La première fois que j’ai mis les pieds dans la Grosse Pomme, à 17 ans, je ne suis pas sortie du coin de Times Square. Je croyais que New York, c’était ça, un désert de béton et de néons, lumineux, clignotant et peuplé de gratte-ciels. J’avais trouvé la métropole excitante, mais intimidante. Chaotique, immense et chère (le dollar américain, survolté, trônait loin au-dessus de notre huard cette année-là). Le New York que j’arpentais alors, avec sa bouffe hors de prix et ses hommes d’affaires pressés, me faisait sentir que j’étais bien peu de chose au fond: pauvre, anonyme, insignifiante.

Quelques années plus tard, j’y suis retournée. Cette fois-là, j’avais un guide: mon copain, qui y habitait. Au lieu des tours démesurées de Midtown, j’ai connu grâce à lui le Lower East Side des cafés et des bars presque secrets, qui poussaient çà et là au coin de rues sales. J’ai marché des kilomètres dans Chinatown, puant et bruyant, rempli d’étals de poissons et d’épiceries en plein air.

Puis, mon amoureux a déménagé et j’ai découvert Brooklyn. Loin d’être la banlieue que j’imaginais, cette voisine de Manhattan forme un véritable microcosme fait de quartiers à échelle humaine. «New York ne se révèle qu’à une certaine hauteur, à une certaine distance, à une certaine vitesse: ce ne sont ni la hauteur, ni la distance, ni la vitesse du piéton», écrivait Jean-Paul Sartre. Clairement, le philosophe ne s’était jamais baladé dans Williamsburg, Carroll Gardens ou Park Slope. Il y aurait découvert non pas une jungle d’acier verticale, mais une ville aux allures de village, remplie de parcs verdoyants, de minicommerces et de magnifiques brownstones. C’est là que la frange la plus bohème de la population de Manhattan a transporté ses pénates il y a une dizaine d’années, quand les loyers ont commencé à atteindre des sommets même dans les coins les plus miteux de l’île. Résultat: des manufactures abandonnées ont été reconverties en salles de concert, et les toits des entrepôts, en terrains pour les potagers urbains.

C’est ce New York-là que j’aime profondément, celui du Lower East Side et des quartiers animés de Brooklyn. Et c’est celui-là que j’ai envie de raconter.

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Le minuscule dans East Village

Lieu phare de la culture beat et des artistes dans les années 1950, zone décimée par la drogue et la violence dans les années 1990, East Village est aujourd’hui surtout colonisé par les jeunes gens aux vêtements griffés. Dans ce quartier historique mais toujours jeune, j’aime tout ce qui est petit. Comme le microcomptoir Luke’s Lobster (93 E 7th St.), pas plus gros qu’une boîte d’allumettes (sept tabourets seulement!). Le décor rappelle l’univers de la pêche, façon ultrakitch, et on y sert les meilleurs lobster rolls que j’aie mangés depuis ceux du Maine.

De là, vous n’avez qu’à traverser la rue en diagonale pour essayer le tout aussi minuscule Porchetta (110 E 7th St.), dont le décor est très géométrique avec ses tuiles noires et blanches. Au menu, que du cochon de lait rôti et aromatisé aux herbes. C’est ce qu’on appelle le porchetta, une spécialité populaire italienne. Il faut commander pour emporter, bien sûr, et se délecter de ce sandwich paysan en faisant le tour du quartier pour dénicher, par exemple, la minuscule vitrine de la radio d’East Village (19 1st Ave.), derrière laquelle les animateurs font leur show. Si c’est un jour de fin de semaine et si, malgré votre faim, vous êtes prête à attendre longtemps avant de manger, le brunch du célèbre Prune (54 E 1st St.) en vaut la peine. La déco est vieillotte à souhait, les plats sont à se damner et les bloody mary au jus de tomate maison vous feront oublier l’heure, un peu matinale pour consommer des cocktails forts.

Une autre adresse du quartier me fait immanquablement saliver: le Dok Suni’s (119 1st Ave.). Ce petit resto coréen est devenu mon premier arrêt à chaque visite à New York. Les puristes vous diront sans doute que les spécialités y sont préparées à la sauce occidentale. Pour manger du vrai de vrai coréen, soutiendront-ils, il faut aller dans les restos de Koreatown (et plus particulièrement dans la 32nd St., ou Korea Way). Je n’ai qu’un argument en retour: le bibimgooksu du Dok Suni’s, un plat froid de nouilles servies sur des glaçons et surmontées d’une salade de boeuf, de concombres et de kimchi épicé. Ça vaut tous les problèmes de digestion que vous aurez plus tard! (Le kimchi, ce n’est pas évident pour des estomacs non initiés!)

