Je suis debout sur une embarcation à moteur. Je retiens mon souffle et je m’élance dans les eaux brunâtres du fleuve Amazone. Mon courage est accueilli par les acclamations de mes compagnons de voyage qui, malgré la chaleur intense, n’ont aucunement envie d’une baignade rafraîchissante. Il faut dire que le matin même, nous avons pêché le piranha non loin de là. J’ai pu constater la voracité de ces petits poissons aux dents acérées qui ont dévoré les morceaux de bœuf suspendus à ma ligne sans que je puisse en attraper un seul. Comme je le découvrirai au cours des prochains jours, ce ne sont pas les seules bêtes féroces de cette région du nord du Pérou.

Le «Aria Amazon»

Le «Aria Amazon» Aqua Expeditions

Le «Aria Amazon» est une oasis de luxe et de design qui a un faible impact écologique sur le délicat écosystème amazonien.

Depuis la veille, nous parcourons ce fleuve mythique, qui serpente dans la jungle sur plus de 7000 km, traversant trois pays, avant de se jeter dans l’océan Atlantique. L’Amazonie abrite un tiers des espèces animales identifiées et 20 % de tous les oiseaux de la planète. J’ai vu des perroquets s’envoler en grappes colorées, une élégante aigrette blanche survoler notre bateau pendant de longues minutes, d’agiles singes-écureuils s’élancer d’arbre en arbre, des iguanes lézarder au soleil, des paresseux dormir dans cette étrange position qui les caractérise et même des dauphins – les gris, faisant des cabrioles hors de l’eau, et les roses (oui, oui!), beaucoup plus timides, glissant furtivement à la surface avant de disparaître dans les profondeurs. À défaut d’apercevoir un anaconda, j’ai été initiée à une danse portant le nom de ce serpent aquatique par des membres de la Tribu bora, non loin d’Iquitos. Nous avons également croisé plusieurs autochtones pagayant sur ce cours d’eau qui tient lieu de route principale, et bien des enfants nous ont regardé passer avec curiosité de la rive.

Car l’eau demeure le meilleur moyen pour explorer cette région. Le jour, nous observons l’impressionnant écosystème de la réserve nationale de Pacaya Samiria à bord de petites embarcations et, le soir, nous retrouvons le luxe du Aria Amazon, un bateau de croisière à faible impact sur l’environnement. Après avoir siroté un Pisco Sour (un cocktail citronné) dans le bain à remous situé sur le quai, où la vue sur la jungle est incroyable, je rejoins mes compagnons d’aventure dans l’élégante salle à manger. Là, le chef Erwin Gavirea nous sert des délices péruviens, dont un plat très exotique: des piranhas fraîchement pêchés.

La jungle

La jungleViolaine Charest-Sigouin

La jungle amazonienne a inspiré à James Cameron l’univers du film «Avatar».

L’esprit de la jungle

Très tôt le lendemain matin, nous quittons l’Aria Amazon pour poursuivre notre exploration. Nous glissons paisiblement le long des arbres en partie immergés en écoutant le chant des oiseaux, dont celui surréel du cassique huppé. Sur les troncs, je peux voir la démarcation laissée par l’eau lorsqu’elle était à son plus haut niveau, trois mois plus tôt, au mois de février. «Pendant la saison des pluies, 99 % du territoire est inondé et le niveau de l’eau atteint plus de 35 pieds», m’indique Neycer, notre guide. Il ajoute que la faune et la flore s’adaptent bien à la crue du fleuve et que seuls les jaguars sont remontés dans les terres à cette saison de l’année. Dommage!

Soudain, notre bateau fonce dans les hautes herbes, et nous voilà cernés de végétation… et d’une cacophonie de petites bêtes. «Il y a autour de nous plus d’insectes que dans toute l’Europe», plaisante notre guide. Il se lève et regarde entre les feuilles, nous précisant que c’est le genre d’endroit où se cachent les anacondas, qui peuvent mesurer jusqu’à 8 m. J’aperçois un énorme crapaud, puis, en regardant plus attentivement, deux types de grenouilles camouflées sur les feuilles… et une tarentule qui fonce droit sur nous. Elle est petite, mais nous cause suffisamment d’énervement pour que nous reprenions la route. Au détour d’une petite clairière, nous apercevons le chef Erwin et son équipe qui nous attendent à bord d’embarcations pour un pique-nique sur l’Amazone. Un festin d’œufs pochés, de crêpes et de fruits nous est servi, accompagné d’un mimosa. Ça tombe bien: toute cette excitation m’a creusé l’appétit!

