«L’Italie? Chanceuse! Mais… euh… les Marches, ça se trouve où exactement?» On m’a posé la question si souvent qu’une petite leçon de géographie s’impose. Il s’agit d’une région centrale de l’Italie – «sise à la hauteur du coeur», disent les Marchigiani -, située sur la côte est, au bord de la mer Adriatique, entre l’Émilie-Romagne et les Abruzzes. À l’ouest, les monts Apennins et, derrière, l’Ombrie.

Le Marche (qui se prononce lémarqué) se composent de cinq provinces, jadis frontières de l’empire des Francs et du domaine des papes. Le passé tumultueux du coin – les seigneurs guelfes et gibelins s’y sont notamment affrontés durant de longues années – explique pourquoi des tours de guet hérissent le moindre piton rocheux et pourquoi des remparts imposants protègent les villages haut perchés.

Depuis les plages sablonneuses des stations balnéaires jusqu’aux forêts sauvages des montagnes en passant par les douces collines, c’est un bien joli pays, les Marches. Une contrée de paysans, de pêcheurs et d’artisans, mais aussi de poètes et de peintres, de musées, de sanctuaires silencieux blottis dans des bosquets de chênes, de palais princiers, de chaussures en cuir dont rêve toute fashionista et de vins fameux, tels que les Verdicchio, les Lacrima di Morro d’Alba et les Rosso Piceno. Le fil conducteur? La gentillesse des gens et un mode de vie paisible, peut-être perdu ailleurs.

Pour le touriste paresseux, les Marches sont une destination idéale. Nul besoin d’établir un programme à l’avance. On n’a qu’à suivre les routes sinueuses et à s’arrêter au hasard dans les cités d’art, les bourgades antiques ou les villages d’artisans qui jalonnent la région de vallée en vallée. Chaque lieu mériterait une halte.

 

Photo: Palazzo Ducale, Urubino, Les Marches, Italie

 

Même le plus petit hameau du fin fond de l’arrière-pays abrite des trésors, dont au moins une trattoria qui propose des recettes familiales préparées avec les produits du coin. La cuisine marchigiane n’est sans doute pas la plus gastronomique qui soit, mais c’est assurément l’une des plus honnêtes. Slow food en diable! Dans les cafés, l’étranger de passage est accueilli avec bienveillance, pour peu qu’il sache dire: «Buon giorno, signore e signori!» En effet, les habitants ne parlent que le doux italien des provinces éloignées. Cela ajoute au charme et conforte le slogan de la région: «La Toscane, c’est pour les touristes. Le Marche, c’est pour les Italiens.»

Des artisans de l’excellence

Dans les campagnes sillonnées de fleuves et de rivières, on découvre un paysage agricole empreint d’un bonheur tranquille. Les champs cultivés selon les méthodes traditionnelles (100 % bio) composent une mosaïque déclinant toutes les nuances de vert, entrecoupée par le blond des épis de blé dur et d’épeautre. Les vignobles et les oliveraies succèdent aux vergers d’arbres fruitiers et aux cultures maraîchères; le jaune des tournesols alterne avec le rouge des coquelicots.

Les Marches, ce sont aussi des traditions artisanales farouchement conservées. Chaque commune possède sa spécialité, dont l’origine remonte parfois au Moyen Âge. À Fratte Rosa, la production d’ustensiles de cuisine en terre cuite est vieille de 800 ans. Celle des papiers de Fabriano, elle, a commencé au 13e siècle. Plus modernes (!), les fabricants de maccheroncini (petits macaronis) de Campofilone perpétuent une recette du 15e siècle (10 oeufs frais par kilo de farine). Et, dans le vieux village de Montappone, on confectionne des chapeaux depuis près de 400 ans.

Établie dès la Renaissance, la réputation des céramistes d’Urbania ne se dément pas, ni d’ailleurs celle des orfèvres d’Ascoli Piceno. À Castelfidardo, on fabrique des accordéons de renommée internationale. Et les brodeurs d’Ancône sont aujourd’hui courtisés par les meilleurs couturiers de ce monde. Que de la grande qualité! De plus, les artisans n’hésitent pas à interrompre leur ouvrage pour piquer une jasette avec le touriste curieux.