L’inattendu dans Meatpacking District

Les rues dallées du Meatpacking District, l’ancien quartier des abattoirs devenu bobo, ont été foulées par tant de touristes que j’ai toujours un peu l’impression, quand j’y vais, de voir un paysage fatigué, usé par toutes les photos qu’on en a prises. Or, depuis qu’une voie de chemin de fer abandonnée a été reconvertie en parc vert surélevé dans ce coin, j’ai une nouvelle raison de le visiter. Le High Line Park (de Gansevoort St. à W 34th St.) s’élève à la hauteur des toits des immeubles en briques rouges des environs, au-dessus des boutiques chics (Diane von Furstenberg, Zadig & Voltaire, Theory) et de l’Hudson. Il faut y aller pour s’allonger sur un des longs bancs de bois et lire au soleil, ou se poster à l’observatoire construit à l’angle de 17th St. et de 10th Ave., un espace tout vitré d’où on a une vue plongeante sur une des meilleures pizzérias new-yorkaises (Artichoke basille’s pizza, 114 10th Ave.).

Non loin de là, le Pastis (9 9th Ave.), un grand resto calqué sur le modèle d’une brasserie parisienne des années 1930, est toujours plein à craquer de jeunes femmes en minijupe et de jeunes hommes sentant fort l’eau de Cologne. Si vous avez un creux, dirigez-vous vers le Corsino cantina (637 Hudson St.), pour le joli décor en bois et métal, et la pieuvre grillée (mmm!). Si vous prenez un taxi, essayez le bar à vins ‘ino (21 Bedford St.), le petit frère du Corsino. Normal que son nom ne comporte que trois lettres minuscules; cela annonce l’espace intérieur. On y sert des minisandwichs à des minitables collées les unes aux autres, mais leur goût vous fera vite oublier l’exigüité de l’endroit.

Le grandiose dans Midtown

Après mon premier séjour newyorkais, j’ai longtemps attendu avant de retourner à Midtown, par pur snobisme. C’était un coin attrape-touriste, croyaisje, indigne des gens comme moi qui s’y connaissaient vraiment. Faux, archifaux! Quand j’ai enfin pris la peine d’y remettre les pieds, j’ai découvert des adresses surprenantes, comme le Ace Hotel (20 W 29th St.), un hôtel-boutique qui a plus en commun avec un espace rock underground qu’avec un traditionnel Holiday Inn. J’ai adoré siroter un cocktail dans son lobby surréaliste, avec son immense mur couvert de graffitis et sa signalisation poétique («Every EXIT is an entrance somewhere else», soit «Toutes les SORTIES mènent vers une entrée»).

J’ai passé une mémorable soirée dans le John Dory Oyster Bar (1196 Broadway), un bar à huîtres déjanté attenant à l’hôtel, où le personnel hip a l’air de sortir tout droit du Mile End montréalais. Dans ce quartier, j’ai mangé dans des restos grandioses et vieux jeu comme le Gilt (455 Madison Ave.)(mise à jour 2015: ce restaurant est maintenant fermé), installé dans un manoir du 19e siècle calqué sur un palace italien. Le décor est à couper le souffle, à tel point que l’endroit joue souvent les figurants dans la série Gossip Girl. Mais le vrai spectacle est dans l’assiette. Le chef Justin Bogle, 28 ans à peine, tatoué, sympathique, prépare des plats surprenants à base d’ingrédients locaux, dont la fraîcheur contraste avec l’ornementation des lieux. Sublime.

Chez Millesime (situé dans l’hôtel Carlton, au 92 Madison Ave.), la brasserie parisienne du chef Laurent Manrique, on a passé une soirée vintage et glamour, à se délecter de fruits de mer frais et à admirer le grand dôme en verre Tiffany qui donne au lieu tout son cachet à l’ancienne. La salade César, aux feuilles de romaine grillées, enveloppée de morue fumée et arrosée d’un jet de lime, vaut à elle seule le détour. Pour finir, on est allés danser dans la dernière place où j’aurais cru mettre un jour les pieds: le Rose Club du Plaza Hotel (à l’angle de 5th Ave. et de Central Park South). Un hôtel majestueux, où Truman Capote a tenu son célèbre bal en noir et blanc en 1966. Le genre d’endroit qu’on visite parce qu’il est anachronique, avec ses chandeliers en cristal, ses escaliers en colimaçon et ses bands qui jouent du vieux jazz. Je me suis rendue là par nostalgie, en souvenir d’une époque qui n’existe plus. Et j’ai trouvé ça beau à en pleurer…

Le vieux et le neuf dans Brooklyn

Une fin de semaine où il fera beau et chaud, faites le trajet jusqu’à Brooklyn. Flânez dans une cour d’école qui héberge un marché aux puces à ciel ouvert (176 Lafayette Ave.). Rappelez-vous que le marché migre, durant l’hiver, dans une ancienne banque (1 Hanson Place) où la lumière est chaude et dorée, et promettez-vous de la visiter un jour. Si la faim vous prend, attablez-vous dans un resto polonais, une vieille adresse d’ouvriers où la bouffe est lourde, et l’addition, légère.