La faune

La fauneViolaine Charest-Sigouin

Une grenouille ayant l’apparence d’une feuille morte.

En fin de journée, nous posons les pieds sur la terre ferme pour entreprendre une expédition dans la selva, comme on appelle ici la jungle. Tandis que nous marchons dans cette luxuriante végétation qui a inspiré le film Avatar, notre guide Julio nous désigne des nids de tarentules – des trous plus gros que des pamplemousses! – ou encore de longues lianes, utilisées pour l’ayahuasca, une concoction hallucinogène. Il nous raconte que la plupart des membres des tribus amazoniennes en consomment, accompagnés d’un chaman, et que lui-même en a fait l’expérience dès l’âge de 16 ans. «La mère de l’ayahuasca, son esprit, s’est présentée à moi sous la forme d’un gigantesque serpent», confie-t-il.

Nous n’hallucinons pas lorsque, quelques minutes plus tard, nous apercevons un vrai boa constrictor qui doit faire 2 m! Tandis que nous l’approchons, il se met à balancer nerveusement la tête, sans doute prêt à nous attaquer. Nous ne lui laissons pas la chance de nous en faire la démonstration. Quelques mètres plus loin, nous croisons une tarentule qui a cinq fois la taille que celle que nous avons vue le matin même. Plus tard, lorsque nous voguons vers notre bulle de luxe qui flotte sur l’Amazone, je mesure à quel point j’ai de la chance d’avoir rencontré ces beautés sauvages (et de pouvoir dormir dans une cabine où elles ne viendront pas me visiter!). Et puis, comme si l’esprit de la selva approuvait ma pensée, je vois soudain un arc-en-ciel apparaître au-dessus de l’Aria Amazon.

Moray

MorayExplora

On pense que les terrasses de Moray étaient un laboratoire agricole pour les Incas.

Le secret des montagnes

Changement de décor (et de température!): me voilà maintenant à plus de 1000 km de l’Amazone et de 3000 m d’altitude, toujours au Pérou, mais cette fois au sud, dans la Vallée sacrée, connue pour ses vestiges incas, dont le célèbre Machu Picchu. La vue qui s’étend devant moi est tout aussi époustouflante que celle que j’ai contemplée à bord de l’Aria Amazon: il s’agit des terrasses circulaires de Moray, qui forment deux séries d’immenses anneaux concentriques à travers la vallée. On présume que les Incas y ont implanté des espèces tropicales, malgré le climat montagnard qui n’est pas propice à leur culture. Mon guide Victor me désigne une plateforme de pierres nommée ushnu, où les Incas prenaient part à des cérémonies. «La plupart étaient en l’honneur de Pachamama, la Terre mère. Encore aujourd’hui, les gens qui vivent dans les montagnes lui font des offrandes avant de planter les semences», m’explique-t-il.

Non loin de là, je peux voir des paysans cultiver des légumes qui se retrouveront sans doute dans les assiettes du Mil, situé tout juste à côté des terrasses de Moray. Il s’agit du nouveau restaurant de Virgilio Martínez, qui est également chef du Central, à Lima, un restaurant considéré comme l’une des meilleures tables du monde. Ce chef s’inspire du savoir-faire inca, notamment pour son initiative, Mater Iniciativa, un véritable laboratoire agricole qui étudie les ingrédients péruviens, de la jungle amazonienne à l’écosystème de Puna dans la cordillère des Andes. C’est aussi lui qui signe le menu du Explora Valle Sagrado, où j’ai eu la chance de séjourner. La clientèle de cet hôtel aux allures de luxueux chalet est composée principalement d’amateurs de plein air, qui occupent leur journée à faire des excursions à pied ou à vélo, choisies parmi la quarantaine d’itinéraires proposés.

