Tout comme le chroniqueur Stéphane Dompierre, je ne suis pas un homme normal. Entendez par là que, contrairement à la majorité de mes pairs, je n’ai jamais pratiqué un sport d’équipe. Pire: je ne regarde nullement de match à la télé. Faire le «sofapithèque» en regardant les autres s’épuiser au petit écran? Je trouve ça d’un ennui cataleptique. C’est tout juste si le soccer suscite mon intérêt, depuis que fiston ne jure que par le ballon rond.

C’est en cette qualité d’extraterrestre masculin que j’ai été envoyé tâter la fibre sportive de Boston, une ville où j’ai déjà séjourné à quelques reprises. Puisque je ne connais rien aux sports, j’allais observer la scène d’un oeil neuf et quasi virginal, m’a assuré ma patronne de ELLE QUÉBEC. Je soupçonne qu’elle avait également une autre petite idée derrière la tête: me faire épier de près ce haut lieu de la virilité pour le compte de toutes les filles qui soupirent de désir rien que d’imaginer un t-shirt trempé de sueur.

Justement, la capitale du Massachusetts transpire le sport par tous ses pores. Comme elle comprend 65 colleges et universités, il n’est pas étonnant de voir bon nombre de jeunes Bostoniens se remuer vigoureusement le popotin, jogger dans le splendide Public Garden ou faire du kayak sous les ponts de Cambridge. Mais dans le reste de la ville aussi, le sport est roi. Dans les amphithéâtres ou les innombrables bars sportifs, les fans portent fièrement des casquettes ou des t-shirts aux couleurs de leurs équipes, que ce soit les Red Sox (baseball), les Patriots (football), les Celtics (basketball) ou, évidemment, les Bruins (hockey). Mieux: au cours des séries éliminatoires de hockey, on diffuse les matchs par des hautparleurs au supermarché! Et durant l’été, de drôles de zigotos pratiquent une version terrienne du quidditch (oui, oui, on parle du sport dans lequel Harry Potter excellait) dans l’immense parc urbain Boston Common… Mais d’où vient cet engouement viscéral et généralisé?

 

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Une passion américaine

Pour tenter de comprendre, je me rends d’abord à THE FOURS (166, Canal St.), un chaleureux pub fréquenté par la faune du TD GARDEN voisin, l’amphithéâtre où jouent les Bruins et les Celtics (100, Legends Way). J’y casse la croûte avec Richard Johnson, conservateur du SPORTS MUSEUM et auteur de A Century of Boston Sports.

Tandis que je plante mes crocs dans la viande rosée d’un roboratif sandwich Bobby Orr, il m’explique que l’importance accordée au sport tient surtout à la longue tradition de cette ville, fondée en 1630.

«C’est ici que les Red Sox, une des premières équipes professionnelles de baseball, ont vu le jour; et les Bruins ont été la première équipe américaine à joindre la Ligue nationale de hockey, dit-il. En outre, la première course d’aviron intercollégiale date de 1852, et le Marathon de Boston, qui remonte à 1897, est le plus ancien des marathons à se tenir annuellement dans le monde.» Bref, selon lui, aucune autre ville américaine n’arrive à la cheville athlétique de Boston. «En fait, nulle part ailleurs dans le monde n’a-t-on élevé la pratique du sport à un aussi haut niveau!» ose-t-il avancer.

Pour poursuivre mon enquête, j’emprunte le métro – le plus vieux des États-Unis – et mets le cap sur FENWAY PARK, le plus ancien stade de baseball du pays (4, Yawkey Way), où je me joins à des touristes qui font une visite guidée. «Si on ne peut pas assister à un match des Red Sox quand ils sont en ville, il faut au moins se balader autour de Fenway Park pour sentir l’effervescence qui règne dans le quartier: tout le monde est dans les rues, sur les terrasses ou dans les bars sportifs!» assure Carolyn Tiley, Bostonienne quadragénaire férue de baseball.


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Pour de nombreux amateurs, entrer dans cet édifice, qui célèbre son centenaire cette année, c’est pénétrer dans le Saint des Saints du sport bostonien. Tout de briques construit, tapissé d’affiches vintage et entouré des gratteciels du centre-ville, il en jette même quand il est vide. «Wooooooow, de toute beauté!» s’exclame d’ailleurs un visiteur québécois nostalgique des Expos, pendant qu’il admire l’amphithéâtre comme s’il s’agissait de la Scala de Milan.

«Ce qu’il y a de particulier ici, c’est que vous pouvez vous assoir dans le même siège qu’ont un jour occupé vos parents ou vos grands-parents», nous informe la guide Caroline Collins, tandis qu’une vieille dame opine gentiment du bonnet. On a les références culturelles qu’on peut, avec l’histoire qu’on a; et, aux États-Unis, le sport fait partie des unes comme de l’autre. Surtout quand on cause baseball.

