La dernière fois que j’ai visité des régions du Québec, je devais avoir 16 ans. Pendant les vacances estivales, ma famille et moi avions fait le voyage de Montréal jusqu’en Gaspésie à bord de notre fourgonnette. Je conserve de ce séjour peu de souvenirs, sinon un vague sentiment d’ennui. À l’époque, j’aurais mille fois préféré rester en ville avec mes amis. Par la suite, j’ai souvent choisi de passer mes vacances en Europe plutôt que d’explorer un coin de mon pays – un peu par snobisme, je l’avoue.

Puis, il y a quelques mois, je me suis ravisée. En préparant un article sur le phénomène des urbains qui s’exilent à la campagne, j’ai réalisé que la province comptait un nombre étonnant d’adresses branchées et gourmandes. C’est ainsi que, par une belle journée de septembre 2013, le photographe Alexi Hobbs et moi sommes partis à leur découverte sur les routes du Québec.

JOUR 1: Saint-Tite, le royaume des cowboys

Notre première destination: rien de moins que le Festival western de Saint-Tite. En filant sur l’autoroute 55, près de Shawinigan, nous réalisons que nous ne sommes pas les seuls à vouloir nous y rendre: nous voilà littéralement cernés par un convoi de véhicules récréatifs! Tous convergent vers la ville de Saint-Tite, où nous peinons à trouver un stationnement pour notre monture. Il faut dire que, pendant les 10 jours du festival, environ 600 000 visiteurs prennent d’assaut cette localité de 4000 âmes. C’est un peu comme si quatre fois la population des États-Unis débarquait à New York. Les rues sont transformées en un gigantesque marché aux puces où on peut trouver des bottes en cuir Boulet – fabriquées à Saint-Tite depuis 1933 – aussi bien que des babioles made in China.

Road trip au Québec

Notre road trip: 20 heures de route en 5 jours. Photographe: ELLE Québec

Au milieu de ce brouhaha, nous repérons l’ancien magasin général de Saint-Tite (le même que fréquentait Ovila dans Les filles de Caleb). Cet édifice de 1865 abrite aujourd’hui la microbrasserie artisanale À la Fût, étonnamment dans le coup dans un si petit patelin. C’est un cowboy arborant une jolie moustache qui vient prendre notre commande. Je suis tentée par le «western spaghetti», qui me semble de circonstance, mais j’opte plutôt pour le plat de «truite ‘n’ chips», un poisson pêché à Saint-Alexis-des-Monts et pané à la bière blonde. À la table d’à côté, des festivaliers venus de Mont-Tremblant semblent déjà prêts pour le gros party western. Ils n’ont pas oublié leur couvre-chef, et l’un d’eux porte même une ceinture sur laquelle les révolvers ont été remplacés par des canettes de bière. Nous aurions bien envie de festoyer avec eux mais, contrairement à Lucky Luke, nous devons filer bien avant le coucher du soleil.

Après l’effervescence du festival, la route 155, qui serpente le long de la rivière Saint-Maurice, a quelque chose d’apaisant. Et c’est (presque) détendus que nous arrivons au Domaine McCormick, non loin de La Tuque, où nous faisons halte pour la nuit. L’endroit a jadis appartenu à Anne Stillman McCormick, une Américaine richissime. Il y a 10 ans, ses proprios actuels, Claudy et Sébastien, ont entrepris de le restaurer. Les différents hangars à bateaux et les fermettes du domaine ont été convertis en chalets confortables. Inutile toutefois d’espérer séjourner dans le manoir où, au début du siècle dernier, la dame de la haute société newyorkaise recevait les Rockefeller. Sébastien m’explique qu’il prévoit encore quelques années de travaux pour que cette demeure – longtemps laissée à l’abandon – puisse accueillir de nouveaux invités.

JOUR 2: Chicoutimi branchée

Au réveil, après avoir fait trempette dans la rivière Saint-Maurice – tout aussi énergisante qu’une dose de caféine! -, me voilà prête à reprendre le volant. Sur la 155, à mesure que nous montons vers le Nord, d’imposantes montagnes se profilent à l’horizon. Soudain, la route devient si à pic qu’on dirait un mur devant nous! Une fois la voiture hissée jusqu’en haut, nous apercevons une immense étendue d’eau. La mer? Non, le lac Saint-Jean, dont l’impressionnante superficie équivaut plus ou moins à celle de la Martinique. Je suis alors prise d’admiration pour les courageux sportifs qui, chaque année depuis 1955, tentent de le traverser à la nage. Pour notre part, lâchement, nous nous contentons de le longer et de bifurquer ensuite en direction de Chicoutimi.

