Lorsque mon amie Marie a déménagé à Washington DC, elle m’a fait promettre d’aller la visiter. «Bien sûr», lui ai-je répondu en pensant que je préfèrerais de loin passer une longue fin de semaine à New York plutôt que dans la capitale américaine. Je m’imaginais cette ville aussi ennuyante que l’adoption d’une loi par la Chambre des communes… Maintenant que je me trouve à l’American Ice Co., un bar aménagé dans un ancien entrepôt de glace qui n’a rien à envier aux adresses hip de Brooklyn, me voilà prête à revoir mes positions. Tout en sirotant une bière servie dans un pot Mason, je discute avec des expatriés que je viens de rencontrer. Ils sont originaires de France, d’Espagne et d’autres États américains, et tous s’entendent pour dire qu’il fait bon vivre dans leur ville d’adoption.

Et ils ne sont pas les seuls à être de cet avis. La veille, alors que je me régalais d’un céviché de pétoncles au restaurant Ris, Anthony Hesselius, un spécialiste du domaine des communications, m’expliquait à quel point Washington s’est transformée au cours des dernières années. Selon lui, c’est l’arrivée de Barack Obama à la présidence des États-Unis en 2009 qui a contribué à l’effervescence qui y règne aujourd’hui. «Lorsque j’ai emménagé ici, il y a 13 ans, George W. Bush venait d’être élu, et l’ambiance était vraiment morose. Sa femme et lui ne sortaient jamais en ville, tandis que Barack et Michelle s’investissent beaucoup dans la vie de Washington», fait observer ce trentenaire originaire du Colorado. D’après Anthony, il n’est pas rare d’apercevoir le couple dîner dans un des restaurants de la ville – et ce, même s’il dispose de quatre chefs à la Maison-Blanche! «La première dame a d’ailleurs été vue ici même, dans ce resto», ajoute-t-il, le sourire aux lèvres.

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Ris Lacoste, la chef-propriétaire de l’établissement, me confirme que la capitale américaine a récemment subi une incroyable métamorphose. «Contrairement à Chicago et à San Francisco, DC n’avait jamais eu de culture gastronomique », m’explique cette Américaine d’origine québécoise qui a été formée à l’école de cuisine La Varenne, à Paris, où elle a côtoyé Julia Child (rappelez-vous le film Julie & Julia). Or, l’attachante chef – qui nourrit les Washingtoniens depuis 26 ans! – assiste à l’émergence d’une nouvelle génération de cuistots qui transforment Washington en une véritable destination gourmande. «Il n’y a pas si longtemps, un seul restaurant par année ouvrait ses portes en moyenne. Au cours des sept derniers mois, c’est plus de 56 permis d’alcool qui ont été délivrés à de nouvelles adresses!» s’exclame Ris, enthousiaste.

Le goût du jour

Pour découvrir cette nouvelle scène culinaire, je fais un saut au restaurant de Katsuya Fukushima. Ce jeune chef d’origine japonaise a eu pour mentor José Andrés, la sommité qui a popularisé la gastronomie espagnole en Amérique selon le magazine Food & Wine. Pendant des années, Katsuya a été à la tête des cuisines du Minibar by José Andrés, un resto très convoité dont les repas, que seulement six convives savourent à la fois, sont composés de 25 créations d’inspiration moléculaire. Le virtuose a toutefois délaissé la cuisine d’avant-garde pour se convertir à… celle de sa mère. Il y a quelques mois, lui et ses deux complices – Daisuke Utagawa et Yama Jewayni – ouvraient le Daikaya, un comptoir à soupes ramen sur la 6th Street NW. Le chef me raconte que ses parents n’avaient jamais mangé à un de ses restaurants. «Je me suis dit: « Si je fais des ramens, ils viendront! »»

Pour mesurer toute la créativité de Katsuya, il faut toutefois se rendre au second étage de l’établissement, aménagé en izakaya (ces fameuses brasseries japonaises). En compagnie de Daisuke Utagawa, j’y savoure une ribambelle d’okonomiyaki, des petits plats inspirés de la nourriture de rue japonaise. Entre la dégustation d’une huître relevée de sauce teriyaki et une bouchée de brochette de porc et de choux de Bruxelles, le restaurateur me fait remarquer que le Penn Quarter, où est établi le Daikaya, ressemble aujourd’hui à Manhattan avec ses restaurants et ses boutiques où se côtoient familles et touristes. «À une certaine époque, cette zone était très dangereuse, et personne n’y mettait les pieds», m’explique Daisuke. Puis, il ajoute: «On dit maintenant à la blague que si tu habites ici depuis plus de quatre ans, c’est que tu es natif de Washington. Avant, les gens s’installaient à DC pour le travail, puis quittaient la ville lorsque le gouvernement changeait d’administration. Mais, depuis peu, ils sont nombreux à rester pour de bon!»

