Résiliente. C’est le premier qualificatif qui vient en tête aux habitants de La Nouvelle-Orléans quand on leur demande de décrire leur ville. C’est vrai qu’elle est toujours restée debout malgré les désastres qui l’ont frappée: incendies, épidémies, inondations… et Katrina. L’ouragan a laissé derrière lui 1300 morts, pas loin de 2 millions d’évacués, des semaines de chaos et une atmosphère de siège. On était à la fin d’août 2005, et la ville venait d’entrer dans un chapitre sombre de son histoire: «Il n’y avait plus d’électricité, les rues étaient vides, et l’armée patrouillait», raconte M. Brennan, copropriétaire du Brennan’s, restaurant emblématique de La Nouvelle-Orléans. «On se sentait profondément isolés du reste du monde.»

Après, il a fallu reconstruire. Puis repeupler. Car une partie des évacués – les plus démunis – ne sont jamais retournés sur les lieux détruits par l’ouragan. Heureusement, les choses changent, et le symbole le plus clair du renouveau, ce sont ces hautes maisons gigognes perchées sur des pilotis qui ont permis d’offrir un toit permanent à plus de 350 personnes (makeitright.org). Pas étonnant que Brad Pitt, instigateur du projet, fasse figure de héros par ici…

Mais à quoi ressemble La Nouvelle-Orléans, aussi surnommée NOLA (acronyme de New Orleans, LouisianA) ou The Big Easy, de 2015? Elle est plus bohème qu’avant, plus tournée vers l’art, le cinéma, les nouvelles technologies. Des nouvelles start-up s’y sont établies, attirées par les crédits d’impôt et les loyers modiques. Une vibrante communauté artistique y vit. Pour le reste, La Nouvelle-Orléans reste cet endroit métissé, fier de sa culture – forgé grâce aux vagues successives d’immigrants européens, africains et caribéens – qu’elle a toujours été. Une métropole qui se nourrit de blues et se désaltère au sazerac, aussi profondément croyante que portée sur la bouteille. Non, elle n’est pas à une contradiction près. C’est ce qui fait son charme. On vous emmène en balade dans trois quartiers d’une NOLA qui vous enivrera, du matin jusqu’au soir.

NOLA en version tradionnelle

Des balcons ouvragés comme de la dentelle. Des maisons pastel, décorées parfois de guirlandes, de colliers de billes ou de couronnes en papier, vestiges du dernier carnaval. De la musique qui s’échappe des bars, des boîtes de nuit, des saxophones des musiciens de rue. Et un Jésus aux bras levés qui projette une ombre immense, amplifiée par l’éclairage des lampadaires, sur les murs de la Cathédrale Saint-Louis. Vous voulez tomber amoureux de NOLA? C’est dans le Vieux Carré que ça commence.

Le matin

La queue devant le Café du monde est perpétuelle: l’endroit est célèbre pour son café au lait à la chicorée et ses beignets chauds saupoudrés de sucre glace. Profitez-en pour découvrir le French Market, un marché vieux de plus de deux siècles, qui rassemble sous son toit des dizaines de bouis-bouis proposant des spécialités exotiques: swamp dogs (des hot-dogs à l’alligator), jambalaya, huîtres fraîches… Un déjeuner au Brennan’s est inoubliable: l’endroit a le charme et l’élégance d’un bijou historique.

Le midi

À la Central Grocery (923, Decatur St.), épicerie sicilienne, goûtez le po-boy traditionnel, sous-marin confectionné dans un pain baguette et garni de poisson frit, de crabe à carapace molle (frit) ou d’huîtres (frites, évidemment, on est en Louisiane). Ce sandwich aux origines humbles – son nom serait dérivé du terme poor boy – est devenu le symbole de l’État.

