Photo: Les bulbes cuivrés de l’église orthodoxe de Saint-Nicolas, à Bucarest. (IStock) 

 

Ma ville me fait penser à une vieille aristocrate nostalgique qui ne serait pas pressée d’arriver au 21e siècle! Et si elle n’est pas globalement belle, comme Prague, elle possède de très beaux vestiges historiques.» C’est ainsi que la styliste de mode Cristina Chelaru m’a décrit Bucarest, la capitale roumaine.

Je ne saurais mieux dire, tant cette description colle parfaitement à cette ville vintage, qui a survécu à deux séismes dévastateurs, aux bombardements de la Deuxième Guerre mondiale et à des décennies d’austérité communiste. À la folie mégalomane d’un dictateur aussi. Dans les années 1980, Nicolae Ceausescu a fait raser le sixième de la ville pour ériger son extravagante Maison du peuple. Cet édifice, rebaptisé par la suite Palais du parlement, est le bâtiment le plus vaste du monde après le Pentagone, et il constitue aujourd’hui l’attrait touristique le plus controversé de la capitale. «Un mélange d’admiration et de haine envers le créateur de ce "Versailles": voilà ce que je ressens», me confiait la Roumaine Catalina Rusu au terme de notre visite.

 

Beauté et balafres de Bucarest

Des HLM en béton à la sauce stalinienne, des maisons abandonnées par leurs occupants, qui ont fui le régime communiste et ne sont jamais revenus au pays… L’histoire a laissé bien des cicatrices à Bucarest, mais elle l’a aussi constellée de grains de beauté. Prenez son architecture éclectique. Ses «villas qui se disent bonjour» (parce que construites en paires). Ses bijoux d’églises orthodoxes. Ses parcs manucurés. Ses grands boulevards. La prestigieuse salle de concert qu’est l’Athénée roumain. Ses théâtres d’avant-garde. (L’été dernier, dans un autobus, une pièce était présentée qui intégrait les acteurs au fil des arrêts!) Ses musées. Son art public. À LA PLACE DE LA RÉVOLUTION, un monument audacieux que les Roumains surnomment la «patate empalée» commémore l’héroïsme des manifestants ayant réclamé – et obtenu – la destitution de Nicolae Ceausescu. C’était en décembre 1989. Appuyés par le peuple, ils ont fait mentir le dicton selon lequel «la polenta n’explose pas», une allusion au plat national et au soi-disant fatalisme des Roumains.

 

Photo: Château de Bran (Alamy)

 

Si Bucarest tire son nom de bucurie, qui signifie «joie» en roumain, ce n’est pas exactement le sentiment qui anime ses habitants ces temps-ci. La crise mondiale frappe durement le pays. En fait, le marasme est tel qu’une des mesures de redressement économique mises de l’avant par l’État l’an dernier a été de reconnaître le travail des prétendues sorcières, diseuses de bonne aventure et astrologues, afin d’imposer leurs revenus! Malgré tout, les Bucarestois ne filent pas moins se divertir à LIPSCANI, un arrondissement historique qui subit présentement une cure de jouvence. Au Moyen Âge, du temps où Vlad l’Empaleur (voir page suivante) y avait sa cour princière, c’était un carrefour commercial florissant. Aujourd’hui, c’est le quartier général des bars-terrasses qui, les nuits d’été, transforment le secteur en un super lounge sous les étoiles.

C’est par une de ces nuits que j’y ai rencontré Oana Bratila, une jeune femme inspirante. «Les bons emplois se faisant rares, 90 % de mes amis d’université sont partis travailler en Italie et en Espagne, mais à mon avis, il faut plutôt rester pour faire avancer le pays», m’a-t-elle dit. Et c’est ce qu’elle fait à sa façon au sein du mouvement écolo citoyen Let’s do it, Romania!, une appellation qui est en soi porteuse d’espoir.