La renaissance du cool

Le lendemain, je fais l’essai d’un tout autre genre de gastronomie au Zenebech Restaurant. Je déchire un bout d’injera, une sorte de grande crêpe avec laquelle je saisis quelques morceaux de boeuf cru relevés d’un mélange d’épices appelé berbéré. Dans la cuisine, des dames aux tuniques colorées s’activent au-dessus de grands chaudrons desquels émane une vapeur parfumée. Je n’aurais sans doute jamais atterri dans ce délicieux bouiboui éthiopien si je n’avais pas été en compagnie de Chris Pitt. Ce foodie avéré est guide pour DC Metro Food Tours, qui organise de nombreuses tournées de restaurants afin de permettre aux gourmets de découvrir les différentes saveurs de Washington. Aujourd’hui, nous explorons le quartier Shaw, où se trouve la plus importante communauté éthiopienne en dehors de l’Afrique. «Dans les années 1970, beaucoup d’Éthiopiens ont fui la famine et la guerre de leur pays pour venir s’installer dans ce quartier à forte concentration afroaméricaine », m’explique Chris.

Plus tard, je mets le cap sur U Street NW, autrefois surnommé «Black Broadway». On y trouve toujours le Lincoln Theatre, de même que le Club Caverns – devenu le Bohemian Caverns -, où Louis Armstrong, Ella Fitzgerald, Billie Holiday et Duke Ellington avaient leurs habitudes. À deux coins de rue de ce club de jazz, les gens font encore la file pour goûter au chili dog du Ben’s Chili Bowl. Cette institution compte parmi les rares commerces qui sont demeurés ouverts pendant les émeutes ayant ravagé le secteur de U Street NW à la suite de l’assassinat de Martin Luther King en 1968. Dans les décennies qui ont suivi, de nombreux magasins ont fermé leurs portes, et certaines maisons victoriennes des rues avoisinantes ont été abandonnées. Mais, aujourd’hui, celles-ci affichent de nouveau leurs jolies couleurs corail, vert menthe et jaune canari.

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Au cours des dernières années, ce secteur a connu une véritable renaissance et est devenu le repaire de la faune branchée de Washington. Le café Busboys and Poets – qui fait aussi office de librairie et de salle de spectacle, où on peut assister à des soirées de spoken word – est un des premiers établissements à avoir contribué à ce renouveau en s’installant en 2005 au coin de U Street NW et de la 14th Street NW. Il a été nommé en l’honneur du poète afro-américain Langston Hughes, qui dans les années 1930 gagnait sa vie en tant que busboy à Washington.

À la tombée du jour, les fêtards prennent d’assaut les nombreux beer garden des environs, dont la terrasse du Dacha et la cour intérieure de la taquería El Rey, aménagée entre d’impressionnants conteneurs. Mais une soirée à Washington ne serait pas complète sans qu’on goûte aux créations (très alcoolisées!) de mixologues comme Derek Brown, proprio du Passenger, et Adam Bernbach, du speakeasy 2 birds 1 stone.

Revisiter le passé

Après tant d’excès, je me dis qu’un peu d’exercice ne me fera pas de mal… Je profite donc de ma dernière journée dans la capitale pour arpenter le National Mall, un immense jardin bordé par le Capitole à l’est et par la Maison-Blanche au nord. Au fil de ma balade dans ce parc verdoyant, j’ai l’impression de revisiter les chapitres les plus lumineux et les plus sombres de l’histoire américaine, que ce soit en gravissant les marches du Lincoln Memorial, en me tenant précisément sur la pierre où Martin Luther King a prononcé son légendaire «I Have a Dream» ou en posant mes doigts sur un des 58 156 noms qui figurent sur la structure de marbre noir édifiée à la mémoire des Américains morts ou disparus pendant la guerre du Vietnam.

Il n’y aucun doute: le berceau de l’Amérique est toujours habité par son passé. Mais, plus que jamais, Washington est tournée vers l’avenir.

Carnet de bord

Comment y aller: Avec Porter Airlines, qui offre trois vols par jour en direction de Washington, incluant une escale à Toronto (pendant laquelle on peut profiter des lounges, avec wifi et boissons gratuites!).

Quand y aller: Au printemps, pour admirer les milliers de cerisiers en fleurs durant le National Cherry Blossom Festival.

Quoi manger: Parmi les nombreux restaurants appartenant au chef-vedette José Andrés, il y a le Oyamel, qui sert des antojitos – l’équivalent mexicain des tapas – dont un surprenant taco de sauterelles!

Où dormir: Au toujours branché W Hotel, dont la terrasse sur le toit offre une vue imprenable sur le National Mall.

Quoi faire: La meilleure manière d’explorer la capitale américaine, c’est à vélo. Empruntez un Capital Bikeshare, l’équivalent du Bixi, ou participez à une des visites guidées sur deux roues organisées par Bike and roll.

Où s’informer: Pour en savoir plus, consultez le site de l’office du tourisme de Washington DC.  

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