Le chef Virgilio Martínez

Le chef Virgilio MartínezExplora

Considéré comme l’un des meilleurs chefs du monde, Virgilio Martínez a conçu le menu de l’hôtel Explora Valle Sagrad.

La veille, j’étais bien heureuse de pouvoir délasser mes muscles endoloris au spa du Explora après une randonnée de 6 km qui m’a permis d’admirer les ruines du Senderito de Pisac. Ce site inca de plus de 500 ans est à couper le souffle, mais ses innombrables marches m’ont aussi fait perdre haleine – sans compter les effets de l’altitude! Il s’agissait pourtant d’une randonnée pour débutant. «La plus difficile est l’Incañán, une expédition de plus de 18 km sur les cimes de la cordillère Urubamba, à 4611 m d’altitude», m’indique Victor, alors que nous longeons un champ de blé doré par le soleil.

Après avoir fait un pique-nique dans ce décor bucolique, nous empruntons un sentier descendant. Au loin, je peux apercevoir la cordillère qui se décline dans des nuances de gris contrastant avec les sommets enneigés. Cette vue magnifique compense la fatigue qui commence à me gagner. Au bout de quelques kilomètres, j’obtiens enfin ma récompense: des milliers de bassins d’eau laiteuse sont nichés entre deux montagnes, évoquant les écailles d’un gigantesque serpent blanc. Il s’agit de la saline de Maras, où les paysans de la région produisent du sel depuis l’époque pré-inca. «Il y a des millions d’années, bien avant que les montagnes surgissent, il y avait la mer ici», m’explique Victor. J’ai alors une pensée pour l’Amazone, l’incroyable richesse de sa faune et de sa flore, mais aussi la diversité des paysages que j’ai pu explorer au cours des derniers jours. C’est ça, le Pérou.

La mine de sel de Maras

La mine de sel de MarasViolaine Charest-Sigouin

La mine de sel de Maras est exploitée par les habitants de la région depuis des centaines d’années.

24 heures à Lima

Contrastant avec l’Amazonie et la Vallée sacrée, la capitale péruvienne est une ville tentaculaire qui gagne à être découverte. En particulier les quartiers de Miraflores et de Barranco, émaillés de parcs verdoyants et bordés par l’océan Pacifique. Voici nos suggestions pour une escale à Lima.

À VOIR Le quartier bohème de Barranco est un musée à ciel ouvert, avec ses nombreuses murales colorées de graffitis. Vous y trouverez également le musée d’art contemporain de Lima (MAC), qui met en lumière les œuvres d’artistes péruviens; de même que le Museo Mario Testino (MATE), qui expose le travail de ce célèbre photographe de mode, né à Lima, qui a notamment immortalisé David Bowie et la princesse Diana, en plus de collaborer à de prestigieuses maisons de couture, telles que Chanel et Versace.

À FAIRE Ne manquez pas de marcher le long du Malecón qui, du haut d’une falaise, surplombe l’océan Pacifique sur plus de 9 km. En plus de croiser de nombreux promeneurs, joggeurs et cyclistes, vous pourrez observer les parapentes voltiger au-dessus de la mer ou encore les surfeurs glisser sur les vagues puissantes. Arrêtez-vous pour faire les boutiques du Larcomar, qui peut se targuer d’être le centre commercial en plein air ayant la plus belle vue de la capitale… et peut-être même du monde !

À GOÛTER Lima est connue pour sa gastronomie: le Central, de Virgilio Martínez, et le Maido, de Mitsuharu Tsumura, figurent sur la liste très exclusive des 10 meilleurs restaurants du monde. Pour une addition moins salée, essayez Isolina, du chef José Del Castillo (qui était 13e en 2018 parmi les 50 meilleurs restaurants d’Amérique latine), ou encore le El Bodegón, de Gastón Acurio, qui sert une cuisine créole copieuse. Autre coup de cœur sans prétention: La Gastrónoma, un bar à vin italien sympa, qui fait aussi office d’épicerie fine.