Nous pédalons sur une jolie route de campagne. À l’horizon, un moulin juché sur une colline surplombe les vignes qui s’étendent à perte de vue. Il s’agit du village de Cucugnan, rendu célèbre par la nouvelle d’Alphonse Daudet qui relate l’histoire de son curé prêt à descendre aux enfers pour sauver les âmes de ses fidèles. La veille, j’ai moi-même fait péché de gourmandise en visitant la cité médiévale de Carcassonne, classée patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1997. D’abord, à la table du Comte Roger, où le chef Pierre Mesa se targue de servir le meilleur cassoulet de la région – cette spécialité à base de haricot blanc et de viande dont Carcassonne, Castelnaudary et Toulouse se disputent les origines. Ensuite, dans le décor médiéval du restaurant La barbacane, où je me suis régalée de canapés au foie gras et à la truite fumée, entre autres créations du chef Jérôme Ryon, couronné d’une étoile Michelin. Après ces excès, une balade en vélo est certainement bienvenue!

Château Quéribus, Cucugnan

Château Quéribus, CucugnanAude Davy

Nous empruntons la route escarpée menant aux vestiges du château de Peyrepertuse, qui est perché à 800 mètres d’altitude dans le massif des Corbières. Heureusement, je peux compter sur un peu d’aide pour gravir cette pente abrupte : l’assistance électrique de mon vélo. Une fois tout en haut des fortifications, mon effort est récompensé par l’incroyable vue. Au loin, j’aperçois le château de Quéribus, qui domine lui aussi la vallée. Notre guide, Agnès Daubrege, m’explique qu’on qualifie incorrectement ces châteaux de cathare, puisqu’ils n’ont jamais appartenu aux disciples de cette branche du Christianisme que l’Église catholique a proclamé hérétique au XIIe siècle. Par contre, pendant la Croisade que le Royaume de France a menée contre ces dissidents, certains seigneurs occitans les ont protégés au sein de leur forteresse. Parmi celles-ci, on compte Carcassonne, qui est tombée aux mains de l’armée des croisés en 1209 après un siège de 15 jours, et Quéribus, qui a été le dernier bastion de résistance, vaincu en 1255. « Le seigneur de Peyrepertuse, lui, n’a pas protégé les Cathares, mais le roi de France s’est tout de même emparé de son château pour sa situation géographique stratégique », m’indique Agnès. Il faut dire que la citadelle permettait d’avoir à l’œil un autre de ses ennemis: le Royaume d’Aragon, qui correspond aujourd’hui au nord de l’Espagne.

Vestiges du château de Peyrepertuse

Vestiges du château de PeyrepertuseAude Davy

Notre balade se conclut par un pique-nique sur le domaine d’un vignoble où nous avons droit à une dégustation de vins, accompagnés de charcuteries de Laroque-de-Fa, un village des environs, et du pain des Maîtres de mon moulin, les fameux boulangers de Cucugnan. Béatrice Fabre, fondatrice d’Aude Cathare Evasion, qui organise ces excursions en vélo électrique, connaît les montagnes de la région comme sa poche. « Je suis amoureuse des Corbières et j’ai eu envie que les gens les découvrent », lance cette ancienne escaladeuse qui, suite à une blessure à l’épaule, s’est convertie à la course à pied en montagne. C’est d’ailleurs elle qui est à l’origine des Trails Cathares, des courses de 21 km à 70 km à travers les sentiers escarpés des Corbières qui mènent notamment aux châteaux de Quéribus et de Peyrepertuse. Une autre façon d’explorer ces vestiges d’une autre époque !

Donjons et bûchers

Le lendemain, au château de Foix, je découvre comment les sympathisants des Cathares parvenaient à repousser l’armée des croisés. Devant moi, un gaillard actionne un trébuchet de 16 m de haut, qui permet de catapulter des boulets de 100 kg à plus de 200 m de distance. « Selon la légende, la cité de Carcassonne a envoyé un cochon sur ses envahisseurs, pour leur montrer qu’ils avaient assez à manger malgré le siège », lance le jeune homme, ajoutant que les projectiles pouvaient aussi bien être des cadavres de lépreux ou même des prisonniers auxquels on rendait la liberté (au prix de leur vie!). Après cette démonstration, nous visitons les donjons dont les murs de pierres sont encore marqués par les graffitis des prisonniers qui y étaient enfermés aux XVIIIe et XIXe siècles. Ces activités destinées à toute la famille font partie de la nouvelle proposition du château de Foix, qui inclut un espace muséal permettant d’en apprendre davantage sur la vie des comtes de Foix, notamment Raymond-Roger et Roger-Bernard, qui comptait plusieurs Cathares parmi leurs proches.

