Si j’en crois certains de mes amis, je suis tombé sur la tête. Oh, ils ne me le disent pas en pleine face, mais je le vois dans leurs yeux. Ils me regardent avec un air qui signifie: «Richard est tombé sur la tête.»

Qui sait? C’est peut-être vrai. Je suis peut-être fou. Mais, comme on dit en bon français, c’est ça qui est ça. C’est mon choix et je l’assume. En mars prochain, je vais devenir papa pour une troisième fois. À 46 ans… et deux tiers.

J’ai déjà deux fillettes de 11 et 8 ans – deux belles filles solides sur leurs jambes, qui vont bientôt se transformer en jolies jeunes femmes. Le pire est passé: j’ai réussi à traverser les rapides de la petite enfance sans tomber à l’eau ni boire la tasse. Je vais maintenant pouvoir converser avec mes filles dans un langage d’adulte; elles sont de plus en plus indépendantes et autonomes, elles regardent des films qui m’intéressent, écoutent de la musique qui me fait taper du pied… Bref, tout va bien.

Or, qu’est-ce que je fais? Est-ce que je profite de la situation pour ranger mon canot et accrocher mes rames? Non, je replonge dans les couches, la musique de Maman Fonfon et les p’tits dinosaures roses!

Vraiment, je pense que mes amis ont raison: je suis tombé sur la tête. Mais que voulez-vous, après des années à dire non à la maternité, ma femme a soudainement eu le désir irrépressible d’avoir un enfant. Qu’est-ce qu’un gars peut faire dans une situation pareille? Pouvais-je raisonnablement empêcher la femme que j’aime de vivre cette expérience unique sous prétexte que j’étais déjà passé par là dans une relation précédente et que j’avais déjà coché l’énoncé «Avoir des enfants» dans mon petit recueil des choses à accomplir avant de mourir? Non. Cela dit, j’avoue honteusement avoir essayé de m’esquiver en recourant à un subterfuge: j’ai acheté un petit chien blanc à ma femme pour qu’elle ait quelque chose de vivant à câliner. Mais ça a duré à peine trois mois. Après cette courte lune de miel, l’appel du ventre a de nouveau retenti dans notre chambre à coucher. Alors, un soir de canicule, j’ai sauté. Sur ma blonde. Sans condom.

Résultat: en mars, je refonde une famille sous une nouvelle administration. Et mes amis me regardent poliment en hochant la tête…

Vous dire que je n’avais pas quelques craintes serait un mensonge. Après tout, à 46 ans, on n’a pas la patience qu’on avait à 35 ans. Déjà que je suis loin d’être la patience incarnée…

Mes doutes ont toutefois fondu comme neige au soleil le jour où j’ai annoncé à mes filles qu’elles allaient avoir un demi-frère ou une demi-soeur. Leur sourire valait un million de dollars. Non seulement se sont-elles précipité sur ma femme pour lui caresser le ventre, mais elles ont passé la journée à tenter de trouver un prénom au futur bébé. Puis elles m’ont demandé de l’argent pour lui acheter son premier toutou.

Ce jour-là, j’ai su que j’avais pris la bonne décision. Tout s’est mis en place. Mes confrères de travail ont beau hocher la tête, je m’en fous. Je cours les magasins de meubles et de vêtements pour bébé avec sérénité.

Et en mars prochain, dans une chambre douillette de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, je ferai ce que j’ai fait il y a 11 et 8 ans.

Je prendrai mon bébé dans mes bras, je lui raconterai l’histoire de Dumbo l’éléphant. Et je lui murmurerai tendrement à l’oreille: «Papa t’adore, Nicolas.»

Article publié originalement dans le numéro de janvier 2008 de ELLE QUÉBEC