une poussée d’acné. Je ne suis plus capable de lire ces histoires de filles qui flirtent, qui boivent et qui grimpent, un à un, les échelons du succès.

Hé oui, Mesdames, vous bossez, vous buvez et vous baisez. Et alors? C’est censé nous impressionner?

Heureusement, je ne suis pas le seul à être allergique à ce genre de romans. Natacha Polony, prof de littérature et responsable des pages Éducation de l’hebdomadaire français Marianne, partage mon ras-le-bol. Dans L’Homme est l’avenir de la femme, un pamphlet jouissif sur les dérives d’un certain féminisme, elle consacre quelques lignes savoureuses au phénomène: «L’obstination que mettent nombre de femmes de lettres d’aujourd’hui à n’étaler dans leur écriture que les variantes de leurs émotions de femmes (mes déceptions amoureuses, ma grossesse, mon bébé…) perpétue savamment une répartition des rôles: aux hommes l’universel, aux femmes les histoires de femmes…»

Les artistes prennent le monde à bras-le-corps. Or, les auteures de chick lit n’expriment pas une vision du monde, elles étalent leur intimité.

Comme si l’univers se limitait à leur bureau, à leur salon de coiffure et à leur lit. Depuis le temps que les femmes se battent pour avoir le droit de sortir de leur cuisine et de prendre part aux affaires de la cité, voici que la chick lit les enferme de nouveau dans leur confortable intérieur.

Vous ne trouvez pas ça triste, vous?Femmes d’intérieur

Pendant que les hommes écrivent sur la guerre, la politique et l’Histoire, les femmes, elles, se consacrent aux sentiments et à la psychologie.

Regardez Oprah Winfrey. Les livres que la reine de la télé conseille à ses fans en jupon racontent tous la même histoire: comment des femmes alcooliques, pauvres, toxicomanes ou dépendantes ont réussi à contourner les obstacles et à prendre leur vie en main.

On a l’impression de lire une chronique psycho pop. «Ces femmes qui aiment trop», «Ces femmes qui manquent d’estime de soi», «Ces femmes qui se trouvent trop grosses et trop laides»…

À quand «Ces femmes qui sont incapables de sortir de leur salon»?

C’est quoi, cette fascination du je?

Après des décennies passées à mener des luttes collectives et à parler au nous, les femmes ont besoin de redécouvrir leur individualité, c’est ça? De troquer l’arène publique contre l’arène privée?

OK, d’accord, je comprends…

Maintenant que vous avez sorti ça de votre système, et que vous avez fait une surdose de Prada et de Manolo Blahnik, pourrait-on, s’il vous plaît, passer à autre chose?

Parce que là, franchement, ça devient gênant. On a l’étrange impression que la plupart des auteures écrivent toutes le même livre.

Combien de versions de Sex and the City peut-on publier et lire en un an? Ça ne vous tente pas de changer de registre? D’écrire – je ne sais pas, moi – un roman d’espionnage ou une série de science-fiction? Avec des rois, des trolls et des milliers de soldats qui dévalent une montagne sur leur monture?

Pourquoi pas un livre qui vous sorte de votre salle de bain et de votre salon de bronzage? «Pour parler de soi, il faut parler de tout le reste», écrivait Simone de Beauvoir dans Les mandarins.

Le monde vous attend, Mesdames. Aiguisez vos crayons, et délivrez-nous des cabines d’essayage.

Article publié originalement dans le numéro d’août 2008 de ELLE QUÉBEC