Dentelles et fêtes païennes

Offida, la cité des dentellières, est une des belles surprises que la route Marche Eccellenza Artigiana réserve au voyageur. Juchée sur une colline comme tous les bourgs fortifiés, elle domine des vignobles produisant des vins gouleyants qu’on peut déguster à l’enoteca regionale (bar et cave à vin) de l’ancien cloître San Francesco della Vigna (vue sublime sur la vallée).

Derrière les sombres murailles se dissimule un village hors du temps. Imaginez des maisons aux portes en bois sculpté du 18e siècle. Sur le seuil, les dentellières sont à l’oeuvre. Certaines (les nonagénaires) manient 80 fuseaux à la fois, en un mouvement si rapide que l’oeil n’arrive pas à le saisir. Imaginez une piazza (place) ensoleillée et des portiques ombragés, un palazzo communale (hôtel de ville) à l’architecture aussi délicate que de la dentelle et un théâtre baroque où se déroulent les grands bals du carnaval. Et quel carnaval! Les festivités durent plus de trois semaines, ce qui entraîne la fermeture temporaire des organismes publics.

Imaginez aussi un quartier historique sans boutiques de souvenirs. En lieu et place de ces dernières, on trouve une épicerie, une mercerie, un coiffeur, un boulanger, un cordonnier; bref, de vrais commerces pour du vrai monde. «Nous formons une minirépublique, aiment répéter les Offidani, sourire en coin. Nous nous suffisons à nous-mêmes.»

Ils n’ont pas tort. Connaissez-vous beaucoup de villes de 5000 habitants qui disposent d’un hôpital – du 18e siècle, d’accord, mais toujours fonctionnel -, de plusieurs écoles, de quatre musées et d’un restaurant très chic (Palazzo Nicoletti Ballati Bonaffini: 58, Corso Serpente Aureo)?

Un musée à ciel ouvert

Quand les familles Malatesta, Montefeltro ou Della Rovere ne guerroyaient pas, elles construisaient des villes sublimes, par exemple Urbino, patrie du peintre Raphaël. Son palazzo ducale (palais ducal) est un véritable enchantement, son musée renferme des oeuvres exceptionnelles et ses rues pentues enserrées dans les remparts suscitent des rêveries interminables.

À Ascoli Piceno, chef-lieu de province situé sur l’ancienne voie romaine, tout est à voir: la piazza del popolo en travertin blanc, élégante et piétonnière, l’antique pont Augusto, d’où on peut apprécier l’ensemble des tours et des campaniles à chapeau de tuiles qui surgissent de cette ville de conte de fées…

«Vous nous quittez déjà? s’est indigné Giorgio, guide érudit et très gentil. Impossible. Vous n’allez quand même pas partir sans avoir visité les incroyables musées de Jesi et de Recanati, assisté à un opéra dans le Sferisterio di Macerata (amphithéâtre en plein air), nagé dans la mer autour des rochers Due Sorelle! Et puis, il y a le village perdu de… les thermes à… les grottes de…»

Promis juré, Giorgio, je reviendrai fin avril, l’an prochain, quand les arbres fruitiers seront en fleur.

 

CARNET DE BORD

S’y rendre Les liaisons aériennes entre les grandes villes européennes et Ancône, la capitale des Marches, ne sont pas nombreuses. Au choix: Lufthansa, avec escale à Munich; Air Canada, avec escales à Toronto et à Rome. Le plus économique: Paris-Ancône, avec Alibabuy.com.

Se loger dans un gîte rural. L’offre, très vaste, va du rustique au semi-luxe avec piscine (www.agriturismo.net/marches). On peut aussi choisir une maison d’hôte historique tenue par un aristocrate (www.marchesegrete.it).

Magasiner Armani (Via Ottoni 7, à Matelica); Romeo Gigli (Via San Francesco, à Porto d’Ascoli, et à San Benedetto del Tronto); chaussures et sacs Prada, Yves Saint Laurent, Dior, D&G et Chanel au marché de Civitanova Marche, qui se tient le samedi matin.

Savourer les truffes blanches de la commune d’Acqualagna; le prosciutto de Carpegna; les fromages pecorino de Montefortino et casciotta d’Urbino (le favori du grand Michel-Ange), ou le formaggio di fossa, mûri dans une fosse paillée sur la place du village de Talamello; l’huile d’olive verdastro de Morro d’Alba.

S’informer en cliquant sur www.turismo.marche.it.

 

À LIRE: Voyage gourmand à Lyon