Ce long trajet nous a creusé l’appétit, si bien que nous arrivons affamés à Temaki, sur la rue Racine, l’artère principale de la ville. On nous avait parlé de ce restaurant de sushis comme étant un des meilleurs du Québec, mais en lisant les mots «pizza», «nachos» et «Fish and chips» sur le menu, nous sommes plutôt sceptiques. Nous décidons tout de même de nous en remettre au chef, qui nous prépare une sélection de ses créations. Le «fish and chips» s’avère en fait un maki de saumon surmonté de pommes de terre en julienne et accompagné d’une sauce tartare hallucinante. Quant au «ninja», il s’agit de morceaux d’avocats et de pétoncles qui fondent dans la bouche. Le tout est servi dans un cornet et nappé d’une sauce citronnée… Les deux Montréalais purs et durs que nous sommes – et qui habitent le Mile End de surcroît – sont assez impressionnés.

Notre exploration de la rue Racine n’a fait qu’amplifier notre admiration. Mentionnons Twist Boutique-Atelier, qui offre des créations d’artisans québécois; l’Hôtel Chicoutimi, un hôtel-boutique écoresponsable; et le Café Cambio, parfait pour bouquiner ou pianoter sur son ordinateur portable en buvant un expresso équitable. Le sous-sol de l’établissement abrite Le Sous-Bois, une salle de concert où des musiciens comme Peter Peter et Bernard Adamus s’arrêtent lorsqu’ils sont en tournée dans la région. Ron, le sympathique barman, propose de me concocter un Bardstown Lemonade, un cocktail à base de bourbon et de triple-sec. Ce gaillard a beau s’adresser à moi en français, un léger accent le trahit. Quand je lui demande ce qui l’a amené jusqu’ici, il me répond qu’il est originaire de Victoria, en Colombie-Britannique, et qu’il est en immersion française à Chicoutimi depuis maintenant… 10 ans. Une autre preuve qu’il ne faut pas sous-estimer l’attrait du Saguenay!

JOUR 3: étoiles filantes au Bic

Le lendemain, en matinée, nous faisons une halte à Sainte-Rose-du-Nord, un village situé à flanc de montagne qui offre une vue à couper le souffle sur le fjord du Saguenay. Après avoir dévalé une des rues menant à une plage de galets, nous nous laissons tenter par un hotdog au casse-croûte Les 3G. Assez bavard, le proprio nous raconte que son commerce est un passage obligé pour les motocyclistes qui profitent des beaux jours pour se balader dans la région. «Aujourd’hui, il n’y a pas beaucoup de monde; par contre, la fin de semaine passée, on a dû éplucher plusieurs poches de patates!» s’exclame-t-il.

Quelques heures plus tard, nous prenons le traversier aux Escoumins pour nous rendre à Trois-Pistoles, sur la rive sud du Saint-Laurent. Je passe l’essentiel de la traversée sur le quai, à observer l’horizon en espérant apercevoir des baleines. Au bout d’un moment, je me sens soudainement droguée par tant de beauté. Et mon ravissement n’est pas près de s’essouffler.

Le jour commence à tomber quand nous arrivons au restaurant Chez Saint-Pierre, au Bic, où nous avions réservé une table pour le souper. J’avais beaucoup entendu parler de la chef, Colombe Saint-Pierre, une fille de gardien de phare qui, après avoir voyagé pendant des années, est retournée dans son coin de pays pour se consacrer à une gastronomie inspirée du terroir. Déjà, les huîtres garnies de tartare de saumon sauvage, qui nous sont servies en amuse-bouches, dépassent mes attentes. Puis, les plats qui s’enchaînent – fleur de courge farcie, foie gras et granité de pêches, contrefilet de bison – me semblent tous plus succulents les uns que les autres. Peut-être mon cerveau est-il encore embrumé par le vent du fleuve, mais j’ai tout à coup l’intime conviction qu’il s’agit d’un des meilleurs repas de ma vie.

