D’abord, il faut monter la côte de la Miche. Ça vire un peu à gauche, pis ça vire à droite, pis apparaissent les montagnes. On passe Saint-Tite-des-Caps. À l’époque, c’était pauvre, il y avait des enfants nu-pieds dans la rue, il y a 50 ans. Pis on monte encore, il y a des montagnes partout, toutes sortes de pics, on ne sait plus les compter.

Arrive Baie-Saint-Paul, on descend sa côte, déjà on voit L’Isle-aux-Coudres au loin. Des fois y’a de la brume, des fois c’est clair et on dirait qu’on pourrait voir jusqu’à l’infini. La Terre est ronde, c’est là qu’on l’apprend. Pis on garde notre droite, on traverse le village, ou la ville, tout dépendant du point de vue. Et alors, il y a de nouvelles côtes, c’est tout le temps bossu, ça fait du bien. On monte. Cap-aux-Corbeaux. On regarde le fleuve en bas qui nous attend. Ça zigzague, on a envie d’accélérer. Pis y’a la côte de la Misère. Celle-là, je l’évite, même si c’est beau. Même si mes ancêtres y sont, au cimetière. On arrive aux Éboulements. Généralement j’arrête chez Robin, pour acheter du vin et du fromage. Mais quand je suis trop pressé, je dépasse le moulin de l’ancienne seigneurie, pis je tourne à droite et j’arrive en haut de la côte des Éboulements. Je ralentis, je me mets en deux pour faire de la compression. Ma grand-mère est déjà allée chez le seigneur quand elle était jeune. Elle avait amené un Polonais, ou quelque chose de même, en quatre roues à cheval, son père l’avait laissée partir seule avec l’étranger. Elle l’avait débarqué devant la maison du seigneur et l’avait attendu sur le perron. Je pense à ça, en haut de la côte des Éboulements, j’avance tranquillement. J’attends le moment où le fleuve se révélera à moi dans toute sa nudité, dans toute sa grandeur, sa crudeur.

Ça y est. Y’est là. Il me prend au cou et me serre. J’ai envie de pleurer tellement c’est beau. Ça s’étend dans tous les sens, comme si mes yeux n’allaient jamais arriver à tout voir ça en même temps. Y’a l’Isle, y’a le quai, les montagnes, au loin, les montagnes proches, la côte qui semble s’engouffrer, comme si on allait se mettre à voler, pis y’a le fleuve. Le fleuve partout. Le maudit fleuve que j’aime. Je veux aller dormir dedans tellement je l’aime. Des fois y’est bleu, surtout l’été, des fois y’est vert, un peu tout le temps, mais l’hiver, quand y’a un gros soleil, le fleuve est mercure, comme une nappe de métal, qui reluit de rayons pointus. C’est un autre monde. Ça pique l’intérieur. On dirait un tambour, qui vibre, qui pourrait nous propulser dans l’espace.

 

Le fleuve

Le fleuve. Photographe: Philémon Cimon

Avant, la côte était pas de même, elle se tortillait avant d’arriver en bas, et le village se dévoilait dans une série de courbettes subtiles. Maintenant, depuis que l’autobus est tombé – j’étais là, je l’ai vu –, ils ont fait une autoroute avec la côte. Ça pique à travers la montagne et on se croirait sur un porte-avion, en train de décoller. Personnellement, j’aimais mieux l’ancienne côte, mais celle-ci a le mérite d’être radicale.

Arrivé en bas, les souvenirs m’assaillent. À droite, le bistro Le Louphoque, là où j’ai fait mon premier concert, là où j’étais plongeur, j’ai dormi là un été. Mais il est plus là, des condos pour riches à la place. Plus loin, La Perdriole, là où j’ai fait mon autre vrai premier concert, mais elle a brûlé. Ça pince le cœur d’entrer dans le village, parce que la beauté est toujours accompagnée d’une perte. L’église est encore là, belle, blanche, les bateaux au bout. Je continue. J’arrive en bas de la côte de la Misère, la môsusse, au croisement des rues. À ma droite, l’ancien hôtel Cimon, mais il est plus là. Mon arrière-grand-père l’a déconstruit. Y’avait eu un trem- blement de terre, toute la nuit, le ciel était d’une couleur pas possible, la montagne était tombée sur le poulailler, là où les enfants dormaient en été. Il avait eu tellement peur qu’il avait tout démonté pour le reconstruire 50 mètres plus loin. C’est devenu l’hôtel Beauséjour, il est encore là, beau et gros. À l’époque, il y avait un verger, pis une renardière, pis des fleurs, un jardin, une vingtaine de chats, des chiens, des vaches, des chevaux. Le terrain partait d’en haut de la montagne et allait jusqu’au fleuve.

