Le siècle dernier a été témoin de deux mouvements de libération extrêmement importants: celui des Noirs et celui des femmes. Ces luttes ont complètement changé le visage de l’Occident.

Que penseriez-vous si les membres d’un groupuscule religieux vous exhortaient à revenir en arrière et à traiter les Noirs comme des citoyens de seconde classe? Vous leur répondriez: «Absolument pas. L’égalité entre les Noirs et les Blancs est une valeur non négociable.»

Or, c’est exactement ce qui est en train de se passer avec les femmes. Un peu partout à dans le monde, des groupes extrémistes demandent aux femmes de renier leur liberté durement gagnée.

On leur recommande de se voiler. De ne pas se faire soigner par des hommes, de ne pas envahir l’espace masculin. De rester entre elles, de baisser la tête, de marcher sur le bout des pieds, de parler du bout des lèvres, d’accepter de partager leur époux avec d’autres femmes. De ne pas viser trop loin, de ne pas rêver trop fort… Bref, de connaître – et de garder – leur place. D’être dociles, discrètes, obéissantes.

Bizarre, cette peur des femmes, non?

Ils ont beau prier différents dieux et rêver à divers paradis, les extrémistes cathos, juifs et musulmans ont un point en commun: ils se méfient tous des femmes.

Ils perçoivent la femme comme l’incarnation du diable. C’est la sirène qui fait dériver le bateau de la civilisation, le Mal qui nous détourne de Dieu, la créature démoniaque qui nous transforme en statue de sel si jamais on la regarde dans les yeux. Il faut s’en protéger, la mater, la voiler… La rendre invisible. Garder son couvercle bien fermé, sinon qui sait quels horribles fantômes, quels terribles maléfices pourraient en sortir?

La femme est impure, changeante, fourbe. On ne peut lui faire confiance, car elle prend un malin plaisir à exploiter les faiblesses de l’homme, à miner sa force de caractère… Du nord au sud et de l’est à l’ouest, tous les extrémistes religieux ont voulu faire taire la femme. La peur des femmes traverse toutes les cultures et toutes les époques; c’est même la pierre angulaire des trois grandes religions monothéistes.

La femme croque la pomme, coupe les cheveux de Samson, réclame la tête de Jean-Baptiste, entraîne Sodome et Gomorrhe à leur perte, séduit Ulysse, ouvre la boîte de Pandore, pousse Macbeth au meurtre, cause la guerre de Troie…

Mais est-ce la femme qui est forte ou l’homme qui est faible? Poser la question, c’est un peu y répondre.

Car si l’homme trouve la femme dangereuse, c’est parce qu’il se sent vulnérable en sa présence. Parce que sa beauté le trouble, parce que son odeur lui fait tourner la tête, parce que sa chevelure lui fait ramollir les jambes…

La femme, c’est le désir. Et qui dit désir dit abandon. Or, l’homme ne veut pas baisser la garde, sinon qui sait ce qu’il adviendra de son pouvoir?

On parle beaucoup du voile, par les temps qui courent. Du hijab, de la burka. Mais au fil des ans, le voile a pris toutes sortes d’apparences: ceinture de chasteté, électrochocs, antidépresseurs… Chaque civilisation a inventé sa façon de tenir les femmes tranquilles, de les mettre à part, de leur fermer la gueule.

La crainte des femmes n’est pas propre à une culture, à une religion. C’est un des atavismes les plus partagés en ce bas monde. D’où l’importance de le dénoncer, de le pourchasser et de le combattre… où qu’il se terre.

Article publié originalement dans le numéro de mars 2007 du magazine ELLE QUÉBEC