 

Chez Dracula

Bordée par la chaîne des Carpates, la TRANSYLVANIE est certainement la région la plus idyllique de la Roumanie. Un certain auteur irlandais du 19e siècle y ayant situé le château de son vampire, Dracula, elle est aussi celle qui attire le plus de touristes. «Dans les années 1960 et 1970 (en pleine ère communiste), d’importants contingents d’Anglais et d’Américains arrivaient déjà chez nous le nez dans le livre de Bram Stoker», m’a expliqué Daniela Diaconescu, viceprésidente de la Société Dracula de Transylvanie. «C’était un phénomène étrange pour le ministère du Tourisme de l’époque, car nous ignorions tout de ce Dracula, l’oeuvre n’ayant été traduite en roumain qu’en 1992!»

En effet, jusqu’alors, le nom Dracula ne désignait localement que Vlad III, un héros national. Chef guerrier qui défendait âprement sa principauté des invasions ottomanes et infligeait à ses prisonniers le supplice du pal, il passa à l’histoire sous le nom de Vlad l’Empaleur. Ses contemporains l’appelaient plutôt Dracula, car il était fils d’un Dracul, c’est-à-dire d’un membre de l’ordre chevaleresque du Dragon.

 

 

Photo: Lac Techirghiol (Carolyne Parent)

 

C’est à SIGHISOARA, plus précisément dans la CASA DRACUL, aujourd’hui un restaurant, que Vlad serait né. Inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco, cette cité médiévale est une des mieux préservées d’Europe. Chaque année, en juillet, elle est le théâtre d’un festival aux couleurs du Moyen Âge, mais avec ou sans cette animation, elle éveille à coup sûr la fée Gwendoline qui sommeille en nous! SIBIU m’a pareillement éblouie, avec ses remparts ponctués de tours et ses maisons pastel, dont les combles sont percés de larges ouvertures oblongues comme autant d’yeux qui nous épient!

Située à la croisée des routes commerciales qui reliaient autrefois l’Empire ottoman à l’Europe, BRASOV est une autre merveille issue du Moyen Âge. J’ai été séduite par son Église noire, dont l’intérieur est drapé d’une centaine de tapis turcs, dons précieux que les marchands de la ville lui ont fait au fil des siècles. J’ai ensuite retrouvé les Dracula historique et mythique à BRAN, un hameau voisin. Bram Stoker a situé le château de son comte dans une autre région de la Transylvanie, au col de BORGO, mais pour les mordus du vampire, c’est un «détail» sans importance: à leurs yeux, le sinistre CASTELUL BRAN ne peut être que celui de Dracula, un branding inespéré pour ce musée, qui était autrefois la résidence d’été de la reine Marie de Roumanie! Quant à savoir si l’Empaleur y a déjà séjourné… «On suppose que Vlad Tepes aurait été emprisonné ici et qu’il se serait enfui, mais jusqu’à présent, rien n’indique que le Dracula de la légende lui ai mis la main dessus!» s’est exclamée la guide Bianca Neacsu.

 

Une affaire de boue

On m’avait prévenue: le littoral de la mer Noire n’est pas particulièrement pittoresque. Et on avait raison. Entre les villes de Constanta et de Mangalia, la côte est jalonnée de centres de villégiature; ils rappellent tous Old Orchard, sauf peut-être NEPTUN, hier comme aujourd’hui la station préférée de la nomenklatura, comme en témoigne sa «rue des Villas spéciales». À vrai dire, le principal intérêt de la région est la boue noire du LAC TECHIRGHIOL. Riche en matières organiques, elle permettrait de traiter les rhumatismes et les affections cutanées. Proposée sous forme de bain et d’enveloppement au spa Ana Aslan de l’hôtel Europa, à EFORIE NORD (une station balnéaire qui borde le lac), elle m’a semblé aussi très relaxante. Mais franchement, en Roumanie, on devrait faire comme les Roumains: recueillir soi-même ladite boue dans le lac et s’en enduire copieusement avant de se laisser sécher au soleil! Ou alors, fréquenter les bai reci (bains froids) de l’ère communiste, des installations dotées d’un accès au lac et où la boue est offerte dans des bassins, une option plus commode.
 