Le Lomzynianka (646 Manhattan Ave.), par exemple, avec son décor improbable de têtes de daim empaillées décorées de guirlandes de fleurs. Visitez Brooklyn un jour (ou deux, ou trois) où vous êtes affamée, parce que cette ville se goûte autant qu’elle se regarde. Mordez, par exemple, dans les sandwichs de Press 195 (195 5th Ave.), brunchez au délicieux et tout mignon Chestnut (271 Smith St.), soupez au Dokébi (un BBQ coréen où vous grillerez vous-même la viande à votre table, au 199 Grand St.). Le soir, sortez prendre un verre à l’Hotel Delmano (pas du tout un hôtel, mais un autre bar à cocktails millésimé années 1930, au 82 Berry St.) ou au The Woods (48 S 4th St.), un bar tendance qui héberge un camion à tacos dans sa cour. Puis, le lendemain, fuyez l’humidité étouffante des journées d’été en prenant le train pour Coney Island. Coney Island, c’est une chanson de Lou Reed, une plage un peu sale, une mer opaque, un parc d’attractions croulant. Cette presqu’île a tout le charme du monde. Ce jour-là, vous tomberez amoureuse de New York, vous aussi.

Carnet de bord de New York

S’y rendre par avion (plusieurs vols quotidiens par Air Canada, Delta ou American Airlines), en auto, en covoiturage (petites annonces à consulter sur kijiji.ca ou craigslist.ca) ou par bus (Greyhound a récemment rénové ses véhicules vétustes).

Dormir au Carlton, pour l’ambiance «vieux New York» de cet hôtel centenaire récemment rénové et pour le restaurant  Millesime, dont j’ai dit plus haut tout le bien que mon ventre en pensait. Si vous ne craignez pas trop les punaises de lit, réservez une chambre ou un studio chez l’habitant, sur les sites airbnb.com, homeaway.com ou roomorama.com. L’expérience peut s’avérer inoubliable.

Lire Goûtez New York, un guide de voyage gastronomique qui décrit les restos d’habitués quartier par quartier. (28$; Agnès Viénot éditions)

Feuilleter les magazines TimeOut New York ou New York Magazine, qui recensent chaque semaine les restos, les concerts, les premières et les évènements à ne pas manquer.

 

Beau livre: New York loin des clichés

Faire un nouveau livre de photos sur New York, c’est un projet casse-gueule: cette ville a été passée au peigne fin par les photographes. Ça n’a pas empêché Yann Arthus-Bertrand, l’auteur de La Terre vue du ciel, de prendre une série de portraits de la Grosse Pomme vue des airs. Saisis à partir d’un hélicoptère, le pont de Queensboro et le Chrysler Building se révèlent des monstres de fer et de grâce; le Jacob Javits Federal Office Building ressemble à un écrin de ciment qui abrite en son centre une précieuse statue dorée, la Civic Fame; et les façades des gratte-ciels, illuminées par le soleil couchant, scintillent comme des diamants. Cette étonnante prise de vue aérienne révèle aussi la régularité rythmique des toits new-yorkais et, parfois, les activités d’une humanité dérisoire, occupée à se dorer au soleil sur le Pier 45 ou à se prélasser sur la terrasse du 230 Fifth. Nous sommes si drôles, vus du ciel… Enfin, on redécouvre New York la monumentale, New York la hautaine. Mais cette fois, on est sur le même pied qu’elle. (New York; 70$, Éditions de La Martinière)

La punaise à l’oreille

Depuis quelques années, New York est une destination très prisée… des punaises de lit, ces minuscules insectes piqueurs qu’on peut trouver jusque dans le plus impeccable des hôtels cinq-étoiles. Comment faire pour ne pas en ramener dans vos bagages? Avant de partir, visitez le site bedbugregistry.com, qui recense 12 000 adresses infestées. Puis, en arrivant dans votre chambre, déposez vos valises dans le bain (où les punaises ne peuvent aller) et scrutez les draps, à la recherche de traces de sang ou de taches noires (leurs déjections). Vérifiez ensuite que les importunes créatures n’ont pas colonisé les coutures et les replis des matelas, le revers des rideaux et des cadres, ou encore les fissures des murs. Enfin, si vous vous réveillez avec un trio de piqûres, c’est sans doute que les horripilantes bêtes se sont offert un repas sur le bras (le vôtre) pendant la nuit. Si tel est le cas, changez de chambre (voire d’hôtel) et lavez vos vêtements à l’eau chaude avant de les faire sécher à haute température. Si vous êtes sur votre départ, isolez-les dans un sac de plastique, puis effectuez ce processus de nettoyage une fois de retour à la maison. GARY LAWRENCE

 

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