Le soir

Pralines! Épices! Boutiques vaudoues! Distributrices d’alcool ouvertes 24 heures sur 24! Le Vieux Carré est racoleur, pas de doute. Pour vous reposer et manger dans un endroit qui ne ressemble pas à un attrape-touristes, essayez le Cane and table les cocktails «prototiki» (mais pas kitsch pour deux sous) et la cuisine fusion sont inspirés de la période coloniale espagnole, tout en étant totalement modernes. On y a bu des xérès blancs surprenants de fraîcheur et partagé des assiettes de pieuvre grillée et de poulet de grain en écoutant Nick Detrich, l’un des patrons, nous raconter l’histoire de ces rues occupées au XIXe siècle par les saloons et les maisons closes. Pas étonnant que NOLA jouisse d’une réputation sulfureuse…

La nuit

Votre pèlerinage au coeur du vice devrait commencer par la célèbre Bourbon Street, émaillée de bars et toujours insomniaque, et se poursuivre sur Frenchemen street, plus discrète et mieux réputée (c’est là que sortent les gens du coin). Deux adresses particulières à découvrir dans le Vieux Carré: l’improbable One eyed Jacks, ancienne clinique vétérinaire puis cinéma porno (!) devenu un bar alternatif fréquenté à l’occasion par Sean Penn, et le bar tournant de l’Hotel Montelone, illuminé comme un carrousel de fête foraine. Paraît que Liberace avait coutume d’y pousser la note derrière le grand piano à queue…

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NOLA façon bobo

Si le French Quarter – bâti par les colonisateurs français et espagnols – a toujours été le centre de la vie créole, le Warehouse District est devenu le QG des Américains qui se sont installés ici après la vente de la Louisiane, en 1803. Situé à l’ouest de Canal Street, le secteur était occupé par des manufactures avant d’être peu à peu déserté, puis revitalisé à partir des années 70. Aujourd’hui, c’est un peu le SoHo de La Nouvelle-Orléans: les anciennes usines en briques rouges ont été reconverties en espaces d’exposition ou en lofts de luxe, des galeries poussent sur Julia Street et des musées situés à un jet de pierre l’un de l’autre attirent les foules.

Le matin

Fondé par un collectif d’artistes il y a presque 40 ans, le Contemporary Arts Center a été le pionnier de la renaissance du secteur depuis sa fondation. L’Ogden Museum rassemble quant à lui la plus grande collection d’art sudiste du pays.

Le midi

Vous voulez goûter à des huîtres juteuses cuites au four à bois, avec beurre à l’ail, chili et anchois? Direction Cochon Restaurant, le resto d’inspiration cajun du célèbre chef Donald Link. Vous nous remercierez plus tard! Si vous avez envie de manger sur le pouce, essayez Cochon Butcher, le comptoir à sandwichs attenant. Ensuite, pour prouver à vos amis que vous n’avez pas fait que manger à La Nouvelle- Orléans, faites un tour jusqu’à The Grove Street, boutique d’affiches raffinées et d’objets déco fondée par deux jeunes femmes passionnées de typographie. Le commerce le plus sympa du quartier.

Le soir

Pour sortir en grand, le Pêche Seafood Grill, gagnant du prix James Beard du meilleur nouveau restaurant du pays en 2014, est franchement imbattable: ses énormes poissons entiers, servis avec des herbes fraîches et un filet d’huile d’olive vierge extra, vous permettront d’oublier la friture omniprésente partout ailleurs. Le Tivoli & Lee offre quant à lui une version farm-to-table de la cuisine traditionnelle du sud, préparée par un jeune chef de talent, Marcus Woodham: le traditionnel gombo (soupe épaisse aux fruits de mer ou à la viande) y est transformé en gnocchis fondants à l’andouille et au poulet.

La nuit

Juste à côté du Tivoli & Lee on pénètre dans le bar à cocktails Bellccq, nommé en l’honneur d’un célèbre photographe de La Nouvelle-Orléans et spécialisé en cocktails du XIXe siècle. Pour une ambiance plus bruyante et décontractée, poussez la porte du Barrel Proof, un bar qui offre plus de 150 sortes de whiskys et une bonne cinquantaine de variétés de bières. Ça rassasie son homme!