Quand je marche sur ce terrain, ça me serre le cœur, parce que j’en ai mangé des petites fraises dessus, pis des sacs pleins de chanterelles et de pommes, des brins de foin dans la bouche pour sucer la sève sucrée. Mais il n’est plus à nous, c’est de même. Eugène, mon arrière-grand-père, a tout vendu. Je ne rentrerai pas dans les détails, parce que le village est encore mon terrain de jeu. C’est quand j’arrive en bas de la côte que j’arrive chez nous. Les clôtures n’existent pas pour moi, je n’y crois pas. Je m’en fous, et c’est pareil pour tous mes amis du village. Le village, c’est Saint-Joseph-de-la-Rive. Là où on prend le traversier pour aller à l’Isle-aux-Coudres, mais t’sais, on est pas obligé d’aller à l’Isle. Pas tout de suite, en tout cas.

Comme d’habitude, avant même de débarquer mes affaires, je vais direct au quai. Je pense que tout le monde fait ça, mais je ne suis pas sûr. C’est comme des amants qui se retrouvent après une longue absence. Je vais direct à l’essentiel, pas question d’être pratique, je vais au quai. Pis j’ouvre les fenêtres, je sens l’air. Y’a Les Éboulements à gauche, un genre d’Olympe, vu d’en bas. Quand j’étais adolescent, je pognais une course pis je sautais en bas du quai, dans le fleuve. Des fois, on attendait que ce soit la marée basse, pour que ce soit encore plus haut quand on saute. C’était froid à te couper les jambes, mais ça faisait un bien immense.

Y’avait la grosse pierre, aussi. On montait dessus, à marée basse, on attendait que l’eau monte, pis une fois qu’elle nous lichait les pieds, on sautait dedans, pis c’était froid, pis quand on nageait dans le sens du courant, on avançait vite comme des athlètes. Une fois, y’en a un qui a failli se noyer. La mort était partout, et c’est ça qui était beau. Sur la plage, on faisait un feu. Tous les soirs. On chantait notre amour pis notre désespoir. Le jour, on faisait des feux aussi. J’avais failli faire pogner toute la forêt en feu après avoir allumé un matelas en dessous d’un arbre. Ça avait tellement brûlé qu’y fallait lancer du sable à cinq mètres de distance si on voulait pas perdre connaissance en essayant de l’éteindre. On a sauvé la forêt, mais quelques années plus tard, des cégépiens en visite ont lancé un botch dans une vieille goélette et tous les bateaux du chantier maritime y sont passés.

 

Le feu sur la plage

Le feu sur la plage.  Photographe: Philémon Cimon

Un matin, on était allé chercher de l’eau de Pâques, avant que le soleil se lève, on marchait dans les sentiers sans rien voir, dans la neige. Tranquillement les rayons passaient un peu le dessus de la montagne. J’avais six ans. On marchait sur la track, on passait la chute Cimon, celle que mon arrière-grand-mère a donnée au village, pis on arrivait à la source. On buvait. C’était froid, c’était bon, je m’aurais baigné dedans. Y’a des ados qui ont fait un feu sur le chemin de fer. On a vu les marques noires pendant un bon 10 ans. On ne les voit plus. Mais moi je les vois toujours, quand je vais boire à la source.

 

Mes adresses:

– «Alpagas Charlevoix, pour voir ces drôles d’animaux mi-lamas, mi-caniches.»

2643, route du Fleuve, Les Éboulements.

– «La salle de quilles Clément Deschênes, pour son ambiance intime et rustique, légèrement surréaliste…»

334, rue du Village, Les Éboulements.

– «La roulotte de gauche devant l’aréna de Baie-Saint-Paul, pour une poutine en été.»

11, rue Forget, Baie-Saint-Paul.

– «Le restaurant Au Gré du Vent, pour le pittoresque et la rigolade.»

150, rang Saint-Joseph, Les Éboulements.

– «La Boulangerie Laurentide, surtout pour les brioches du jour.»

319, rue Félix-Antoine-Savard, Saint-Joseph-de-la-Rive.