Château de Foix

Château de Foix Site touristique Ariege, château de Foix

Autre jour, autre château. À Montségur, qualifié de « Vatican de l’hérésie » par notre guide Tristan Bergerot, nous avons droit à un tout autre chapitre de la croisade contre les Cathares – qui a certainement inspiré quelques épisodes de Game of Thrones. Dans la brume du petit matin, tandis que nous gravissons le sentier menant au château situé à 1207 d’altitude, ce féru d’histoire nous raconte qu’une première forteresse a été construite en 1204 par Raymond de Péreille dans le but avoué d’abriter les membres de cette secte. Pendant la croisade, les dirigeants de l’Église cathare s’y sont réfugiés, jusqu’à leur reddition le 16 mars 1244 après un siège de 10 mois mené par une armée de 3000 croisés. Ce jour-là, les 225 hérétiques qui ont refusé de renier leur foi ont été brûlés vif. « On sait, par des écrits, qu’une lueur et de la fumée noire ont été aperçues dans la nuit jusque dans la région de Toulouse. À ce moment, les gens ont su que s’en était terminé de Montségur et des Cathares », raconte Tristan. Il précise que les ruines que nous arpentons aujourd’hui ne sont pas celles de la forteresse cathare, mais plutôt d’un château construit 40 ans plus tard par le fils de Guy de Lévis, un croisé de l’île de France qui, à la victoire, a hérité des terres et du titre de seigneur de Montségur – et dont l’un des descendants a donné son nom à une certaine ville de Nouvelle-France, quelques siècles plus tard.

Château de Montségur

Château de MontségurChâteau de Montségur

En fin de journée, nous mettons le cap vers le joli village médiéval de Mirepoix. Sur la place principale, les maisons à colombages colorées se succèdent et font face à l’impressionnante cathédrale Saint-Maurice. C’est à la famille Lévis – qui n’a pas tardé à étendre son pouvoir sur la région – que l’on doit cette bastide qui était autrefois dirigée par des consuls. Je loge d’ailleurs à la Maison des consuls, qui était l’équivalent d’un hôtel de ville doublé d’un palais de justice. Tandis que nous prenons l’apéro sur la terrasse de ce charmant hôtel, j’ai tout le loisir d’observer les différentes sculptures d’époque qui enjolivent chaque solive de la charpente. Certains représentent des animaux, d’autres des visages grimaçants. Nous soupons ensuite au restaurant L’autre jardin, où je me porte volontaire pour descendre à la cave choisir le vin qui accompagnera notre festin. Une mission plus réjouissante que périlleuse!

Le Versailles du sud

Le lendemain, nous retrouvons la famille Lévis, au château de Lagarde – ou, du moins, ce qu’il en reste. Construit au XIVe siècle par l’un des membres de cette puissante maison, il a atteint toute sa splendeur trois siècles plus tard grâce à Louise de Roquelaure, veuve d’Alexandre de Lévis-Mirepoix, qui a transformé ce château médiéval en somptueux palais. Il était alors entouré de 15 hectares de jardins à la française et surnommé le « Versailles des Pyrénées », avant d’être abandonné suite à la Révolution française. « Ce château, il y a 30 ans, c’était une forêt », lance Francis Tisseyre, qui, aujourd’hui, en est le châtelain… bien malgré lui!
Cet agriculteur organisait des foires dans la région, lorsque Danielle Gillet, la propriétaire de l’époque, lui a fait une offre difficile à refuser : elle lui léguerait les ruines du château à condition qu’il y tienne un marché gourmand de son vivant. « Madame Gillet avait eu un coup de cœur pour ce château. Elle s’était mise en tête qu’elle était Louise de Roquelaure et qu’elle pouvait le reconstruire. Mais elle était d’une santé fragile », confie-t-il. Avec les bénévoles de l’association Per le Castèl, Francis Tisseyre s’est mis au travail et, au printemps 2013, le château de Lagarde accueillait ses premiers visiteurs – quelques mois avant le décès de celle qui avait rêvé de lui redonner son lustre d’autrefois. Aujourd’hui, ses impressionnantes tours attirent pas moins de 10 000 visiteurs par été. Parmi eux, on compte quelques chevaliers venus revivre l’époque des Croisades lors de journées à thématiques médiévales. Après avoir passé les derniers jours à visiter tous ces châteaux encore hantés par leur passé, je comprends pourquoi certains en chassent encore les fantômes!

Château de Lagarde de nuit

Château de Lagarde de nuitLe Château de Lagarde