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Contrairement au football, régi par des règles complexes, ou au hockey, qui nécessite une patinoire, le national pastime américain se comprend aisément et se joue l’été, n’importe où, ce qui en fait une activité de choix pour les familles et pour ceux qui sont moins portés à s’intéresser aux sports d’équipe. «Même si le football soulève davantage les passions au pays, le baseball demeure très populaire parce qu’on peut le pratiquer facilement et à un rythme lent et mesuré, mais aussi parce que son histoire compte beaucoup de héros, comme Babe Ruth ou Joe DiMaggio», m’explique Jeff Wagenheim, journaliste de Sports Illustrated. «Et puis, le baseball est tellement implanté dans nos moeurs: les parents emmènent leurs enfants, filles ou garçons, voir les matchs dès leur plus jeune âge», ajoute Andy Sperling, directeur du chic HOTEL COMMONWEALTH (500, Commonwealth Ave.), situé vis-à-vis du Fenway Park. Lui-même fou furieux de baseball, il a fait aménager une suite consacrée à ce thème: on y trouve une collection de DVD sportifs et des cartes de baseball exhibées comme des icônes byzantines dans de petits présentoirs éclairés avec une touche toute muséale…

Cap sur les bars sportifs

Même si elle a un côté intello fort développé, Boston a aussi une réputation de bagarreuse: cette ville qui dégage des phéromones à haute teneur en testostérone a un vieux penchant pour la boxe, et son équipe de hockey, surnommée les Big Bad Bruins, ne fait pas dans la dentelle, comme pourraient en témoigner quelques joueurs des Canadiens… Une ambiance qui ne semble pas déplaire aux filles, puisqu’elles assistent en grand nombre aux matchs. Mais dans quelle mesure sont-elles vraiment intéressées par ce qui se passe sur la patinoire ou sur le ring? Ne chercheraient-elles pas plutôt à sonder la psyché du mâle?

«Peut-être un peu», avance du bout des lèvres Mike Rose, gérant du JERRY REMY’S, immense bar sportif doté d’un mur d’écrans géants dignes de la salle des nouvelles de RDI (1265, Boylston St.). «En fait, suivre des matchs, c’est comme suivre une série dramatique: tous les jours, il se passe quelque chose de nouveau, note le conservateur Richard Johnson. Mais je pense aussi que plusieurs femmes aimeraient bien être la mère ou l’épouse de certains joueurs, ce qui ajoute à leur intérêt!» Pour sa part, Mike Rose constate que ce sont les amateurs eux-mêmes qui sont parfois convoités. «Le vendredi soir, des célibataires seules viennent au Jerry Remy’s pour se faire draguer, même si ça peut devenir intimidant, car il y a beaucoup, beaucoup d’hommes.»

Alors que la plupart des Bostoniens ne regardent que les matchs télévisés de leurs équipes locales, la clientèle du Jerry Remy’s compte aussi des fans de soccer, de golf, de boxe et même de polo. «Dans ce dernier cas, ça donne des soirées assez spéciales où les gens sont tirés à quatre épingles, note Mike Rose. Et parfois, les dragqueens qui bossent au MACHINE NIGHTCLUB en face débarquent en groupe pour regarder un match, avant de commencer leur quart de travail!» En ce doux vendredi soir d’août, l’ambiance n’est cependant pas au rendez-vous, et après avoir enfourné un goûteux lobster roll arrosé d’un excellent pinard de l’Oregon, je sors tester l’ambiance d’autres bars sportifs.

J’arrive bientôt au BEER WORKS (110, Canal St.), un resto-microbrasserie à la déco sobre mais stylée, où l’inox omniprésent s’harmonise parfaitement aux cuves de fermentation, et où défile une clientèle distinguée de jeunes professionnels, sous une dizaine d’écrans plats. «Ici, les sportifs de salon à l’esprit échauffé, on n’en veut pas!» m’indique un serveur un brin efféminé tandis qu’il me verse une de ses 16 cuvées maison: une bière au melon, étonnamment bonne.

Un peu plus loin, je m’arrête au CASK’N FLAGON (62, Brookline Ave.), vaste espace dédié aux sports et au houblon depuis 1969, dont la clientèle va de la brute irlandaise à casquette au petit couple venu se susurrer des mots doux à la lumière des écrans plats, suspendus partout. Pour s’assurer que les clients ne manquent rien, de petits écrans ont même été disposés dans les toilettes, entre les urinoirs. «Chez les femmes, il n’y a que deux écrans, près des miroirs», me confie la préposée. À chaque sexe ses préoccupations.