Après avoir commis ce péché de gourmandise, c’est de bon gré que nous empruntons le sentier sombre qui nous mène jusqu’à une cabane nichée en haut d’une falaise. Ce soir, nous logeons chez Le Contrebandier, un des huit chalets du Refuge du Vieux Loup de Mer, situé en bordure du parc national du Bic. À l’intérieur, une tête de chevreuil empaillée, d’anciennes raquettes en babiche et un vieux poêle à bois contribuent au charme des lieux. C’est toutefois sur le balcon, donnant sur le fleuve, que nous découvrons la plus grande attraction: dans un ciel noir comme du charbon, nous apercevons une, puis deux, puis trois étoiles filantes… Mon souhait? Que le temps s’arrête.

JOUR 4: le nouveau Matane

Mais déjà, au petit matin, nous devons repartir. Nous roulons depuis un moment sur la 132, en direction nord, lorsqu’une odeur pique soudainement mes narines. J’ouvre grand ma fenêtre et un vent salin s’engouffre dans la voiture. Nous sommes arrivés à Matane, à la frontière de la Gaspésie.

Après avoir arpenté la jolie promenade des Capitaines, qui longe la rivière Matane, nous nous dirigeons vers l’avenue Saint-Jérôme, l’artère principale de la ville. Notre premier arrêt: la boulangerie Toujours dimanche, où nous commandons un café bien mérité. «C’est le meilleur latte en ville», me lance la proprio, en me tendant une tasse fumante. Il y a cinq ans, Marie-Ève et son conjoint, William, ont choisi de quitter Montréal pour ouvrir cette sympathique boulangerie.

Aujourd’hui, si le centre-ville de Matane revit, c’est un peu grâce à eux et à une poignée de jeunes entrepreneurs. À quelques rues de là, le chef David Caron propose une cuisine inventive au BISTRO C, tandis que les tenanciers de la microbrasserie La fabrique font le bonheur de plusieurs avec leur impressionnante sélection de bières artisanales et de whiskys. Un peu plus loin se dresse le Complexe culturel Joseph-Rouleau, un centre d’art contemporain dont les expos n’ont rien à envier à celles de Montréal. À preuve, lors de notre passage, les installations vidéos du réputé artiste canadien Michael Snow y sont présentées.

Le soir venu, nous sommes invités à souper chez le notaire Lebel. Ou plutôt, dans son ancienne résidence, qui date de 1930 et qui abrite aujourd’hui l’Auberge la Seigneurie. À l’étage de cette demeure victorienne, en haut d’un grand escalier de bois, des chambres ont été aménagées au goût d’autrefois. Mais dans l’élégante salle à manger, c’est une cuisine d’aujourd’hui – avec quelques accents moléculaires! – qui nous est servie.

JOUR 5: les délices de Kamouraska

Notre road trip tire à sa fin… Nous aurions bien aimé explorer davantage la Gaspésie, mais nous devons repartir sur la 132 Sud, cette fois en direction de Québec. Après plusieurs kilomètres de route, nous apercevons les maisons au toit à larmiers et à la façade colorée caractéristiques de Kamouraska. Dans l’une d’elles se loge La fée Gourmande, une chocolaterie doublée d’un gîte. Pendant des années, Jean-Philippe s’y arrêtait pour faire provision de petites douceurs chaque fois qu’il passait dans la région. L’endroit le charmait tant qu’il l’a racheté à sa propriétaire il y a quatre ans. «Ce qui m’a séduit, c’est la beauté du village, mais surtout la gentillesse des gens», raconte-t-il, tandis que je croque dans un de ses chocolats à la menthe.

Sur ses recommandations, nous faisons un saut à la Poissonnerie Lauzier, où nous nous laissons tenter par une bisque de homard et que nous quittons avec une cargaison d’anguilles fumées. Au Jardin du Bedeau, une épicerie fine située juste en face, on peut aussi s’approvisionner en produits de la région, comme les saucisses de l’Agnellerie de Kamouraska. Plus tard, pendant que nous commandons quelques tapas au restaurant L’Amuse-bouche, la propriétaire, Monique, nous précise que les frites ont été faites avec les patates de P.A. Michaud. «Il habite un peu plus loin par là!» ajoute-t-elle.

Au crépuscule, nous nous retrouvons à la Microbrasserie Tête d’Allumette pour boire une pinte de Belle saison, une bière blonde qui goûte l’été. À travers les grandes fenêtres, nous distinguons à l’horizon les montagnes de Charlevoix qui se profilent dans les eaux du fleuve. C’est notre dernière soirée, et je me sens soudainement envahie par la nostalgie. J’ai encore la tête pleine d’images de paysages que nous avons vus défiler, des gens que nous avons rencontrés… Et, au fond de moi, j’ai une certitude: l’été prochain, je repars sur les routes du Québec.