Photo: Cetatea de Balta (Carolyne Parent)

 

Sauvages campagnes

Brasov, Sighisoara et Sibiu délimitent par ailleurs le PAYS SAXON, du nom du peuple germanique, les Saxons, l’ayant colonisé à partir du 12e siècle. La beauté de ses paysages et la richesse de son patrimoine historique sont telles que deux organismes se portent à leur défense: la Fondation ADEPT, qui préserve la biodiversité du milieu rural, et le Mihai Eminescu Trust, qui restaure des villages entiers sous le patronage du prince Charles. C’est dire la valeur de cet environnement rare, où de pimpantes chaumières étreignent des églises fortifiées sur fond de prés fleuris et de mers de maïs.
Le pays saxon est aussi une région où on élabore les meilleurs vins blancs du pays et mille délices artisanales, comme ce divin fromage de brebis, enveloppé dans de l’écorce de sapin pour le parfumer. Sur ses routes, où prime encore la charrette, j’ai croisé plusieurs ROMS, dont des femmes un rien fantasques, tout de rouge, de fuchsia et de jaune enjuponnées. À Boian, je me suis mêlée à eux le temps d’une fête. Depuis, un air de violon endiablé tourne en boucle dans ma tête. Il m’habite. Comme la Roumanie.

 

On craque pour ces francophiles!

Surprise: nul besoin de s’efforcer à dire multumesc, les Roumains disent surtout «merci»! «À propos», «vis-à-vis» et d’autres locutions françaises font également partie de leur vocabulaire. Ça s’explique par le fait que le roumain est une langue d’origine latine et que, du milieu du 19e siècle à la Première Guerre mondiale, la royauté et les élites roumaines faisaient instruire leur progéniture à Paris. L’influence française est également manifeste dans l’architecture Belle Époque de Bucarest, ce qui lui a déjà valu le surnom de «petit Paris des Balkans».

 

Photo: Restaurant Caru’Cu Bere (Carolyne Parent)

 

Carnet de bord de la Roumanie

  • Bonne route

Avec Air France, qui propose trois vols quotidiens au départ de Montréal avec escale à Paris. La suite du trajet est assurée par son partenaire TAROM, jusqu’à la capitale roumaine.

 

  • Bons dodos

Au charmant GOLDEN TULIP VICTORIA, à distance de marche de Lipscani, le quartier le plus branché de Bucarest. Ailleurs au pays: à Brasov, au GRAND HOTEL; à Sighisoara, dans une des belles chambres mansardées du CAVALER; à la mer Noire, soit à Eforie Nord, à l’EUROPA, ou à Olimp, au CLOS DES COLOMBES (closdescolombes.eu), une maison d’hôtes bordant un vignoble et tenue par une franco-roumaine.

 

  • Bon appétit

Pour goûter aux spécialités du cru, comme les sarmales (des feuilles de chou farcies d’un hachis de viande), accompagnés de mamaliga (de la semoule de maïs), on va au CARU’CU RE, une institution dans la capitale, et dans les restos sympas de la chaîne LA MAMA.

 

  • Bons tchin-tchin

À Bucarest, au bar café GRADINA VERONA, situé dans un jardin à l’arrière de la superbe maison qui abrite la librairie CARTURESTI (13-15, Strada Pictor Arthur Verona); et au bar de jazz GREEN HOURS 22 (120, Calea Victoriei). À Lipscani, sur la terrasse de l’HANUL LUI MANUC, un ancien caravansérail (62-64, Strada Franceza); et à l’Atelier mecanic (12, Strada Covaci), pour sa rigolote collection d’affiches prônant la sécurité au travail dans les anciennes usines communistes.

 

  • Bons achats

Des créations de designers roumains chez POSH MARKET (68-70, Calea Victoriei); des bijoux d’époque et d’autres antiquités dans les échoppes de l’ancienne auberge HANUL CU TEI (63-65, Strada Lipscani); et de très beaux objets d’artisanat à la boutique du MUSÉE DU PAYSAN ROUMAIN. En plus, sachez que, pour l’instant, notre dollar va encore loin en Roumanie.

 

  • Bons clics

romaniatourism.com

 

  • Bon guide

Merci à Catalin-Tudor Rata (c.t.rata@gmail. com), un guide génial qui, en plus, parle très bien français.

 

 

À LIRE: Voyage: en croisière sur l’Atlantique