Boston au pas de course

Les sports, c’est bien d’en parler, mais c’est encore mieux de les pratiquer. Pour éliminer les toxines accumulées par la visite des bars sportifs, on peut louer un VÉLO en libre-service – nos BIXI implantés à Boston – puis pédaler sur les nombreuses pistes et zones cyclables de la ville. Il est aussi possible de louer un KAYAK à l’un des cinq centres de Charles River Canoe & Kayak, pour découvrir Boston sous un angle vert, avec ou sans guide, ou encore prendre part aux tours guidés au pas de COURSE de Boston Running Tours. Offertes en visites régulières ou sur mesure, ces agréables virées, ponctuées de commentaires, permettent notamment de sillonner la ville à l’aube alors qu’elle n’est pas encore encombrée de voitures. Sans compter qu’il est plus qu’agréable de traverser les plus beaux sites bostoniens – Beacon Hill, Back Bay, Public Garden, etc. – lorsqu’ils sont exempts de touristes. À essayer sans faute pour qui sait courir… ou pour qui manque de temps.

Un sport de contact

Le lendemain, je conclus ma virée en atterrissant au McGREEVY’S (911, Boylston St.), sacré à maintes reprises «meilleur bar sportif des États-Unis» par une myriade de médias. L’endroit est fort joli: de belles banquettes de cuir capitonnées, une ambiance feutrée, des vitraux lumineux, des pompes à bière et une dizaine d’écrans plats où sont diffusés autant de matchs différents…

Si ce pub irlandais est si célèbre, c’est notamment parce qu’un des proprios, Ken Casey, est membre du groupe Dropkick Murphys, petit band de punk celtique dont les pièces sont entonnées par les spectateurs au cours des matchs des Red Sox et des Bruins. «En 2011, Ken est même descendu sur la patinoire pour tenir la coupe Stanley lorsque les Bruins ont remporté les séries!» m’explique Shannon Emerson Finks, porte-parole du bar. «Inutile de vous dire à quel point l’ambiance était explosive ici!»

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Mais ce soir, c’est plus calme: les Red Sox sont à l’extérieur, et bien des Bostoniens sont en vacances à Cape Cod. Tandis que mes deux voisins de table – des clones des héros de Wayne’s World – entament une énième séance de air drumming en écoutant du Def Leppard, j’interroge ma serveuse, Sarah Palermo, sur ses intérêts sportifs. «Le baseball m’ennuie, mais j’aime le football et le hockey, que je pratique: j’adore les sports de contact!» dit cette ex-cheerleader aux yeux doux comme de la sainte flanelle et au sourire à faire fondre une armoire à glace des Bruins.

Alors que j’attaque ma poutine à la sauce Guinness, l’idée de lui proposer une séance de touch football intime me traverse l’esprit, mais l’image de ma douce moitié, vêtue en arbitre, apparaît dans l’amphithéâtre de ma caboche, et je déclare forfait. En revanche, je réalise que Richard Johnson avait raison: «À Boston, le sport est un sujet de conversation idéal: c’est un moyen efficace d’entrer en contact avec la population.»

Pour se faire facilement des amis bostoniens, il suffit de prendre part à la ferveur et à la liesse collectives. En fait, ici comme ailleurs, le grand frisson qui accompagne toute manifestation de masse est hautement contagieux. L’électricité dans l’air se transmet rapidement quand les gens sont réunis en groupe, que ce soit au cours d’une manif contre le gouvernement, d’un show de Lollapalooza ou d’un match des Canadiens contre les Bruins.

Mais à la fébrilité collective s’ajoutent d’autres aspects: la tension qui naît de la peur de perdre, l’excitation qui accompagne l’envie de gagner… Ces émotions correspondent bien à l’esprit de ce pays qui s’est construit sur l’idée que tout est possible, dès lors qu’on le veut. «Quand il n’y a pas de succès, il reste toujours l’espoir», dit Mike Rose. Et moi qui n’ai jamais été un aficionado des États-Unis, je comprends et apprécie déjà un peu plus son peuple, depuis que j’ai sondé son âme sportive profonde.

Carnet de route

À 45 minutes de vol ou à 6 heures de route de Montréal.

QUAND Toute l’année selon les sports, mais l’automne pour le maximum de matchs et de ferveur.

ASSISTER aux parties de football au Harvard Stadium, une institution centenaire; aux matchs de baseball tel qu’on le jouait à l’époque de la Guerre civile (bostonharborislands.org/georges).

PARTICIPER chaque juillet au Beer Marathon, ponctué de 26 bars, un par mille parcouru.

LIRE A Century of Boston Sports, par Richard Johnson, Northeastern University Press, 2000.

S’INFORMER en feuilletant la section sports du Boston Globe ou en consultant les sites cityofboston.gov/visitors/sports.asp et bostonusa.com.

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