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NOLA Chez les hipsters

À partir du Quartier français, en empruntant les rues parallèles au fleuve vers l’est, vous arriverez à By Water, un ancien quartier ouvrier devenu le Brooklyn de La Nouvelle-Orléans. Sur l’avenue St.Claude, des galeries d’avantgarde (UNO Gallery, Rusty Pelican, etc.) côtoient des maisons délabrées. Le quartier ressemble à un échiquier: on est face tantôt à la misère, tantôt à un café tendance rempli de hipsters barbus et tatoués. «La première biennale d’art contemporain, Prospect.1, a attiré beaucoup de gens venus de l’extérieur de la ville, dont certains ne sont jamais repartis, explique Brooke Davis Anderson, directrice de ce rendez-vous artistique de plus en plus fréquenté. Attirés par les prix dérisoires, ils ont acheté des espaces, les ont retapés et y ont ouvert des galeries d’art, des boulangeries, des boutiques… Beaucoup d’entre eux sont très impliqués dans cette communauté et travaillent à changer les choses.»

Le matin

Le Satsuma café illustre bien le nouveau virage de Bywater: depuis 2009, les propriétaires y proposent une nourriture santé et bio à un prix très accessible, loin des fast-foods habituels du coin.

Le midi

Les commerces indépendants ne manquent pas ici. Chez Bon Castor, vous trouverez des objets faits main par des artisans locaux, des affiches et des cartes postales originales ainsi que des vêtements recyclés. En face, la boutique Time Will Tell propose des montres-bijoux vintages et colorées ainsi que des objets déco hors du temps. Le moment magique? Découvrir le Old Ironworks Compound, vaste entrepôt rustique tantôt occupé par un marché aux puces (le Pietry Street Market), tantôt par des représentations de théâtre, des soupers happenings ou des ventes de vinyles d’occasion.

Le soir

Au crépuscule, le soleil couchant embrase Crescent Park et son pont incurvé en fer rouillé. Récemment inauguré, ce parc a rendu aux citoyens l’accès aux berges du fleuve, qu’ils arpentent en patins à roues alignées, avec leurs chiens ou leurs poussettes… Pour le souper, les options ne manquent pas: OXALIS est un superbe resto-bar qui offre une carte de bourbons réputée; et Booty’s street food a été ouvert par un journaliste de voyage qui s’est découvert lors de ses pérégrinations une passion pour les plats exotiques.

La nuit

Derrière le comptoir du Bud rip’s (900, Piety St.), Pal Moran, un habitué de l’endroit, sirote sa bière quotidienne. À 90 ans et des poussières, il détonne à côté de son jeune voisin barbu et de la barmaid tatouée, adepte de roller derby et de boxe, qui lui sert ses drinks. On vous parlait de la mixité du quartier? En voilà la meilleure preuve.

Dormir

Au Méridien, tout juste rénové et idéalement situé, entre le Warehouse district et le Quartier français. On a été charmés par ses touches déco rappelant la topographie de la ville, ses cocktails exclusifs (il faut goûter le sazerac pétillant) et surtout, son programme Unlock Art, qui donne accès gratuitement aux plus grands musées de la ville.

Visiter

Les cimetières où toutes les tombes sont érigées au-dessus du sol; les marécages, pour flirter avec les alligators de près; le Pays cajun, si vous avez le temps de découvrir la Louisiane profonde.

Y aller

À l’occasion du Mardi gras ou durant la prochaine biennale d’art contemporain, Prospect.4, qui aura lieu durant l’automne 2017 et l’hiver 2018, et qui coïncidera avec le tricentenaire de la ville. Une édition qui s’annonce engagée et décoincée. À ne surtout pas manquer, car elle promet d’être encore plus militante et de sortir l’art des musées.

Voir

La série télé Treme, créée par HBO en 2010, qui suit le destin et les problématiques rencontrées par plusieurs habitants (musiciens, professeurs, cuisiniers, etc.) de la ville, trois mois après le passage de Katrina. Réaliste, touchant, drôle. Bref, à voir.

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